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Xavier Thévenard, fils du massif du Jura

Xavier Thévenard, l’une des stars de l’ultra-trail en France, est un Jurassien « au sens géologique ». Cette montagne, il en connaît presque tous les sentiers qu’il a parcourus à pied ou à ski. Le public connaît le champion, spécialiste des ultra-trails. Entre 2010 et 2019, il a tout raflé : triple vainqueur de l’UTMB, vainqueur de la CCC, la TDS et l’OCC, pour les connaisseurs. Et puis, en 2020, tout bascule avec le Covid et surtout la maladie de Lyme. Xavier Thévenard ne gagnera plus rien et devra puiser au plus profond de lui-même pour garder un sens à sa vie. Rencontre avec un rescapé de la vie

  • NUMÉRO 39 – Quand on entre dans votre maison à Bellecombe, la première chose que l’on voit, c’est un piano et des guitares. On en déduit que la musique fait partie de votre vie…

XAVIER THÉVENARD – Je gratte la guitare depuis l’âge de treize-quatorze ans. Le piano, je l’ai commencé en autodidacte il y a deux ans quand j’étais au fond du trou. D’un naturel plutôt sauvage et contemplatif, la musique m’apaise. Comme la course, elle me permet de m’évader et de prendre du recul.

  • Cette maison, c’est en quelque sorte un résumé de votre histoire ?

Un peu, oui. Déjà, c’est un pari familial. Amélie, ma compagne, est originaire de Bellecombe. Mes beaux-parents y habitent. Cette maison, je passais devant à vélo quand je faisais la traversée entre Pontarlier où j’étudiais et mon village des Plans d’Hotonnes, sur le plateau du Retord où je vivais. J’ai toujours trouvé ce coin superbe. La maison est juste en face du Reculet [1 718 m, sur la commune de Thoiry, dans l’Ain]. Nous l’avons achetée en 2020, quand c’était difficile pour moi. On cherchait un petit coin pour se mettre au vert. Le propriétaire voulait des habitants à l’année, c’est comme ça qu’on a pu l’avoir. On a signé juste avant le premier confinement et on s’en est bien sortis quand on voit comment les prix des maisons ont augmenté ! Amélie est architecte, je l’ai laissée faire les plans et moi, je me suis occupé des travaux. Cette maison est atypique, les murs ne sont pas droits. On a travaillé au maximum avec des matériaux naturels, elle nous ressemble et on a aménagé une partie location pour six personnes.

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Xavier Thévenard (FRA) – Marika Godin

  • La maladie de Lyme dont vous souffrez ne vous a pas empêché de mener le chantier de rénovation ?

Les travaux ont commencé en 2021. À ce moment-là, c’étaient les montagnes russes. J’étais tout feu tout flamme… et puis, d’un seul coup, le soufflé retombait. Je ne pouvais plus courir. J’étais donc en permanence dans un ascenseur émotionnel. C’était vraiment très dur et, à force, j’avais mal d’avoir toujours des projets sportifs que je ne pouvais pas concrétiser. Alors je les ai stoppés et je me suis dit que mon seul but était désormais de guérir. Les travaux dans la maison, je peux les gérer. Nous avons lancé une campagne de crowdfunding [financement participatif, N.D.L.R.] qui a permis de poser les tavaillons. De ce côté, ça va ! Nos premiers hôtes pour la contrepartie arrivent cet automne.

  • Vous avez choisi le métier de charpentier. Vous courez dans les montagnes. Votre maison est entièrement en bois. Pour vous, la nature est aussi importante que la musique, non ?

La nature, j’ai grandi avec. Ma mère était infirmière, mon père moniteur de ski. Ils tenaient un gîte-auberge aux Plans d’Hotonnes. Leur spécialité, c’étaient les framboises. Jusqu’à 600 kg par an ! Leur tarte aux framboises était réputée dans toute la région. Ils étaient bien occupés et pas le genre parents poule. Mes deux frères, ma sœur et moi avons été assez vite autonomes, nous sommes une génération née sans le numérique. Notre enfance, nous l’avons passée en pleine nature à faire des cabanes dans les bois. On jouait avec ce qu’on avait sous la main.

