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Alexandre Chatillon, du Jura aux zones de crise

Avec Montaigu pour port d’attache, Alexandre Chatillon, marqué dès l’enfance par l’injustice du monde, a tracé un parcours singulier, de Lons-le-Saunier à la Libye, de l’ONU à sa propre ONG. Fondateur de Super Novae, il incarne une solidarité pragmatique, rapide, sans compromis. Rencontre avec un Jurassien de cœur et de terrain, qui conjugue convictions, efficacité et fidélité aux siens.

On le retrouve sur le terrain de foot de Montaigu, ce village perché au-dessus de Lons-le-Saunier. Alexandre Chatillon est arrivé la veille de Paris, après une halte à Viry, chez sa sœur – son point d’ancrage dans le Jura – , où il retourne dès notre entretien terminé, pour fêter l’anniversaire de sa fille. S’il voyage aujourd’hui de capitale en capitale et vit dans une banlieue cossue, Alexandre Chatillon ne rougit pas d’avoir grandi dans le Jura et il y reste d’ailleurs profondément attaché. « Tous mes amis proches viennent du Jura. On est une vraie bande. On se voit très souvent. On se suit, même à Paris », raconte-t-il. Les autres sont ingénieurs ou banquiers. Lui a choisi la voie de la diplomatie et de la solidarité internationale. Ce qui le rend encore plus singulier : « Il n’y a pas beaucoup de Jurassiens dans l’humanitaire », admet-il.

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Alexandre Chatillon (FRA) – DR

D’ailleurs rien ne prédestinait Alexandre Chatillon à s’engager sur cette voie. Il a grandi dans cette maison de Montaigu avec sa mère, employée de commerce, et sa sœur Aurore. Son enfance est marquée par la figure maternelle, battante, exigeante et forte, dont il choisira, à l’âge adulte, de porter le patronyme et non plus celui de son père, absent.

Cette mère courage, qu’il admire profondément, a exercé divers métiers. Employée chez Conforama, elle a ensuite œuvré dans l’immobilier. Avec peu de moyens mais une volonté farouche, elle a offert à ses enfants une vie digne, leur inculquant des valeurs solides. « Elle a tenu les deux rôles. C’est elle qui m’a transmis l’envie de justice, le goût du travail et l’obsession de ne jamais baisser les bras », confie-t-il.

Trois femmes structurent la vie d’Alexandre Chatillon : sa mère, sa sœur, et son épouse, Marjorie, rencontrée à Tunis alors qu’elle était juriste à Expertise France. Aujourd’hui, le couple vit en région parisienne, où Marjorie est directrice adjointe du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) des Hauts-de-Seine Nord. Père de trois enfants, la vie de famille du Franc-Comtois irradie d’un amour de la vie et d’un humanisme contagieux.

Les enfants de Tunisie

C’est aussi sa mère qui lui transmet le goût du voyage. « Chaque année, elle nous emmenait à l’étranger, coûte que coûte », se souvient-il. C’est au cours d’un de ces voyages, en Tunisie, qu’une scène le marquera à jamais. Il a cinq ans. Sur un site antique, il croise des enfants de son âge, en train de casser des pierres pour survivre. Sa mère lui glisse : « Tu vois, tous les enfants n’ont pas la même chance que toi. Il faut travailler à l’école ».

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Alexandre Chatillon (FRA) – DR

Cette image restée incrustée dans sa mémoire, deviendra le socle de son engagement futur. « Je suis vraiment conscient de la chance qu’on a, en France, de ne pas devoir s’endetter pour étudier. Toute ma vie, je me suis souvenu de ce petit garçon qui n’avait pas eu ma chance, simplement parce que nous ne sommes pas nés au même endroit ».

Ce souvenir forge un idéal : « J’ai toujours voulu que chaque enfant sur Terre puisse faire ce qu’il a envie de faire. Être charpentier, s’il le souhaite, ou Premier ministre, par la force de son cerveau et de sa volonté. C’est cette vision qui m’a guidé dans la solidarité internationale, avec une approche particulière : aider les jeunes à l’étranger à entreprendre, à créer leur activité. Mon engagement, c’est de contribuer à un monde plus juste ».

De retour de ce tout premier voyage en Tunisie – il y retournera plus tard –, il retrouve l’école des Toupes et poursuit toute sa scolarité à Lons-le-Saunier, jusqu’au lycée Jean-Michel, où il passe son bac. C’est là qu’un professeur, M. Guillaumin, convainc sa mère de le laisser poursuivre des études universitaires. « Sans ce prof, je ne serais sans doute jamais sorti du Jura », estime-t-il aujourd’hui.

