

Au départ, il y a le vélo. À l’arrivée, les dunes avec sa moto. Un fil rouge, le Jura. Benjamin Melot, trente-six ans, pilote moto engagé en rallye-raid, porte le numéro du Jura sur sa plaque avec fierté. Le 39, il le revendique. « Nous, on ne dit pas qu’on vient de Dole ou de Lons-le-Saunier. On dit qu’on est du Jura. C’est presque une identité collective. Et je suis fier d’emmener tout ça avec moi sur les rallyes », assure celui qui affiche huit Dakar au compteur comme pilote et quatorze au total. Ce n’est pas qu’un chiffre sur une plaque. C’est un morceau de territoire qu’il emporte partout, du sable d’Abu Dhabi aux pistes du rallye dont la 47e édition s’est déroulée en janvier dernier en Arabie saoudite. Le 39, c’est l’écho constant du Jura qui est enraciné en lui.
Né à Dole, il a grandi à L’Étoile et incarne une forme de fidélité à sa terre. Il l’a quittée souvent, pour mieux la retrouver. « Je suis parti pour le boulot pendant pas mal d’années et j’ai toujours fini par y revenir ». Le Jura n’est donc pas un point de départ, c’est son socle, sa base.
Le mécano
Grand sportif, il est aussi né au bon endroit. « Le Jura, c’est une terre de sport », affirme-t-il avec entrain. Avant la moto, il y avait donc le vélo. Pas simplement un loisir, mais un projet d’enfant sérieux. Avec un rêve, devenir professionnel et disputer le Tour de France. Licencié au Guidon Bletteranois (qui a vu passer Pierre Gautherat qui porte les couleurs de Decathlon AG2R La Mondiale et Évita Muzic), il sillonne les routes vallonnées, gravit les petites côtes de son département, développe une endurance qui, des années plus tard, lui sera précieuse dans le désert. Mais surtout, il tombe en amour de la mécanique. « J’abîmais mon matériel, alors il fallait bien apprendre à le réparer », se souvient-il.

Benjamin Melot (FRA) – Nicolas Breche
Mettre les mains dans la machinerie devient alors une vocation. Il s’oriente alors tout naturellement vers une formation dans le domaine au lycée professionnel Henri Fertet de Gray, en Haute-Saône. Il vise une spécialisation dans le cycle, mais l’année de son inscription, la filière ferme. Ne reste que la moto. C’est à ce moment-là que sa vie bascule. Pourtant, à la maison, il ne possède pas l’engin. « Je n’en avais pas les moyens, mes parents non plus », raconte-t-il. Ce n’est qu’à l’âge de dix-huit ans qu’il franchit le pas. Avec un ami, ils investissent leurs économies dans des petites cylindrées chinoises bon marché. Ils effectuent leurs premiers tours de piste et s’engagent dans un championnat de France amateur. « Ce n’était pas cher, on voulait faire des courses, c’était notre seule option. On a trouvé un terrain à Arlay, prêté par un agriculteur. C’est là qu’on s’entraînait. On passait nos week-ends à rouler, à bricoler. C’était notre camp de base, notre école. » Tout de suite, les fesses sur sa selle, les mains sur le guidon, il retrouve de nombreuses similitudes avec ce qu’il connaît avec la petite reine. « Les premières fois que je suis monté sur une moto, j’avais des bases de pilotage. Je maîtrisais déjà la trajectoire grâce au VTT et au cyclo-cross », décrit-il. Entre deux sauts de bosses, la passion grandit et l’ambition aussi.
Benjamin Melot entame sa carrière dans les coulisses, comme mécanicien, ce qui ne l’empêche pas de parcourir le monde. Il rejoint des paddocks prestigieux grâce au constructeur autrichien KTM : en 2011, il accompagne un autre Jurassien, Hugo Dagod, notamment aux États-Unis sur le circuit supercross, puis il bichonne les motos de Ruben Faria et Cyril Despres (celui-là même qui a remporté à cinq reprises le rallye Dakar dans la catégorie moto).