  • Parlez-nous des Plans d’Hotonnes…

C’est un hameau dans un cul-de-sac. Si on y va, ce n’est pas par hasard. Mes copains habitaient à l’autre bout du plateau, à 10 km. J’y allais avec mon jeune frère, il était fou d’insectes et de papillons. On allait à l’affût des Appolons. Nous avons été très vite sensibilisés à la flore, à la faune…

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Xavier Thévenard (FRA) – Numéro 39

  • Vous formiez donc une famille d’écolos ?

Mes parents sont venus là parce qu’ils avaient besoin d’un milieu naturel, de liberté, pas par militantisme. D’une certaine façon, nous avions la chance de ne pas les avoir derrière nous. On s’est formés nous-mêmes à la nature et la fragilité de l’écosystème nous a vite orientés vers l’écologie. On est nés dedans. C’est donc une écologie, mais pas de contexte, pas politique.

  • Vous évoquez vos frères et sœurs. Quelle place tiennent-ils ?

Nous avons tous deux ans d’écart avec mes frères et ma sœur, donc on a toujours été assez proches. Mon petit frère [Jean-Marie qui a aussi disputé de nombreuses courses à pied et à ski de fond, N.D.L.R.] courait avec moi, on était tout le temps ensemble. Maintenant, il est éducateur sportif et moniteur de ski. Mon grand frère Cyrille a repris les gîtes de mes parents et sa compagne fabrique des fromages de chèvres. Mes beaux-parents nous aident pour la maison. Vous voyez, la famille, c’est un socle. J’ai été élevé dans ces valeurs-là.

  • Vous vous dites sauvage. Est-ce un héritage de l’enfance ?

À l’école, j’étais plutôt rêveur, plutôt passif, un peu en difficulté, mais pas un élément perturbateur. D’ailleurs, je n’ai pas suivi une filière générale, j’ai fait un bac pro et une formation en charpente-menuiserie. Je voulais être charpentier l’été et moniteur de ski l’hiver, rien de plus. Donc j’ai intégré la section sport-études de Pontarlier pendant cinq ans avec un horaire aménagé. J’habitais là-bas et pendant mon cursus j’ai commencé le brevet de moniteur de ski de fond [Xavier Thévenard a aussi pratiqué le biathlon, dont il existe un stade – le premier en France – aux Plans d’Hotonnes]. Après le bac, j’ai continué à l’association d’hébergement et de loisirs Espace Mont d’Or pour passer le BP. J’ai eu le diplôme et j’ai encadré en kayak, VTT, escalade… C’est à cette époque que j’ai commencé à courir en compétition.

  • Vous avez grandi dans l’Ain, étudié dans le Doubs, vous habitez maintenant dans le Jura. D’où vous sentez-vous ?

Je me sens Jurassien au sens géologique. Je suis né à Nantua, c’est dans l’Ain, mais l’Ain fait partie du massif du Jura. Le Jura va pratiquement des limites des Alpes jusqu’à Zurich. Cette montagne, je l’ai parcourue dans tous les sens à ski ou en courant. J’adore la barrière de la Haute Chaîne, les combes orientées nord/sud qui ont toutes leur charme et le crêt de Chalam aussi [1 540 m, sur les hauteurs de La Pesse]. Je mets une heure depuis la maison pour y monter. Quand j’habitais le Doubs, je courais dans les alpages : la Dent de Vaulion, le Mont Tendre, le Mont d’Or. Je ne me perdais jamais. Je partais de Jougne où je logeais en courant jusqu’à Bellecombe : 80 km en 8 heures. Avec mon frère, on rejoignait Zurich en trois jours par la partie nord du Jura avec le Chasseron, le Chasseral, les sommets du Jura suisse : 250 km en tout. Le plateau du Retord, surtout au printemps avec ses couleurs, ses odeurs de narcisses… je le connais par cœur. C’est toute mon enfance. Le Jura est truffé de beaux endroits.

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Xavier Thévenard (FRA) – Numéro 39

  • Depuis tout à l’heure, vous nous parlez de course à pied. Il est vrai qu’en ultra-trail, vous êtes l’un des plus grands. Comment est née cette passion ?

J’ai toujours couru. Quand j’étais gamin et que mes parents avaient trop de travail, je fuyais le monde. L’hiver, je prenais mes skis pour me réfugier dans le Retord. L’été, je passais mon temps dans les bois. Le sport était mon refuge. J’adorais découvrir de nouveaux endroits. Le trail permet d’aller partout et aussi d’improviser. Avec mon frère, on regardait les cartes du Retord et on s’échappait. À la fin de l’année scolaire, j’avalais en une seule boucle tout ce que j’avais parcouru dans la saison. À l’époque, il n’y avait pas d’applications [du type Strava], mais quand j’étais préadolescent, je faisais déjà cinquante kilomètres sans problème pour découvrir la nature. En revanche, je n’étais pas un mordu de la compétition !

