Connect
Haut

Claude Azéma, le patron mondial de la boule

Gentleman-farmer en son moulin de Nevy, patron du boulisme international, familier  de l’Assemblée nationale, grand dévoreur de mots,  Claude Azéma passe le tiers de sa vie dans les avions.  Mais c’est sur le terrain de pétanque  de Lavigny que le Monsieur Boule frenchy a commencé  à conquérir le monde.

 

Et si on grattait là où ça fait mal ? Si on commençait par un échec ? Oui, l’homme est meurtri, pas de doute là-dessus. Terrassé parce qu’investi par tout un monde pour mener la pétanque jusqu’aux Jeux olympiques, le président jurassien de la Fédération internationale de pétanque et jeu provençal n’imaginait pas être recalé par ses pairs, à Paris, la ville qui est la sienne depuis bientôt cinquante ans. Une défaite personnelle.

Au pied du podium

C’était la dernière. Promis. Juré. À 73 ans, Claude Azéma menait son ultime croisade. Pendant des années, l’homme a tissé sa toile, grimpé les échelons de boulodromes en salons, pour se hisser aux plus hautes responsabilités dans le milieu mondial de la boule. Il se voyait emmener tout son monde jusqu’au pied du Carrousel, au cœur de la capitale. Paris 2024. Après, il aurait tiré sa révérence !

Mais le 21 février dernier, le verdict est tombé. La petite boule n’ira pas aux JO, elle finit au pied du podium comme un athlète maudit. Que s’est-il passé ? A-t-il pointé trop court ? Tiré trop haut ? Va savoir, d’autres que lui ont décidé et pas forcément au niveau français. Il se dit, dans les coulisses, que le Comité d’organisation tricolore n’était pas le vrai décideur.

Le surf, l’escalade, le skateboard – lesquels, coïncidence, avaient déjà été rajoutés par le Comité international olympique (CIO) à Tokyo – et même la breakdance ont su trouver les mots pour convaincre. Pas lui. « C’est une énorme déception, concède-t-il. Mais je n’ai pas poussé des cris d’orfraie, ça ne sert à rien. » Il est encore possible d’organiser des exhibitions en amont des Jeux.

Michel Signaire, qui fut son trésorier à la fédération, sait bien sa déception : « C’était son cheval de bataille, il n’a rien montré parce que c’est un homme secret et dur, confie-t-il. Il va repartir ».

Le refuge en son moulin

Ce n’est pas la première fois que le gaillard essuie des échecs et, comme toujours, c’est en son moulin de Nevy-sur-Seille qu’il vient reprendre son souffle. L’immense bâtisse, qui fut la propriété de la Marie Daumard, la boulangère de tout le canton, qui faisait la tournée des villages avec sa 2 CV camionnette ou son tub Citroën, accompagné de son commis polonais Stefan. Il la rachète en 1985, en quête d’un morceau d’histoire qui a fait chavirer son cœur : « Avant, je me contentais de louer des maisons. Puis, je me suis décidé à acheter. Je suis tombé sur ce moulin. »

À l’écart du village, le lieu a quelque chose de très british : les vieilles pierres, le caveau, le four, les pièces surgies d’un autre âge… Tout ici a le parfum suranné d’une vie qui semble s’être arrêtée. C’est aujourd’hui la thébaïde des Azéma.

En moins de quarante ans, ils y ont fait leur nid : « Mes parents sont là, en cendres, dans le jardin, chuchote-t-il. C’est important pour moi. Quand les enfants et les petits-enfants viennent à Noël ou en été, c’est la fête. Cette maison, c’est la leur ». Et l’homme qui ne déteste ni les contradictions ni l’humour se plaît à rappeler que son père était… jardinier et qu’il n’aurait pu trouver lieu plus adapté pour un sommeil éternel.

Et si, juste à côté, le caillou de Château-Chalon semble lui faire de l’œil, s’il aime par-dessus tout les secrets humides des caves, s’il a amené des cohortes de parlementaires et de journalistes aux différentes Percées du Vin Jaune, son Jura à lui se résume à ses baignades en solitaire dans la Seille, juste derrière chez lui : « L’eau est à treize degrés tout le temps, c’est tonique. De quoi remettre les idées en place ! »

Chenapan dans le Jura, jeune homme à Paris

Claude Azéma, Jura, Jurassiens, magazine, Numéro 39, Jura, Jurassiens, magazine

Il faut revenir à l’adolescence pour comprendre le fil de sa vie. Né en 1946 d’un père militaire de carrière – doyen des paras français – et d’une mère de Lavigny, le petit Claude a ce qu’on appelle un caractère trempé : « Mon père a rencontré ma mère à la gare de Montain-Lavigny qui faisait office de dancing, il était en pause avant de rejoindre Berchtesgaden », dans les Alpes bavaroises. Baptisé à cinq ans par un oncle curé, il suit ses parents à Perpignan. Du coup, ses grands-parents maternels viennent dans le Sud en hiver et, chaque été, le gamin passe plusieurs mois chez eux, à Montain, où son grand-père en retraite entretenait la maison de Mme Fort-Arrachard. D’ailleurs, côté aïeux, le petit Claude est plutôt servi. En famille, on n’oublie pas de rappeler que ses arrières grands-parents, postiers à Baume-les-Messieurs et à Messia, se sont mariés par téléphone : « Un jour, mon arrière-grand-père appelle un copain et lui dit : il paraît que tu as une fille à marier, ça m’intéresse. Ça s’est fait comme ça ! »

