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Matthieu Bouchout, des Rousses à New York

Parti à New York pour un stage de quelques semaines au mitan des années quatre-vingt-dix, le Jurassien Matthieu Bouchout, cinquante et un ans, n’a plus quitté la Grosse Pomme où il a creusé son sillon dans l’immobilier.

Bon sang ne saurait mentir ! La fibre jurassienne coule dans les veines d’Adrian Bouchout. Il a vu le jour de l’autre côté de l’Atlantique à la fin des années quatre-vingt-dix. Son père, Matthieu, lui a transmis son amour du massif. « Il a la double nationalité américaine et française. Il kiffe le Jura, mais a plus la mentalité américaine », reconnaît toutefois le paternel. À l’inverse, lui est né dans l’Hexagone et ses racines maternelles sont ancrées dans les montagnes du Jura. Le binôme vit à New York. Pour le quinquagénaire, agent immobilier reconnu de la Grosse Pomme, cela fait bientôt trente ans. Pour la nouvelle génération, qui travaille en partie avec lui, c’est plus récent.

Quand ils rentrent en Franche-Comté, Adrian Bouchout croise les doigts pour que la neige soit abondante aux Rousses, là où se situe le repaire familial. C’est qu’on a la glisse dans les gênes. La maman de Matthieu Bouchout est originaire du Haut-Jura. « En revanche, mon père est Bourguignon, précise-t-il. Je suis né à Autun et j’ai grandi en Saône-et-Loire. »

Enfant, il effectue régulièrement les allers et retours entre les deux lieux. « Il n’y a que deux heures trente de route. On allait régulièrement sur la station les week-ends et les vacances. Mes parents ont racheté une ferme à un membre de la famille. C’est devenu notre résidence secondaire. On a fêté les trois cents ans de la maison il y a quelques années. » Décédée fin 2024, la maman de Matthieu Bouchout avait des frères jumeaux. « Mon lien avec le Jura s’est renforcé grâce à eux, dit-il à propos de ses oncles. Ils ont connu une belle success-story avec leur entreprise. C’étaient comme des idoles. »

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Adrian Bouchout (FRA), Matthieu Bouchout (FRA) – DR

Armand et Hubert Grand-Chavin se sont en effet fait un nom dans la conception de… snowboards avant que leur entreprise ne soit absorbée au début des années 2000. « Le premier fabricant de skis sous le nom de Grand-Chavin, c’était mon grand-père, déroule Matthieu Bouchout. Avec une autre personne, ils fabriquaient cinq cents paires par an. » Les tontons se lancent dans différents projets. « Ils cogitaient tout le temps et voulaient fabriquer autre chose que des skis de fond. Ils ont essayé des kayaks et des planches à voile, mais cela n’a mené à rien. Ils ont alors eu l’idée des snowboards au milieu des années quatre-vingt. » La discipline en est à ses prémices. Le duo flaire le bon coup. « Ils étaient précurseurs en France et même Europe », glisse, avec admiration, Matthieu Bouchout.

Ses oncles ont fabriqué des snowboards

La mayonnaise prend vite. Les snowboards Grand Chavin cartonnent. « Ils produisaient jusqu’à 65 000 planches par an pour différentes marques comme Hot, Hammer, A. snowboards et Oxbow et employaient une centaine de personnes sur les Rousses, raconte le neveu, pas peu fier. Ils m’ont transmis la fibre entrepreneuriale. J’étais tout le temps à l’usine. Je rêvais de travailler à leurs côtés. » Cette idée ancrée en lui, Matthieu Bouchout se lance dans ses études supérieures à Dijon (Côte-d’Or). Il décroche une maîtrise de science et gestion, spécialisation marketing. La voie royale pour l’entreprise des tontons ? Il tombe de haut. « Mes études terminées, mes oncles ont recruté un jeune pour le marketing international. J’ai tiré la gueule et leur ai demandé pourquoi ce n’était pas moi ! » Ils n’avaient jamais compris les envies du neveu. « On aurait dû se mettre autour d’une table pour en parler franchement. Ils m’ont rassuré en me disant que le prochain job serait pour moi. » En attendant, le jeune homme veut améliorer son niveau d’anglais via un stage à l’étranger.

« J’ai cherché aux États-Unis. J’avais une touche à Orlando pour Disneyworld, mais cela n’a pas abouti. Quelque temps après, un pote m’appelle pour me donner une piste à New York. C’était pour six mois. » On est en 1997. Matthieu Bouchout fonce et découvre un nouvel univers : l’immobilier. « J’étais dans une boîte qui louait des biens à court terme. C’était l’Airbnb de l’époque. » Entre les forêts du Jura et la plus grande aire urbaine des États-Unis, il y a un gouffre. Il s’en accommode sans difficulté. « Cette ville cosmopolite m’a tout de suite fasciné. C’était un monde complètement différent. L’un de mes passe-temps favoris, c’était prendre le métro et observer les gens. Je me suis fondu dans la masse. » Il élit domicile à Brooklyn, au sud-est de Manhattan. « Ma patronne m’a confié le soin de créer une section colocation. Avec un autre jeune, on louait des appartements meublés. Cela m’a permis de rencontrer beaucoup de monde. On m’a proposé de rester plus longtemps que la durée du stage. Je me suis marié rapidement et j’ai eu mon fils. »

