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Mathilde Poncet, l’imaginaire est un territoire réel

Dans l’univers riche et foisonnant de la littérature jeunesse, les livres de Mathilde Poncet se distinguent par une sensibilité rare, un goût du détail, et une attention singulière au vivant.

C’est un privilège de réaliser le portrait d’une créatrice dans son atelier. Son organisation, les outils autour de la table de travail ou les œuvres au mur permettent inévitablement de mieux comprendre le processus de création, ses influences et son parcours. L’atelier de Mathilde Poncet, auteure et illustratrice, se situe au rez-de-chaussée de la maison qu’elle partage avec son compagnon au pays des lacs.

La jeune femme nous ouvre la porte sur un vaste espace dont les fenêtres s’ouvrent sur un paysage jurassien. Le lieu est habité par deux chats et l’espace se divise en plusieurs parties consacrées à l’estampe, au dessin, à une bibliothèque ou encore une table graphique. Sa dernière réalisation, une porte peinte aux couleurs de la « Déclaration universelle des droits de la terre mère », rejoindra une exposition du collectif d’artistes « Ourse » à la maison du Parc naturel régional du Haut Jura à Lajoux, quelques jours plus tard.

Les caisses de matériel et la petite presse dans un coin de la pièce évoquent aussi les interventions régulières de l’illustratrice dans des écoles et médiathèques du Jura et d’autres départements. Alice Javelle expose chaque été ses dessins dans la galerie de la libraire Guivelle à Lons-le-Saunier. Elle est aussi son amie : « Mathilde est une personne passionnée par son métier avec des attaches très fortes au Haut-Jura et son environnement. Elle est aussi hyperactive, ce qui est nécessaire pour pouvoir vivre de son métier et aussi bénéficier d’une forme d’assurance, avec un cadre pour mener plusieurs projets en même temps et se ménager des espaces de création. C’est assez vertigineux ».

Sur le bureau de Mathilde Poncet sont posés des livres de Charles Stépanoff, Baptiste Morizot, Philippe Descola ou Nastassja Martin qui nourrissent son travail actuel. Aujourd’hui, elle dessine et rédige une bande dessinée qui allie documentaire et fiction, Anima, qui sera publiée chez Dargaud en 2026. « Ce projet part de la problématique du lynx dans le Jura. Ils sont percutés par des voitures, sont victimes du braconnage ou meurent de mort naturelle. Aujourd’hui se pose la question du maintien de leur diversité. Mon ouvrage élargit la problématique à nos relations aux grands prédateurs en s’ouvrant à d’autres manières d’être au monde comme l’animisme. C’est un projet très personnel, dans lequel je me dessine aussi. J’y mets beaucoup de poésie ou de références aux mythes », explique l’auteure. Elle travaille en relation avec Louise Monin, doctorante en ethnologie spécialiste de la thématique du lynx dans le massif jurassien. « Actuellement, il y a des coupes rases que la sécheresse accentue. Le monde va tellement vite dans le mauvais sens. Qu’est-ce que je dois faire ? Je ne suis pas une militante. Ma manière d’agir peut être de faire réfléchir et insuffler de l’espoir ».

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Mathilde Poncet (FRA) – Samuel Cordier

Avec La peau du lynx, Mathilde Poncet avait déjà abordé le sujet. « Le lynx me fascine depuis toute petite. J’essaye de comprendre notre rapport à ces animaux. L’anthropologie m’aide à y voir plus clair », explique-t-elle. Cet ouvrage était entièrement réalisé à l’encre. Il a rencontré un grand succès dans le Jura, et a aussi obtenu un écho à l’échelle nationale. En partenariat avec le festival « Les Rendez-vous de l’aventure », il s’est prolongé par une série de concerts dessinés, avec un orchestre ou une pianiste, et des mots recueillis par le journaliste Florian Rochet-Bielle.

Si l’on veut comprendre le cheminement de la jeune femme, il est nécessaire d’évoquer son lien à la nature et plus particulièrement à sa montagne. Les chaussures de marche, les bâtons et les skis de randonnée dans le hall d’entrée de la maison sont des outils autant utilisés que les crayons et les pinceaux. « Je ne pourrais pas vivre en ville, je vais tous les jours dans la forêt me nourrir de mon environnement. Et, quand je vais ailleurs, je me rends compte que l’endroit dans lequel je vis est préservé », avoue la montagnarde.

Le jura pour clairière

Née en 1993, Mathilde Poncet, originaire de La Pesse (altitude de 800 à 1 440 mètres), effectue sa scolarité aux Bouchoux voisins puis à Saint-Claude, la grande ville. « J’ai toujours su que je voulais dessiner et faire des histoires. Je crois que je ne me suis jamais arrêtée depuis l’enfance. Je lisais des Astérix, mais j’aimais aussi l’imaginaire des romans. C’est comme ça que je suis venue à la narration. La bibliothèque de Saint-Claude était importante pour moi, je me souviens du livre Le cadeau de Bruno Munari, un illustrateur italien ». Déjà décidée à devenir illustratrice, elle rejoint la section “arts” du Lycée Pasteur, à Besançon : « Je me rends vite compte que c’est un vrai métier. Mes professeurs d’art appliqué m’ouvrent à beaucoup de références ». Elle passe ses semaines dans la capitale de Franche-Comté et ses week-ends à écrire, lire et dessiner dans son village également connu pour la Borne au lion.