  • Ah oui ! Vous avez pourtant un palmarès bien garni. Comment êtes-vous devenu champion ?

Quand j’étais au lycée à Pontarlier, c’était l’époque des premiers trails et j’obtenais des résultats. Mais tout a vraiment commencé avec le Challenge Transju’ [qui cumulait les résultats à la Transju’ de mi-février et ceux de la Transju’trail de juin, N.D.L.R.). Je me suis inscrit. C’était ma première participation à une course de 70 km. J’ai fini quatrième et, en 2009, j’ai gagné la CCC (trail de 100 km entre Chamonix et Courmayeur, N.D.L.R.), mais sans sponsor. J’étais éducateur sportif et je m’entraînais tôt le matin avant le boulot ! En 2013, j’ai remporté mon premier UTMB (Ultra Trail du Mont Blanc, 168 km, la référence) et j’ai signé un contrat avec Asics. J’étais moniteur de ski l’hiver et je préparais mes courses en été. En 2015, je gagne à nouveau l’UTMB, d’autres partenaires arrivent. Je remporte une troisième fois l’UTMB en 2018 et j’arrête mon métier de moniteur en 2019 pour ne faire que de la course [ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il est unique coureur à avoir gagné les quatre courses majeures de la série UTMB, N.D.L.R.].

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  • Et patatras, les ennuis ont commencé…

Fin 2019, je ressentais déjà quelques symptômes de fatigue que je mettais sur le compte de l’entraînement. Mais au printemps 2020, mon état n’a pas changé. C’était une année spéciale parce qu’à cause du Covid, il n’y a eu aucune course. Après le premier confinement, je me suis imposé un challenge en off sur le GR 20 qui traverse la Corse du Nord au Sud sur 180 km et 13 000 m de dénivelé. L’idée était de me rapprocher de celui qui détenait le record [aujourd’hui, Lambert Santelli, en 30 heures 25 minutes, en 2021]. Mais ma tentative a été une catastrophe. La fin a été terrible, je n’avais jamais vécu une chose pareille. J’ai mis 32 heures, un temps certes correct. Mais si j’avais été en forme, j’aurais gagné une heure. Quelques semaines plus tard, je n’avais toujours pas récupéré. En fait, j’étais positif à la maladie de Lyme. Après trois semaines d’antibiotique, j’allais beaucoup mieux. Puis, en fin d’année, j’ai contracté un Covid assez sérieux. L’hiver s’est bien passé, mais au printemps, j’ai eu de nouveau des symptômes. J’ai pensé à un Covid long, mais les analyses étaient bonnes. Je ne comprenais plus…

  • Dans quel état d’esprit étiez-vous ?

J’habitais dans le Doubs et j’écoutais des émissions sur la maladie de Lyme. Je ne souhaitais qu’une chose, c’est retrouver ma forme. Je ne voulais pas d’antibiotiques, j’ai finalement trouvé à Lausanne une pharmacie avec un traitement qui m’a boosté de nouveau. Je courais pour préparer l’UTMB de 2021, j’ai enchaîné plusieurs courses avec de bons résultats. Mais je ne récupérais pas. Finalement, j’ai dû arrêter l’UTMB au cinquantième kilomètre. Pour moi, c’était la descente en enfer…

  • Finalement, le solitaire que vous êtes trouve la solution sur les réseaux sociaux ?

Oui, j’ai parlé de mes ennuis sur les réseaux sociaux et j’ai été contacté par Anthony Bertou, un nutritionniste qui m’a conseillé un type d’analyses qui ne se fait qu’en Allemagne. Les résultats indiquaient un cas un peu avancé, on m’a traité aux antibiotiques. Mais j’ai rechuté encore malgré des compléments alimentaires. En fait, je n’ai pas voulu entendre ceux qui me disaient d’en faire moins, j’étais dans le déni. La seule chose qui comptait, c’était de ne pas trop perdre en compétitivité. J’ai diminué un peu mon entraînement, passant de 1 000 à 800 heures par an, mais ce n’était pas suffisant. La situation s’est dégradée jusqu’en 2023. J’ai tout essayé, les traitements conventionnels et non conventionnels. J’étais au fond.