Dans le Jura, les affaires des oncles ne sont pas au beau fixe. « La boîte s’est cassé la figure. L’industrie du snowboard a évolué. Les gros fabricants du secteur s’y sont mis. » Armand et Hubert Grand-Chavin se rendent à l’évidence. Le vent a tourné. Il faut vendre pour limiter la casse. « Rossignol a racheté l’entreprise pour un franc symbolique. Cela m’a fait mal au cœur mais c’était comme ça, lâche-t-il avec fatalisme. La naissance de mon fils m’a incité à rester à New York. Quelque temps après, on s’est séparé avec ma femme. Adrian l’a suivi en Floride puis dans les Caraïbes. La période a été un peu compliquée. »

Il a trouvé l’appartement du basketteur Evan Fournier

En revanche, Matthieu Bouchout s’affirme sur le plan professionnel. Il prend ses aises dans l’immobilier. « Cela rejoignait la décoration et l’architecture, des domaines qui me plaisent. C’est aussi un milieu avec beaucoup de rencontres et j’adore ça. » En 2004, la trentaine venue, le Jurassien franchit un cap et devient son propre patron. Il crée HarmoNYCity. « J’ai commencé depuis chez moi avec juste un ordinateur portable et mon téléphone. Je n’étais pas encore dans l’immobilier de luxe. L’idée, c’était vendre un bien à un Européen, le meubler et trouver un locataire. »

La vie n’est pas de tout repos. « C’est du sept jours sur sept et c’est à toi de te faire ton emploi du temps pour éviter le burn-out. Il faut arriver à se caser des jours off et des vacances. Cela m’a pris du temps pour m’organiser. » L’expérience aidant, Matthieu Bouchout a pris ses marques, au point de rejoindre le giron de la famille Kretz, que connaissent bien les fans de la série L’Agence, diffusée dans le monde entier sur Netflix et en France également sur TMC.

À New York, le comté n’est pas donné !

Représenter la famille Kretz à New York lui a permis de se rapprocher de son fils. « Quand j’ai commencé à travailler pour eux, Adrian était à Orlando et terminait ses études. Je l’ai appelé pour dire que j’avais besoin de lui pour travailler avec moi. Pas dans six mois ou un an, mais immédiatement. Il est venu seul et sa copine l’a rejoint par la suite. Elle s’occupe de nos réseaux sociaux. Il travaille à mi-temps et exerce aussi comme coach particulier de basket. À New York, il y a une clientèle pour ça. L’avoir à mes côtés, c’est génial. Il me remonte le moral quand ça ne va pas. » Pour l’anecdote, le Franc-Comtois a d’ailleurs trouvé un appartement au Français Evan Fournier, à l’époque où le joueur défendait les couleurs des Knicks en NBA, le championnat nord-américain. « On est passionné de basket de père en fils. Mon père, Daniel, a joué à un assez haut niveau, jusqu’en Nationale 1. »

Malgré la distance, le Jura garde une place à part dans le cœur de Matthieu Bouchout. « En plus de ma famille, j’ai encore pas mal de potes là-bas. » Il revient en France au moins deux fois dans l’année, à l’été et pour les Fêtes de fin d’année. « À Noël 2024, on a eu des conditions exceptionnelles dans le Jura. Comme moi, ma compagne est sportive. Dès la sortie d’avion, on met les raquettes pour partir en balade. J’adore la montagne et la nature. »

À plusieurs milliers de kilomètres des Rousses, il demeure un formidable ambassadeur du massif jurassien. Il suffit d’appuyer sur le bouton pour que le quinquagénaire use de son talent de commercial. « L’un de mes coins préférés, c’est le massif du Noirmont. » À cheval entre la France et la Suisse, il culmine à 1 540 mètres d’altitude. Le plus Jurassien des New Yorkais se fait même plus précis : « Le spot que j’adore là-bas, c’est le Creux du Croue. » Cette curiosité géologique est l’une des rares combes du Haut-Jura. Il présente la particularité d’être fermé. « Mon truc, ça reste de grimper au sommet et de voir les Alpes ! martèle-t-il. J’adore la vue. Dès que je vois la pente, je pense snowboard. On redescend comme ça. » Le ski de fond a aussi ses faveurs, « surtout dans le massif du Risoux. Lors des dernières vacances de Noël, on est allé sur le site de la Vattay (dans la station Monts-Jura, dans l’Ain). C’est toujours là et vers la Faucille qu’il y a le meilleur enneigement. » Les sorties se révèlent un baromètre qui ne ment pas : « Le ski de fond, c’est une super discipline pour savoir si tu es forme. Quand tu fais dix kilomètres avec les gens du coin, tu vois tout de suite si c’est le cas… ou pas ! »