Benjamin Melot (FRA) – Nicolas Breche
Pendant près d’une décennie, il observe, apprend, retient. Jusqu’à ce que l’envie de piloter ne soit plus contenue. En juin 2015, il s’essaie à son premier rallye en Sardaigne, sur une moto d’enduro, la Sardegna Rally Race, quatrième manche du championnat du monde, de FIM des rallyes tout-terrain. Nul doute, il a attrapé le virus.
En selle
Forcément, le Dakar le fait rêver. Parcourir les dunes du désert, les canyons de pierre ou les pistes fuyantes à plus de 100 km/h, avec pour seul repère un road-book déroulé à la main… La course n’est pas seulement un défi sportif. C’est une aventure totale, un face-à-face avec soi-même, le monde et ses limites. Le Jurassien la connaît depuis 2011 côté assistance. Mécanicien de l’ancien rugbyman Christian Califano, il tombe immédiatement sous le charme. Et, forcément, il rêve de passer de l’autre côté, de connaître ce que vivent les pilotes professionnels, comme Toby Price ou Daniel Sanders chez KTM, ou encore Adrien Van Beveren chez Honda, pour qui cette compétition est le sommet de la saison, plus exigeant qu’un championnat du monde. L’itinéraire, long de plus de 8 000 km, alterne dunes, cailloux, fesh-fesh, navigation aléatoire et dangers invisibles. La chute n’est jamais loin, le découragement non plus. Avant de franchir le Rubicon, Benjamin Melot joue la carte de la discrétion. « Ce n’était pas facile au début, confirme le Jurassien. Tu passes pour le gars qui se prend pour je ne sais qui. Donc, je n’en parlais pas trop. Mais j’observais, je posais des questions aux amateurs. Je notais tout, je m’informais discrètement. »
En 2018, il franchit le pas ; il s’engage enfin comme pilote sur le Dakar. Avec son numéro 39 sur la plaque, il choisit une catégorie rude : la Malle Moto. « On est en autonomie. L’organisation nous transporte une caisse avec nos outils, notre tente, nos affaires. Pas de mécanicien. Pas de confort. Juste toi et ta moto », explique-t-il. Cette rudesse, il ne la fuit pas ; au contraire, elle le motive. Son premier Dakar, il le finance grâce à quelques sponsors et… en vendant du vin. « C’était un peu un plan B, mais ça a marché ! » KTM lui prête une moto : une KTM 450 Rally. En échange, il leur donne un coup de main. Malheureusement, son aventure s’est interrompue prématurément lors de la septième étape, en Bolivie, en raison d’un problème mécanique. L’année suivante, il revient fort en terminant 21e du général et 2e Français.
Si proche de la victoire
La consécration se rapproche. Le Dakar 2025 lui échappe de peu sur la dernière journée. Longtemps dans le top 3, il prend la tête la veille de l’arrivée. L’histoire semble écrite. Mais une erreur de navigation – une balise manquée le contraint à faire demi-tour – le rêve s’envole. « J’avais une minute d’avance. On partait en ligne. Personne ne pouvait me doubler… Mais j’ai oublié un repoint. Quand je m’en suis rendu compte, il était trop tard. » Il prend finalement la deuxième place dans la catégorie “original by Motul”, derrière le Roumain Emanuel Gyenes (pour seulement trois minutes et cinq secondes). De cette édition, il garde un souvenir fort : une huitième place sur une étape face aux concurrents qui s’appuient sur des staffs complets. « Un résultat comme ça, c’est inimaginable ! On était dans les dunes, des conditions que j’adore. C’est ce que je retiens de mon Dakar 2025. »

Benjamin Melot (FRA) – Nicolas Breche
Quand il n’enfourche pas ses deux-roues, l’homme transmet sa passion. Tout d’abord sur les réseaux sociaux avec une chaîne YouTube – Benjamin Melot – qui compte plus de 31 000 abonnés fidèles à la série « Vis ma vie du Dakar ». Il a également fondé la Benji Melot School, où il propose des formations en ligne et des stages en immersion : navigation, mécanique, gestion de course, logistique, préparation physique. « J’ai toujours été dans le partage. Aujourd’hui, j’ai envie d’aider ceux qui rêvent, mais n’osent pas. » Comme un écho à son propre itinéraire. Loin des clichés élitistes du rallye-raid, il accompagne aussi des stagiaires de vingt à… soixante-cinq ans. « Certains me disent : “Je ne ferai qu’un rallye dans ma vie, mais je veux être prêt.” Je les prends. Je les prépare. Je leur évite les pièges. »
Aujourd’hui installé à Courlans, il continue de promener sa bicyclette sur les routes jurassiennes. « Le Jura, c’est parfait pour ça. T’as du plat avec la Bresse si tu veux rouler tranquille, et des petits cols si tu veux te mettre la misère. » Le vélo est toujours là, comme un fil rouge. « Il m’a beaucoup aidé. D’un point de vue physique et technique. Je fais encore une dizaine d’heures de sport par semaine, entre vélo, muscu et proprioception », précise-t-il. Benjamin Melot n’a jamais été aussi affûté. L’expérience désormais complète la hargne des débuts. Il vise à nouveau le podium mais cette fois, pour le grimper tout en haut. « Je me sens de mieux en mieux. Je progresse encore. Et tant que le corps suit, je continue. » Quelque part, entre les sapins de son Jura natal et les tempêtes de sable d’Arabie, il y a un homme qui trace son chemin. Un homme fidèle à sa terre. Un homme qui roule au nom du Jura.