Le petit gamin du généraliste d’Andelot a joué dans Le Grand Bleu. Le film de Luc Besson, emblématique d’une génération, célèbre en 2018 ses trente ans. Portrait d’un Jurassien qui s’est ensuite tracé une voie royale en prêtant sa voix au monde du show-biz.
À le voir, c’est une « gueule ». À l’entendre, c’est un déluge de voix venues des mondes virtuels de la publicité, de la BD, du cinéma ou des jeux vidéo. De plus près, c’est un mélange de rythme et de zen. Pierre-Alain de Garrigues échappe, depuis trente-trois ans, aux clichés. L’homme à la cinquantaine sereine est un caméléon beaucoup plus pudique qu’il en a l’air. C’est surtout un homme des grands espaces intérieurs, un mélange des vagues de l’océan qui claquent du côté de Mimizan et des arbres centenaires de la forêt de la Joux.
Quand on lui demande de se définir, PADG (le raccourci de son nom pour ceux qui le connaissent bien), véritable pape dans son métier, a une formule qui le fait rire : artiste-à-facettes. Le gaillard a été batteur, chanteur, auteur, acteur, doubleur de 45 000 voix, producteur et même un peu mannequin. Mais il le reconnaît lui-même, il a toujours été au bon endroit au bon moment, et il a toujours suivi sa bonne étoile : « Cette faculté à entrer en moi, à me recentrer, à m’écouter et à me respecter dans mes choix, c’est dans la forêt de la Joux que je l’ai apprise. » Explication : après deux ans à l’université à Besançon, où il passait plus de temps à jouer dans un petit groupe qu’à étudier dans les amphis, la fac de philo l’ennuie. Il demande une année sabbatique à ses parents pour écrire un livre. Rien que ça et le voilà débarqué dans le petit chalet familial en bordure d’une des plus belles sapinières de France. Premier contact conscient avec les arbres qui le marqueront à jamais par leur « sagesse », avec la neige et le ski de fond aussi : « Ce fut pour moi un travail intérieur et extérieur, le fondement de tout. »
À partir de là, la chance ne va plus le quitter. Quand il envoie son manuscrit aux éditeurs parisiens, il obtient un rendez-vous avec Jean-Marc Roberts en personne, le patron du Seuil. À 22 ans, on lui propose un contrat qu’il refuse : « Il fallait écrire deux livres en cinq ans, j’étais resté tout seul pendant des mois, je ne voulais pas recommencer ! »
À son retour à Andelot, dans le Jura, sa mère lui annonce qu’il part pour la Bretagne où elle lui a trouvé un travail d’écrivain pour la capitainerie de Lorient : « Je me suis retrouvé sur le bateau La Peyrouse pour une saison de pêche de trois mois dans l’Atlantique Nord, je devais écrire là-dessus. Au bout de deux semaines, j’avais fait le tour de la question ; le reste du temps, j’ai bossé avec les pêcheurs. Une expérience inoubliable. »
Au retour, le Seuil lui commande un reportage d’un mois et demi dans les oasis tunisiennes avec un photographe. Nouvelle découverte. Quand il rentre, il décide de monter à Paris faire de la musique avec son groupe, le contrat espéré ne sera jamais signé, mais il reste dans la capitale.
Le p’tit coup de chance
Madame la chance est présente quand il décroche un job de batteur pour une émission en play-back avec Dick Rivers qui passe dans l’École des Fans de Jacques Martin. Elle est encore là quand, sans le sou, il croise la route de René Pourcheresse, autre Jurassien, patron du restaurant Pacific Palissade, qui le reconnaît et le fait bosser comme serveur. Elle est toujours fidèle au poste quand un copain l’inscrit, sans le lui dire, au casting de la comédie musicale La petite boutique des horreurs que prépare le producteur – entre autres – de Claude François, Paul Ledermann. Mais ce n’est plus sa bonne étoile qui compte lorsqu’il décroche le rôle. Le gaillard sait saisir les opportunités : « Les producteurs américains avaient remis en cause l’acteur du rôle principal. Avant de passer le casting, j’ai pu regarder ce qu’il se passait sur scène et j’ai vu qu’on ne voyait pas l’acteur, mais il devait donner sa voix à une plante qui dévorait tout. C’était très difficile, car il fallait être dans le rythme. Je me suis concentré et, là, mon métier de batteur m’a servi ! » Il signe son premier vrai cachet : 150 € la semaine. Le pactole.