Il hésite un temps entre la médecine et les sciences politiques. Sa mère est prête à vendre l’appartement qu’elle possède à La Grande-Motte pour financer ses études. Finalement, c’est vers l’université de Besançon qu’il se tourne. Il y découvre la rigueur intellectuelle, avant de rejoindre Sciences Po Lyon, où il se passionne pour la géopolitique et les politiques publiques.

Entre les cours, pendant les vacances, il enchaîne les petits boulots et partage une colocation avec son ami jurassien Jean-Baptiste Coiffier : « J’ai toujours travaillé pour financer mes études. Cela m’a appris l’efficacité et donné envie d’entrer vite sur le marché du travail ».

L’envie d’agir

Diplômé, il intègre les Nations Unies, travaille à l’Agence française de développement (AFD) et pour Expertise France. De Paris à Genève, en passant par Tunis, il mesure rapidement les limites d’un système trop lent et bureaucratique. « J’étais bien payé pour remplir des tableurs, alors que ceux que je devais aider attendaient des solutions concrètes », précise-t-il.

De cette frustration naît l’intuition : il faut faire autrement. En 2020, il fonde Super Novae, une ONG agile, orientée vers l’impact rapide. En Libye, elle ouvre la première maison de réintégration pour anciens miliciens. À Mayotte, elle installe un hôpital de campagne après un cyclone. À Gaza, elle intervient auprès des femmes et des enfants sur un champ de ruines. Partout, la même devise : “Agir vite, efficacement, sans s’embourber dans la bureaucratie”. Une intuition qui porte ses fruits, l’action et le modèle de Super Novae, « une start-up du développement spécialisée dans la résilience économique des pays et contextes les plus fragiles » a pu être déployé dans six pays et porter assistance à plus de 2 500 personnes. On retrouve régulièrement son fondateur s’exprimer dans la presse nationale et internationale. Le lendemain de notre rencontre, Alexandre Chatillon est en duplex sur France 24 pour dénoncer les entraves à l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza.

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Alexandre Chatillon (FRA) – Numéro 39

L’ancien lycéen de Jean Michel enseigne aujourd’hui à l’École des hautes études commerciales (HEC) un cours intitulé Business and Peace, destiné à former les futurs leaders. « En France, on a les moyens de réaliser beaucoup de choses. J’essaie d’attirer vers notre secteur des talents qui pensent différemment. L’aide humanitaire ne doit pas être un sanctuaire de bien-pensance. Trop d’intellectualisation freine l’action. On a besoin de gens formés à l’efficacité, capables d’aider plus de monde avec moins de moyens, à l’heure où les budgets étatiques diminuent », plaide-t-il. Il assume pleinement sa vision d’une solidarité pragmatique. « Je suis prof à HEC pour faire évoluer notre secteur. Je dis à mes étudiants que tout est possible, à la force du travail et du cerveau »

De passage à Montaigu

De passage à Montaigu, chaque coin de rue évoque un souvenir. Le chemin vers le golf du Val de Sorne, où il a travaillé l’été, le domaine Pignier, où il faisait les vendanges, les arbres devant la salle des fêtes à l’ombre desquels il a vécu ses premiers émois amoureux à l’adolescence. De doux souvenirs empreints de cette ingénuité et de cette authenticité propre aux souvenirs d’enfance. Autant d’illusions perdues à l’âge adulte.

Ce jour d’avril 2025, lorsqu’il revient dans son village natal, autour le monde tangue : tensions commerciales sur fond de droits de douane, crise du financement international de la coopération, toutes deux provoquées par Donald Trump. La veille, plusieurs ONG ont été expulsées de Libye, dans une nouvelle entorse au droit humanitaire international, déjà bafoué de toutes parts… Nous évoquons ces bouleversements autour d’un verre de Macvin, dans la cave du domaine Pignier. Un instant suspendu, où la grande histoire rejoint la petite, dans ce village jurassien qui fut le centre de l’univers pour l’enfant qu’il était.

Curieux des autres, Alexandre Chatillon semble être ce bon camarade de classe, toujours habile à tisser des liens aux quatre coins du monde. « Quand je me balade dans la rue à Tripoli, il n’est pas rare qu’on me klaxonne dans la rue pour me saluer, tout le monde me connaît là-bas ». Il sourit, puis ajoute : « Jamais je n’aurais pu imaginer, adolescent dans les rues de Lons-le-Saunier, qu’un jour dans ma vie je serais reconnu dans la rue par un chef de milice libyenne ».

Quelques instants plus tard, ce sont deux vieux amis jurassiens qui viennent le saluer dans le parc de Montaigu. Il les reconnaît aussitôt. Il se souvient des prénoms, de ceux des parents, et connaît même les dernières nouvelles de leur famille. On comprend alors que c’est sans doute là son secret, cette attention sincère portée à l’autre, qui l’a mené si loin.

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