  • Qu’appelez-vous le fond ?

Il ne se passait pas une semaine sans que je pleure. Je devenais fou. Il m’était impossible de regarder une image de trail, cette maladie est vraiment une saleté. Je voulais des résultats immédiats alors que la guérison est lente. À un moment, j’ai vu une amie, Jeanne Salvi. Elle avait contracté cette maladie à l’âge de dix-huit ans et s’était retrouvée en fauteuil roulant. Elle a alors décidé de se faire soigner en Allemagne. Aujourd’hui, elle a repris la compétition. J’ai fait comme elle et j’ai vu que de l’autre côté du Rhin, ils ne soignent pas comme en France. Ici, mes traitements étaient à base d’une ou deux molécules. Là-bas, ils ont commencé directement par un cocktail de trois. Ma situation s’est améliorée et, deux mois plus tard, j’ai recommencé à courir.

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  • Aujourd’hui, êtes-vous guéri ?

Depuis un an et demi de traitement, je me sens mieux, je fais des analyses tous les deux mois. Je programme mon entraînement. Je fais très attention, mais c’est une maladie chronique et, franchement, je n’ai aucune certitude de m’en sortir. Je suis contaminé par une bactérie qui s’adapte très bien, elle prend différentes formes quand on la traite aux antibiotiques. C’est incroyable cette intelligence ! Et dire qu’avant, quand j’avais une tique, je ne m’en souciais même pas…

  • Et l’acceptation ?

J’ai compris la bestiole, je suis très vigilant. Je peux courir 15 à 20 km. Une fois, je suis allé jusqu’à quarante. Je n’ai pas à me plaindre. D’autres sont dans des galères totales. Moi, j’ai une vie normale, je me suis tourné vers d’autres projets hors compétition, mais j’ai toujours envie de revenir à mon niveau d’avant. La première étape, c’est de m’en sortir. La volonté est primordiale. Je n’ai plus de problème au quotidien mais courir, c’est autre chose, surtout un ultra-trail [Le 9 mai dernier, Xavier Thévenard a participé au 42 km du Trail des Forts à Besançon, N.D.L.R.].

  • Avec le recul, comment vivez-vous cette (més)aventure ?

La non-reconnaissance de la maladie de Lyme dans sa forme chronique en France est révoltante. Une partie des médecins n’y croient pas, ils disent que l’infection ne peut pas survivre aux traitements. S’il y a persistance de l’infection, ce n’est pas dû à la maladie. Il faut sortir de cette omerta. Quand Jeanne Salvi était dans son fauteuil roulant, les docteurs lui disaient qu’elle feignait… On ne soigne pas parce que les lobbies pharmaceutiques ne veulent pas.

  • C’est un problème d’argent ?

En partie. Le traitement a un coût, mes ordonnances faites en Allemagne sont remboursées en France, du fait d’une directive européenne. Encore faut-il trouver la bonne pharmacie ! J’en ai une aux Hôpitaux Neufs (dans le Doubs). Les compléments alimentaires me coûtent entre 600 et 700 € tous les deux mois, les consultations 150 € et les analyses 600 €.

  • Et vos sponsors ? Sont-ils toujours à vos côtés ?

Je suis en contrat avec On Running jusqu’en 2026, ils ont renouvelé mon contrat en 2021 alors que je n’avais plus de résultats. Du coup, je ne suis plus compétiteur mais influenceur par défaut. Avec Thomas Michaud, j’organise des stages de fond dédiés aux trailers qui leur permettent d’avoir un autre mode de vie. Les sponsors y trouvent leur compte. Avec ma communauté, ils ont une visibilité plus large.

  • Diriez-vous que vous avez changé avec les années ?

Au niveau caractère, je n’ai pas tellement bougé. J’ai trente-sept ans et je fais toujours les mêmes bêtises qu’il y a vingt ans. À soixante ans, je suis sûr que je ferai encore les mêmes. En tout cas, je ferai toujours du sport. Je pense que je suis un peu comme le massif du Jura, assez discret, authentique, sauvage. Quelqu’un de simple ! Je n’aime pas faire trop de bruit, même avec mes résultats en sport qui m’ont donné une dimension publique. En fait, je suis un introverti de base, mais je me suis beaucoup amélioré dans mon contact avec les gens. J’étais taiseux, j’ai appris à dialoguer… Un peu !

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