Dans le Carré des antiquaires, à Paris, il a l’une des plus belles galeries. Depuis trente ans, Philippe Vichot, Jurassien des environs de Lons, est un spécialiste mondial des meubles du XVIIIe siècle.
Deux choses ont marqué au fer rouge la vie de Philippe Vichot : les chevaux et les antiquités. La première relève du père, ils ont bercé son enfance : « Mes parents habitaient Lons-le-Saunier, rue du Solvan. Mon père était éleveur et faisait du négoce. Il avait des écuries et une cinquantaine de chevaux presque en centre-ville. Je montais tous les jours. » La seconde est liée à sa mère : « Elle était antiquaire, elle aimait les beaux objets et j’ai hérité de sa passion. »
Cette existence bascule au décès d’un papa parti lorsqu’il n’a que dix ans. Veuve, Mme Vichot vend les écuries lédoniennes pour ouvrir une boutique dans une maison à Savagna, à deux kilomètres : « Je l’accompagnais pour chiner, j’ai beaucoup appris en la suivant. »
Collège Rouget-de-Lisle, lycée Jean-Michel, baccalauréat. Si son chemin semble tracé, le jeune homme ne se voit pas exercer le même métier que maman. Il entre en classe préparatoire de vétérinaire, à Paris. Dans la capitale, il rencontre celle qui deviendra son épouse, la mère de ses trois enfants et sa collaboratrice durant de longues années. Après le temps de l’armée — il termine comme moniteur de tir au 44e RI basé à Lons — il ne reprend pas ses études, mais rejoint la boutique familiale : « Je faisais du porte à porte dans tout le Haut-Jura, je cherchais les meubles en bois naturel, les objets d’art populaire. Le soir, je rentrais tard et je m’occupais des chevaux qu’on avait conservés. Les journées étaient longues, mais passionnantes… »
Rapidement, il décide de voler de ses propres ailes. Sa géographie s’agrandit : « Je chinais toute la semaine partout dans l’Est et le Sud de la France. Je déballais le vendredi aux puces de Saint-Ouen, les plus connues au monde, avant de repartir en quête de trésors. J’étais tout le temps dans ma voiture. »
En 1979, c’est la grande décision : s’installer en Île de France. Dès l’année suivante, Philippe Vichot rejoint la région parisienne puis, en 1981, déménage dans Paris intra-muros où, pendant cinq ans, il creuse son sillon, lentement, patiemment. Jean-Gabriel de Bueil, ami et restaurateur installé à quelques dizaines de mètres de l’antiquaire [Lire Numéro 39 n° 1], connaît bien ce caractère trempé, audacieux autant que rusé. Les deux sont jurassiens d’origine et cette « jurassitude » les rapproche : « Il a une dimension romanesque. C’est un taiseux qui pèse ses mots et, dans sa discipline très aristocratique, c’est rare. Il faut le voir inspecter un meuble avec son regard aiguisé, c’est toujours à l’économie, mais c’est incisif. C’est l’un des regards les plus reconnus de sa profession. Il possède aussi cette élégance qui consiste à ménager même ses inimitiés… et c’est un Jurassien de la terre. »
En route vers le succès
Inutile de le cacher, ces premières années franciliennes ont été dures : « Personne ne m’attendait, il a fallu faire sa place en achetant des objets assez chers et en les revendant le plus vite possible. Le plus important, c’était de se faire connaître du milieu. Ces cinq ans ont été très formateurs et franchement agréables. Pas de magasin, pas d’horaires d’ouverture, de belles découvertes, une curiosité sans limite, des coups de chance, des déceptions aussi, mais une vraie liberté. »
Avec le temps, le Jurassien se dit qu’il devrait avoir pignon sur rue. Qu’à cela ne tienne, en 1987, ses collègues lui trouvent un fonds de commerce rue de Lille, le berceau mondial de l’antiquité.
Un expert reconnu
L’avenir s’annonce prometteur, mais, en 1990, Saddam Hussein envahit le Koweit. S’ensuivent la guerre du Golfe et la crise économique qui ont bien failli le mettre sur la paille. Heureusement, il n’a pas quitté les puces de Saint-Ouen, une belle poire pour la soif : « J’ai pu passer le cap. » Cet épisode achevé, vient alors l’heure de la notoriété : « En 1992, j’ai fait la dernière édition de la Biennale des Antiquaires au Grand Palais et, deux ans plus tard, la première au Carrousel du Louvre. Ensuite, j’ai abandonné, je n’aimais pas trop cette ambiance feutrée, même si elle amène la clientèle. » Et la reconnaissance de ses pairs. Avec des expositions un peu partout en province et un réseau qui n’en finit pas de s’étoffer, Philippe Vichot devient l’un des spécialistes mondiaux du mobilier des XVIIIe et début XIXe siècles, expert à la Chambre nationale…
À 61 ans, l’homme est mince, vif, regard acéré. Il n’a rien perdu de son allant — on pourrait même parler de séduction — même si son air autoritaire et ses silences ont tendance à impressionner. De sa galerie de 190 m², il a fait un lieu hors du temps : tableaux, meubles, chandeliers, lustres, statues, bustes, fauteuils, horloges, miroirs… se reflètent dans l’écran XXL d’un Apple tout neuf. L’homme et sa collaboratrice ne cessent de pianoter sur le clavier à la recherche du bel objet, observant, questionnant, finissant par trouver… « Le métier a beaucoup changé. Autrefois, on pouvait faire de belles découvertes quand les professionnels déballaient leur camion sur les marchés. Aujourd’hui l’information file à la vitesse grand V sur internet. Il faut s’adapter. »
Même s’il n’est pas fatigué, l’âge et l’expérience autorisent Philippe Vichot à faire des choix. Aucun de ses trois enfants n’a hérité de la fibre : « Je n’ai personne pour reprendre, mais, de toute façon, je ne veux pas vendre, même si j’ai la nostalgie de mes débuts. Cette liberté, c’était magique ! Et puis, j’ai beaucoup travaillé pendant toutes ces années et il ne me reste pas grand-chose pour le reste. » Un avis que confirme Chloé, sa fille aînée qui vit aujourd’hui à New York [lire par ailleurs] : « Papa est un bosseur acharné, il est tout le temps en train de se battre. C’est vraiment une force de travail, mais il aime aussi partager, expliquer. C’est un besoin chez lui, il est passionné. Je l’ai beaucoup suivi et ce qui m’a toujours frappée, c’est son sens de la relation, à l’ancienne, basée sur une parole donnée, une poignée de main. Ce sont des valeurs qu’il a acquises dans son enfance jurassienne et c’est beau à voir dans le milieu de l’entreprise. »
Philippe Vichot le dit simplement : « En fait, je suis un paysan. J’ai les pieds sur terre et j’ai besoin de la nature. J’aurais préféré vivre dans le Jura qui me manque. Le fief familial de mon père est à Nevy-sur-Seille et je m’y sens bien. Mais le Jura est trop loin. Ma mère vit maintenant en maison de retraite, on va vendre Savagna. C’est une page qui se tourne. »
Si Philippe Vichot revient peu à peu à ses fondamentaux ruraux, c’est en Normandie qu’il a décidé de se poser : « Il y a deux ans, j’ai racheté une propriété en Normandie et j’élève des chevaux en professionnel. J’ai donc deux métiers. J’aime passer du temps là-bas, c’est le retour à la campagne et je peux y aller tous les week-ends. C’est un bon équilibre parce qu’en fait, je souffre de la vie parisienne. »
Photo : Numéro 39
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