Et qu’est-ce d’autre sinon de nouveau la chance quand il décide de couper ses cheveux pour changer de look et se fait remarquer – sa belle gueule y est pour quelque chose – par Nathalie Cherron, productrice qui lui propose quelques semaines plus tard un rôle dans le film Le Grand Bleu d’un jeune réalisateur, Luc Besson, avec un certain Jean Reno. Il enchaînera ensuite avec Nikita : « Je dois beaucoup à Luc Besson, j’ai fait plein de choses avec lui dans la production, la liaison avec la Gaumont… En parallèle, je continuais la musique avec les copains, j’ai fait une tournée avec Laurent Voulzy. »
Énième coup de bol quand le même Besson lui demande d’aller récupérer un contrat dans une boîte de production du XVe arrondissement et qu’il remplace au pied levé un comédien devant prêter sa voix à deux chiens, un gros et un petit : « Gérard Laffont, le producteur du film, était coincé, il n’avait personne sous la main. J’ai dit que je savais faire, mais je n’avais jamais fait de voix-off. J’ai bien vu qu’il n’y croyait pas, mais j’étais vraiment fait pour ça, je me sentais à ma place ! » Succès. Il commence à enregistrer quelques doublages.
Et ultime hasard heureux quand, un jour qu’il est en studio, le réalisateur Jean Becker débarque à la recherche du merle blanc : « Il fallait dire une phrase en sept secondes dans une pub et l’acteur choisi la disait en onze secondes, ça ne passait pas ! » Il n’a pas besoin de se proposer, tout le monde le montre du doigt et le voilà, casque sur les oreilles, vantant la juste sèche de Justin Bridou : « Je me suis planté quatre fois. À la cinquième, c’était bon ! »
Patrick Kuban, la voix de Canal +, qui côtoie PADG depuis 1988, voit en lui un professionnel hors pair : « C’est un acteur-né, il a un don pour jouer devant un micro, comme un enfant, et il n’a pas de limite dans le jeu. Il est atypique dans le métier en ce sens qu’il est polyvalent. Il peut enregistrer n’importe quoi et c’est très rare. Il possède ce don de s’adapter aux désirs des producteurs ou des financiers. C’est une référence, sa voix fait partie de notre inconscient collectif et c’est pour toutes ces raisons qu’il dure depuis trente ans ! »
De Danone aux Guignols
De là, il va prêter sa voix pour la publicité de Danone, qu’il doit encore à Jean Becker avec qui il a signé un contrat alléchant. Mais Pierre-Alain de Garrigues va plus loin, il travaille pendant près d’un an sur un projet qui lui est personnel : « Je ne savais pas trop comment allait évoluer mon nouveau métier, il n’existait pas de professionnels de la voix à cette époque, nous étions quelques-uns, alors j’ai enregistré une cassette, la Banque des mots, qui est devenue ensuite le premier CD de voix. J’en ai fait cinq mille que j’ai envoyés à tous les techniciens. Du coup, ils l’utilisaient tous. À partir de ce jour, j’ai basculé dans une autre dimension, c’était dans les années quatre-vingt-dix. »
Il travaille avec les plus grands et multiplie les supports : Groland, Vu sur Terre, Française des jeux, Nescafé, Adidas, Chanel, Coca, Kellogs… Depuis plus de vingt ans, il est le complice de Daniel Prévost pour la publicité Super U, il chante les Produits Laitiers, écrit les chansons de Tic-Tac ou Mérinos, prête sa voix au Hobbit, incarne les jeux vidéo World of Warcraft. Producteur à ses heures, PADG a créé Le Grand Tout, film de science-fiction de Nicolas Bazz, et lancé la collection de contes Papa te raconte. Mais il demeure intermittent du spectacle, c’est son statut et il y tient.
Avec d’autres, il a fondé « lesvoix.fr », une association qui regroupe plus de 200 professionnels et régit ce métier où les dérives sont fréquentes.
S’il songe aujourd’hui à redonner aux jeunes générations un peu de son expérience, en animant des master class, il n’a pas pour autant l’intention de lever le pied : « J’adore faire ce boulot en vivant vraiment l’instant présent, sans oublier qui je suis, d’où je viens. Dans ma tête, j’ai toujours vingt-trois ans ! »
Photos : Numéro 39