Michel Demougeot, l’ami d’enfance, se souvient d’un petit chenapan : « Quand on avait dix ans, on allait écouter le Tour de France chez son grand-père, il retrouvait des amis parisiens de son âge et ils faisaient pas mal de bêtises. C’est souvent moi qui prenais… »

Ni Perpignan, ni le Jura ne font rêver le gaillard qui monte à Paris en 1964 avec un bac de philo en poche pour s’inscrire à l’école de journalisme de la rue du Louvre, mais il est trop jeune et se rabat sur la fac de la rue d’Assas. Après un doctorat premier cycle de droit public, il enchaîne les petits boulots : barman, manutentionnaire, plâtrier-peintre et… viticulteur par intermittence chez Robelin au Vernois. C’est d’ailleurs avec le statut de viticulteur qu’il part faire son service militaire, ce qui lui vaut une permission exceptionnelle de quinze jours pour les vendanges. L’armée, il la fait à Trèves dans le 13e Génie, après une formation de chiffreur à Baden.

En fait, sa vie bascule pendant cette période, il rencontre Georges Reverchon de Frontenay, administrateur à l’Assemblée nationale, qui le prépare au concours de sténographie. Et le voilà qui commence sa carrière comme rédacteur des débats au Palais Bourbon en 1973 : « Je suis le fils d’Hitler et d’une pompe à eau : mon père a rencontré ma mère en allant dans le fief d’Hitler et j’ai connu Reverchon grâce à une panne de pompe à eau ! »

Le tricoteur de mots

Nouveau saut dans le temps : aux élections municipales de Lons-le-Saunier en mars 1983, une liste de farfelus intitulée « UTILE » emmenée par un certain Claude Azéma, récolte 7,5 % des suffrages et vient bousculer les deux listes en présence. Le gaillard s’offre même le culot de créer un journal pour l’occasion, Le Connard Déchaîné. Ce type fait peur au Landerneau local. Lui rigole : « La politique, ce n’est pas mon truc, j’ai été maire de Nevy en 1995 et je me suis présenté aux cantonales à Voiteur parce que ça m’amusait. Sauf que je voyais les politiques de trop près dans mon métier ! »

Pourtant, politique et mots se tiennent la main dans sa vie. En trente-huit ans de carrière, le Jurassien rédige les comptes rendus des parlementaires : « Prendre des notes, remettre le texte dans une forme correcte, c’est un travail qui permet de prendre du recul. » Pas que… Claude Azéma flirte avec le journalisme de haut niveau, il participe à des interviews pour Le Figaro Magazine en duo avec Louis Pauwels, Henri Amouroux, Philippe Bouvard. Eux posent les questions, lui retranscrit les réponses de Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing, Édouard Balladur, Nicolas Sarkozy… Il collabore aussi aux scripts d’émissions politiques sur TF1, Antenne 2 (à l’époque), au Grand jury RTL-Le Monde, rédige quelques discours d’élus, fait des détours par les assemblées générales des groupes Lagardère et Matra, et se fait plaisir en écrivant des nouvelles pour diverses revues. On le voit même en 1986 coécrire un manuel d’enseignement de la pétanque et, en 1996, signer le scénario d’une BD, Passion Pétanque, avec des dessins d’un certain Marcel Uderzo.

La gagne et la fête

Retour à Perpignan, le petit Claude a une douzaine d’années et le voilà plongé dans la marmite du sport : « J’ai toujours aimé la compétition, il faut que je bouge. »

Pour bouger, il bouge. Judo, cross, 400 mètres, mais surtout rugby avec des titres nationaux cadets et juniors B sous les couleurs de l’USAP, puis en championnat de France universitaire et militaire, et même en coupe du monde de rugby des parlements. À l’époque, Bernard Durand le côtoie à l’Assemblée nationale : « Il travaillait au compte rendu intégral et moi je m’occupais de la buvette ! Nous avons joué ensemble dans le XV de l’Assemblée, il était trois quart-aile. Dans les troisièmes mi-temps, on chantait ensemble et il avait pris l’habitude de noter nos blagues en sténo ! » Derrière son côté fêtard, le bonhomme a de l’ambition : quand il joue, c’est pour gagner.

Cette détermination, c’est dans le milieu des boules qu’il l’exprime le mieux : « Tout a commencé à la fête foraine de la Saint-Désiré à Lons, je gagnais des bouteilles en visant avec une boule. Des copains de Lavigny m’ont poussé à venir jouer avec eux ». Membre du club local, il crée l’Amicale Boule Jurassienne en 1973, puis carrément un comité départemental en 1974. C’est de là que tout est parti. Sa diplomatie lui permet d’atteindre des sommets : « Autour d’une bonne bouteille, tous les problèmes se règlent. Je le sais par expérience. Au niveau international, tout le monde parle anglais, mais au bar, ça parle français ! »

Les boules ne sont pas sa seule passion. Claude Azéma est fan d’olympisme. Là encore, avec le temps, il décroche des responsabilités au niveau international. Cette frénésie, il l’aime : « Je passe un tiers de ma vie à Paris, un tiers dans le Jura et un tiers dans les avions… »

Et s’il est connu pour son répertoire de chanteur et son talent pour les pastiches parfois grivois comme pour son coup de fourchette, il l’est aussi pour son caractère. Le mot de la fin à l’ami d’enfance, Michel Demougeot : « C’est un décideur, quelqu’un difficile à saisir, il a toujours une idée en tête, mais il lui faut quelqu’un pour la mettre en œuvre, énumère-t-il. C’est un charmeur. » Le principal intéressé rajoute : « Certains ne me supportent pas, je les comprends ! » 

 

Photo : Numéro 39

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Politique de Confidentialité

Plus de Les Jurassiens