À 28 ans, les deux petits Jurassiens de Sermange se sont fait un nom dans le milieu parisien de la mode et du spectacle. Fusionnels depuis leur enfance, ils ont franchi une à une les marches du succès en se tenant la main. Leur secret : croire très fort en leurs rêves.
Mathilde habille les danseuses du Crazy Horse et peaufine pour la rentrée le lancement de sa propre marque de prêt-à-porter. Jonathan, après avoir réalisé les costumes des artistes du Paradis Latin pendant cinq ans, est costumier dans la pièce Les Amis dans laquelle joue Kad Merad. En moins de dix ans, ce couple de copains atypique, originaire du pays dolois, a trouvé la notoriété dans un milieu réputé impénétrable.
Une même passion
Comment ont-ils fait ? C’est l’histoire d’une alchimie. Une énigme. Mathilde Lhomme et Jonathan Brugnot composent un duo improbable, unis depuis les bancs de la maternelle, fusionnels au collège et au lycée, inséparables depuis qu’ils sont montés à Paris. Personne ne peut comprendre vraiment ce qui les pousse l’un vers l’autre. Même eux ont du mal à l’expliquer. Jonathan ne se pose d’ailleurs pas de questions : « On a toujours été les deux, tout partagé, travaillé comme des fous, et surtout rêvé ensemble. » Mathilde ne se souvient pas d’une seule journée sans lui : « Il était tout le temps chez moi ou moi chez lui ; c’était plus que frère et sœur. On avait les mêmes envies, loin de celles des enfants de notre village. »
Mais une passion, cela se construit. Depuis qu’ils sont en primaire, ils se déguisent, dessinent des vêtements, découpent des images dans les magazines, collent, assemblent. Univers de strass et paillettes, posés devant la télé. Plus tard, au lycée, ce sont les chorégraphies, la musique, les vidéos et même les concerts pour les copains. Une complicité qui marginalise. Adolescents, ils ont l’impression de ne pas être au bon endroit. Mathilde trouve les mots pour l’exprimer : « On n’était pas seuls contre tous, mais on avait l’autre. » Jonathan en garde une forme d’amertume : « Travailler dans le spectacle, c’était un rêve inatteignable depuis un village de deux cents âmes où il y a plus de vaches que d’habitants. »
Aujourd’hui, tout cela fait partie de leur capital. Même s’ils ont choisi des voies sensiblement différentes entre mode et haute couture d’un côté, spectacle et musique de l’autre.
Du coup, pour obtenir une réponse, il faut se tourner vers la famille. Aurélie, la grande sœur de Mathilde, parle d’inspiration : « Ils se complètent, avec chacun sa personnalité. Jonathan est plus extraverti, Mathilde a besoin de se sentir en sécurité chez elle, avec ses animaux. Ensemble, ils ont franchi des étapes, ils ont compris qu’ils devaient repousser leurs limites et se mettre des objectifs. »
De fil en aiguille
Et le Jura, dans tout ça ? Se contenter de dire que les jeunes voulaient le fuir serait une erreur. Ils ont les pieds dans la terre doloise, même si la tête est ailleurs. Quand ils décident de « monter à la capitale », à dix-neuf ans, ce n’est pas pour fuir, mais parce qu’il est impossible, pour eux, de décrocher leur étoile sur place. Ils le savent. Sermange, le village de l’enfance, mais aussi Malange, Fraisans, Dole et le lycée Pasteur où ils s’engouffrent dans les métiers du spectacle, option habillage… Tous ces lieux composent leur terroir, celui qu’ils emmènent à Paris, avec leur naïveté, leur accent et leur passion. Et de loin, leurs proches les ont toujours suivis avec bienveillance. Mathilde aime revenir dans la maison de ses jeunes années, se raconter, demander des conseils. Se ressourcer. Pour Jonathan, c’est différent : « Le Jura reste une fierté, j’essaie de revenir deux ou trois fois par an. Cela me fait du bien de rencontrer des gens hors du milieu du spectacle. Dans ma famille, ils connaissent toutes mes galères, ma mère m’a beaucoup aidé. »
De passage à Dole, en mars dernier avec le spectacle de Kad Merad, il a accueilli quelques élèves de Pasteur à la Commanderie pour leur raconter son parcours. Témoigner lui a plu : « Je sais aujourd’hui que je reviendrai dans mon lycée, mais ce sera sûrement avec Mathilde. »
Ah, tiens, on oublie quelque chose… Ce qui a tout précipité. Les deux dernières années du cursus scolaire, le temps des stages, à Lyon d’abord, où le duo découvre enfin la vie ensemble pendant un mois – la plus belle période de leur vie –, à Paris ensuite. Et c’est un double coup de cœur pour Jonathan : « J’ai fait un stage chez Helena Petit. Dans son atelier, ses costumes couvraient un mur entier. Je me suis dit, c’est ce que je veux faire ! »
Il y aura aussi cette comédie musicale, Dracula, l’amour plus fort que la mort, mis en scène par Kamel Ouali, qui va jouer un grand rôle dans son parcours. Jonathan s’émerveille : « En deux heures, ma vie a changé ! »
Les deux Jurassiens multiplient les allers-retours entre Dole et Paris pour de petits CDD, louent des chambres. Tout cela dure plusieurs mois. Quand ils en ont marre, ils décident de prendre un studio. Ils resteront trois ans dans 16 m² à dormir sur un matelas posé au sol.