La suite de son parcours la conduit à Épinal (Vosges), réputée pour son enseignement de l’illustration, puis à l’École supérieure d’art de Lorraine, à Metz. Ces deux établissements lui permettent de tester différents styles d’illustration et diverses techniques. « Pour moi, c’est aussi la découverte du monde de la littérature jeunesse avec des auteurs comme Kitty Crowther [illustratrice belge notamment connue pour sa série Poka & Mine, N.D.L.R.] ou Brecht Evens [dessinateur de bande dessinée et illustrateur qui se caractérise par un style pictural unique avec des encres colorées et des compositions sans cases traditionnelles,], qui sont de grosses influences pour moi ». Ces années sont aussi l’occasion de participer pour la première fois à des festivals, comme celui de Montreuil, et d’effectuer des stages. Ainsi Mathilde Poncet apprend les différentes techniques de l’estampe et de l’impression artisanale. « À la Métairie Bruyère, dans l’Yonne, je découvre le monde la gravure taille-douce [en creux]. À la Fraternelle, à Saint-Claude, je fais un stage de sérigraphie. Dans l’atelier Affiche Moilkan à Baume-Les-Dames, j’apprends la typographie et la gravure sur bois. J’ai plein de cordes à mon arc d’un point de vue technique, énumère-t-elle. Au final, ces années d’apprentissage me permettent aussi de mieux maîtriser un système graphique et narratif et de bénéficier de l’enseignement de supers professeurs, comme Chloé Mazlo [César 2015 du court-métrage d’animation pour Les Petits Cailloux], Marc Aufraise [humoriste et comédien connu pour son personnage de Monsieur Fraize] et Yann Lindingre, le rédacteur en chef à l’époque de Fluide Glacial. »

Et c’est en 2016, au cours de la dernière année de cette formation, que la Jurassienne publie ses quinze premières pages de bande dessinée dans la revue Citrus fondée en 2014 et éditée par L’Agrume et mise par scène par la graphiste Léa Chevrier. « C’est un truc de fou. Je suis encore étudiante. Pour ces illustrations, je suis sous l’influence de Simon Roussin dont Les Vivants, roman graphique sur la résistance coécrit avec Raphaël Meltz a remporté le Prix spécial du jury au Festival d’Angoulême en 2022]. J’utilise plusieurs techniques : le fusain, la gravure, la peinture ».

En 2017, c’est le retour dans le Jura – « Mes profs à Épinal me disaient toujours qu’avec moi, on était toujours à la campagne ! » – qui prend la forme d’un service civique à l’imprimerie de La Fraternelle, à Saint-Claude, pendant dix mois. « Je perfectionne ma technique de la sérigraphie et j’anime beaucoup d’ateliers pour enfants. Parallèlement, je propose mes gravures sur les marchés d’artisans, à Saint-Claude et à Etival, mais cela ne marche pas trop ». Cette même année, Mathilde Poncet publie son premier livre, Chipie décolle, un « cherche-et-trouve » ludique et foisonnant à la découverte de planètes extraordinaires et de leurs habitants, ainsi que La Maison, une première bande dessinée pour partie autobiographique imprimée en sérigraphie. « Je découvre qu’en littérature jeunesse, je peux faire tout ce que je veux, avec différentes techniques. C’est aussi le moment où je deviens artiste et auteure indépendante à plein temps. Je réalise un travail de médiation sur le territoire et des ateliers dans les écoles ». Dans la foulée, elle sort Les sentiers perdus, un ouvrage très personnel avec une référence directe à ses grands-parents et à son village au pied du Crêt de Chalam.

Histoires fantastiques

Les vacances timbrées, son troisième livre publié en 2020, rencontre enfin son public. « Tout se passe beaucoup mieux, j’ai de bonnes critiques. Je suis invitée dans les salons et des expositions ». Il a été écrit lors d’une résidence dans les Hautes-Alpes. Sa grand-mère, disparue récemment, est présente, tout comme les paysages du Haut-Jura, la ligne des hirondelles ou le Lac de Vouglans. Comme le confie son amie Alice Javelle, « il y a quelque chose de très simple dans le texte, et une très grande liberté, un peu fantastique dans les dessins au pastel avec des animaux personnifiés. C’est très beau et très maîtrisé. Elle montre bien que dans la littérature jeunesse les dessins sont aussi importants que le texte ».

Inspirée par les animaux, les montagnes et les ciels, Mathilde Poncet construit au fil de ses œuvres un univers coloré. Avec des crayons, des pastels, des pinceaux ou encore des gravures, elle donne corps à des histoires fantastiques. Agathe Frochot, une amie jurassienne, est aujourd’hui conservatrice du musée de Gap. « Nous nous sommes connues dans le Jura, sans doute au marché de Moirans où Mathilde exposait. Depuis sa résidence dans l’abbaye du Boscodon, dans la vallée de la Durance, elle adore les Hautes-Alpes. Je pense que c’est elle qui m’a convaincue d’accepter le poste à Gap ! Ce que j’aime dans son travail, c’est le mélange des techniques, les ciels. Dans Les vacances timbrées, elle propose une vision imaginaire, décalée, une autre perception d’endroits que je connais. Elle est sensible, spontanée, concentrée, tout en gardant les pieds sur terre ».

Ce printemps, l’artiste a repris la route pour Annonay, en Ardèche, avec des ateliers et des rencontres, et pour la région de Quimperlé dans le cadre d’une résidence. Elle parcourt aussi le Jura, avec la réalisation d’une peinture murale avec les élèves d’une école de Saint-Claude. De retour dans son atelier, elle continuera à explorer quotidiennement les forêts de résineux, sa faune sauvage. Sur le mur au-dessus de son bureau, elle a punaisé le chemin de fer de Anima. « Je suis impatiente de le découvrir, confie Alice Javelle. Elle continue à explorer ce lien à la nature qui fait partie d’elle. Elle s’est beaucoup documentée, elle est en réflexion constante et aborde aussi ce rapport de manière quasi philosophique ».

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