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La famille Kretz – Sam Pinto/TMC

Après l’effort, il y aura toujours le réconfort avec les produits du terroir. « C’est l’un des trucs qui me manque le plus aux États-Unis, avoue-t-il. À New York, tu peux trouver du fromage à raclette et même du comté assez facilement. La qualité est bonne, mais le prix aussi ! Tu en as tout de suite pour 40 à 50 balles pour quatre à six personnes. C’est deux fois et demie le prix en France. » Matthieu Bouchout a ses habitudes chez un épicier français. « Sa boutique est top et il cartonne. Il est ici depuis au moins trente ans. Il est devenu très new yorkais et tombe un peu dans le cliché, s’amuse son compatriote. Il vend les paquets de Monaco (des crackers gratinés d’emmental) au moins cinq ou six balles. Sur le marché des Rousses, tu les trouves à 1,20 euro ! » Si Matthieu Bouchout a changé de monde en traversant l’Atlantique, il a décidément bien gardé le sens des valeurs de sa terre natale.

 

À l’affiche de la série L’Agence sur Netflix et TMC

« Plein de potes m’ont reconnu. J’ai reçu des tas de messages ! » Des pentes du Jura à une diffusion dans le monde entier via Netflix, il n’y avait que quelques pas pour Matthieu Bouchout. Il s’est retrouvé embarqué dans l’aventure de la série L’Agence (The Parisian Agency à l’international) que diffuse aussi TMC, la chaîne de la TNT du groupe TF1 (elle est accessible sur TF1+). Il apparaît dans des épisodes de la saison 4, diffusée en France à partir de décembre 2023. Cette série à succès, sous-titrée « L’immobilier de luxe en famille », est produite par Réservoir Prod, la société fondée par feu Jean-Luc Delarue. Elle suit au quotidien les membres de la famille Kretz, agents immobiliers spécialisés dans les biens de luxe. Il y a Majo, la grand-mère ; Sandrine et Olivier, les parents, et leurs quatre enfants, Martin, Valentin, Louis et Raphaël.

C’est par l’intermédiaire de Valentin que Matthieu Bouchout a rejoint le giron des Kretz et, par ricochet, le programme. « Il y a une dizaine d’années, j’ai pris un stagiaire. Une agente qui travaillait avec moi m’a dit que le meilleur pote de son compagnon arrivait à New York et cherchait un stage de six mois. C’était Valentin. Notre entretien s’était bien passé alors je l’ai accepté », souligne Matthieu Bouchout. Le bilan du stage est positif. Matthieu Bouchout, conscient du potentiel du garçon, n’hésite pas à recadrer Valentin quand il estime que c’est nécessaire. « Il n’avait que vingt-trois ans et était un peu feu follet mais il a respecté ce que je lui disais. C’était bienveillant et constructif de ma part. Par la suite, cela a créé un lien d’amitié entre nous. »

Réunion au sommet

Invité par son ami et ancien stagiaire Valentin Kretz à passer des vacances au Brésil – « Il voulait m’apprendre à faire du kitesurf » –, Matthieu Bouchout rencontre ses parents et ses frères et sympathise avec eux. « À l’époque, ils étaient déjà dans l’immobilier de luxe mais se concentraient sur Paris. Il y a quelques années, Olivier Kretz, le père, m’a dit que je les représenterai un jour à New York. J’ai rigolé sur le coup mais cela m’a fait cogiter. » Grâce à L’Agence, les affaires des Kretz sont au zénith. Ils se développent rapidement dans de nombreux pays. Vient le tour des États-Unis et New York. « Je suis allé à Paris pour discuter avec les Kretz. On est tombé d’accord et j’ai pris une seconde licence d’agent immobilier. » Pour faire simple, Matthieu Bouchout poursuit son activité de gestion immobilière via son agence HarmoNYCity et de l’autre côté, il vend de biens d’exception sous l’étiquette de la famille Kretz, en reversant un pourcentage de son chiffre d’affaires.

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Matthieu Bouchout (FRA), Harry Macklowe (USA), Valentin Kretz (FRA) – DR

« Grâce à Netflix, la série est visible dans pratiquement 200 pays. Je ne sais même pas combien de millions de personnes cela représente, souffle-t-il. Le show télé existait depuis deux saisons quand on a acté notre collaboration ». Dans la saison 4, on le voit notamment demander à Valentin Kretz de transmettre à ses parents son envie de les représenter. « Il y a aussi un épisode où on rencontre un milliardaire et magnat de l’immobilier à New York. On lui négocie des appartements dans une tour qu’il a fait construire », dixit Matthieu Bouchout. Il fait référence au dixième et dernière épisode et au légendaire Harry Macklowe, toujours bon pied bon œil à quatre-vingts ans largement passés. Entre autres états de services, l’alerte octogénaire a soufflé la tour General Motors à Donald Trump au début des années 2000 pour près d’un milliard et demi de dollars !

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