L’expérience de la danse
Mais Paris n’est pas Dole, les CV qu’on dépose ici et là ne mènent nulle part. Mathilde loupe une première embauche dans un magasin de robes de mariées, s’inscrit dans plusieurs agences d’intérim et commence à faire des petits jobs comme habilleuse. Un beau jour, elle est recrutée en pleine Fashion Week pour un défilé Chanel. Cette première expérience en amène d’autres : « On m’a engagée sur les défilés, quatre fois une semaine dans l’année. »
Mais pour le binôme, le véritable déclic a lieu ailleurs, très exactement à l’Académie nationale de danse, où le tandem va se retrouver pour un stage de vacances. Cadeau offert à Mathilde pour ses vingt ans. À la fin, la directrice, étonnée par leur potentiel, les accepte dans son école et leur trouve même une bourse. Pendant deux ans, ils travaillent comme des forçats : chant et danse la semaine, création de costumes le week-end pour des spectacles : Pinocchio, Boléro de Béjart, Casino de Paris…. C’est sans doute là que leurs futurs univers se dessinent. Celui du spectacle électrise Jonathan : « La meilleure école, c’est le terrain. J’ai appris plein de choses et je me suis fait un carnet d’adresses. Tous ces gens, je travaille avec eux aujourd’hui. » La haute couture et le stylisme pour Mathilde : « À l’école, on sortait de nulle part et cela impressionnait beaucoup de monde. »
Ils courent les castings, mais le métier de danseurs ne veut pas d’eux. Pourtant, cette expérience de la scène et des costumes les ramène sur leur vraie voie. Ils savent désormais ce que signifie être sur scène. Mathilde résume bien ce recentrage : « On a appris la discipline et l’envie d’aller plus loin. Surtout, on s’est rendu compte que tout était possible. On ne voulait rien lâcher. »
Récompenser son enfant intérieur
À partir de là, il faudrait parler de cet énorme enchaînement d’expériences et de rencontres. Mathilde multiplie les missions en intérim : défilés, showrooms privés, ateliers de haute couture pour Givenchy, Ralph & Russo, CDI comme vendeuse chez Zara et, surtout, succession de contrats à Disneyland Paris pour l’habillage des spectacles du parc à thème : « Rien à voir avec l’austérité des ateliers de couture, tout le monde s’embrassait, s’amusait. »
Jonathan court les petits jobs, retourne travailler quelques mois chez Helena Petit et décroche un poste d’habilleur au Paradis Latin, le cabaret pur et dur : « Je travaillais six jours sur sept, de 16 à 24 heures et, à côté, je multipliais les shows. » Il croise aussi la route de Kamel Ouali qui lui propose des extras : « Je créais, mes dessins d’enfant ont pris vie. »
En 2019, le Paradis Latin confie sa nouvelle revue à… l’ancien professeur de la Star Academy, avec Iris Mittenaere, Miss Univers, en meneuse de revue, entourée des chanteurs et danseurs de l’émission de TF1. Jonathan en sourit encore : « À huit ans, quand je les regardais à la télé, j’étais émerveillé. Vingt ans plus tard, j’ai fait leurs costumes ; c’est une forme d’accomplissement. » Son amie Coco Vanille, aujourd’hui danseuse au Crazy Horse, se souvient de sa passion : « En plus d’être doué, c’est un personnage haut en couleur. Il est une des meilleures rencontres que j’aie faites. Il m’a fait aimer mon travail. »
Au théâtre ce soir
Les destins commencent à se caler, ils trouvent chacun un appartement et Mathilde opère un double virage. Chez Mickey et la Belle au Bois dormant, elle rencontre celui qui deviendra son compagnon et elle décide de devenir intermittente du spectacle, prémices à son grand projet de styliste indépendante. Mais finalement, c’est peut-être la Covid-19 et les confinements qui scellent les choses. Durant cette période, Jonathan plonge dans le milieu du spectacle : théâtre de Paris, de la Michodière. Guillaume de Tonquédec, Patrick Chesnay, Kad Merad, Claudia Tagbo qui dit de lui : « Des garçons comme lui, on en a besoin dans notre métier. » Sans parler de ses costumes qui illuminent la soirée du Nouvel An à la télé : « Aujourd’hui, j’ai réalisé tous mes rêves ; il me reste Broadway. Je me donne dix ans pour y arriver. Mais, en 2023, j’aimerais participer à la tournée d’adieu de Mylène Farmer. C’est la plus grande artiste française et ses vêtements sont signés Jean-Paul Gauthier. »
Mathilde baigne dans la haute couture. Finaliste du Concours international des jeunes créateurs en 2016, elle a pu présenter son premier défilé à Paris avec ses propres créations. L’an dernier, lauréate d’un concours de designer/styliste pour une société internationale, elle a commencé à vendre sa collection de prêt-à-porter en ligne. Aujourd’hui, elle prépare le lancement de sa future marque dans son petit atelier en Seine-et-Marne. Un prêt-à-porter très personnel, mélange de la haute couture et du monde du spectacle, avec perles et clous… Nadia, l’amie de Disney, a suivi sa métamorphose : « À la base, elle n’avait pas forcément confiance en elle, mais sa collection a provoqué un déclic. Sa vision est très moderne et elle reste simple, centrée sur son objectif. Elle met pile dedans, elle ira loin. » Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, elle travaille depuis six mois pour le Crazy Horse, au milieu des perles, des plumes et des dentelles : « Le vêtement, c’est une énorme forme de communication sur ce qu’on veut être et dire. Je voudrais voir les miens portés dans la rue. On a tous le droit de rêver et rien n’est impossible. En ce moment, je récompense mon enfant intérieur. »