

11 juillet 2015, la France découvre Alexis Vuillermoz. Les bras en offrande après un exploit majuscule, le visage déformé par la violence de l’effort, il remporte la huitième étape du Tour de France entre Rennes et les pentes traîtresses du mur de Bretagne.
La France – et une partie du peloton – découvre un coureur capable de laisser sur place les meilleurs cyclistes du monde lors de la grand-messe estivale. Au moment où il place une accélération dévastatrice, l’Anglais Chris Froome, leader de l’épreuve, semble bien incapable de répondre, surpris par tant de puissance. Quelques instants plus tard, il confirmait : « Quand (il hésite)… le coureur AG2R La Mondiale a attaqué, je n’ai pas pu y aller. »
Ce jour-là, Alexis Vuillermoz découvre la portée d’un exploit en mondovision. Les médias de la planète sport racontent l’histoire d’un garçon au parcours atypique, attachant et fidèle à ses racines. L’homme de Saint-Claude aux plaisirs simples découvre un univers qu’il aurait pu ne jamais connaître… « C’était un moment fort et intense. Je savais que ce type de profil pouvait me convenir. De là à gagner une étape sur le Tour de France après trois années chez les pros, je ne l’aurais pas imaginé. Cela doit être la ténacité du Jura », sourit-il.
Le jeune homme revendique ses racines jurassiennes. C’est là qu’il est né, qu’il a grandi. Ses souvenirs, ses joies d’enfant, ses premières émotions de cycliste sont reliés à une route, un paysage, un nom, un visage d’ici. Ses proches, parfois, le taquinent, sur cette « Jura attitude », qu’il porte comme un flambeau. Profondément jurassien, naturellement ambassadeur de son territoire dont il aime les paysages, la mentalité, la culture. Dans sa vie de globe-trotter sur deux roues, il aime ouvrir une parenthèse et venir respirer l’air de la maison pour se ressourcer.
« Je suis attaché à cette terre. Avant d’être un département, le Jura est un massif où l’on ressent un état d’esprit montagnard. C’est un terrain de jeu parfait pour les sports de pleine nature. » Il réfléchit, sourit et éclate de rire avant d’ajouter : « Et je dis ça en toute objectivité, bien entendu ! »
Jean-Baptiste Quiclet : « Vingt ans que je le connais »
À 32 ans, Jean-Baptiste Quiclet est un homme occupé. Marié, père de famille, organisateur d’une épreuve cycliste à Marchaux (Doubs), il fut également membre de l’encadrement du Pôle France de VTT à Besançon. Depuis deux ans, il est le directeur de la performance de l’équipe AG2R La Mondiale. Le Franc-Comtois doit remonter dans ses souvenirs au moment d’évoquer Alexis Vuillermoz : « Nous avons trois ans d’écart. Je pense que cela doit faire vingt ans que l’on se connaît ! »
Leurs routes se croisent et s’entremêlent, au fil des pérégrinations du peloton. En 2009, le Bisontin intègre le staff de l’équipe Besson Chaussures. Et cette même année, lors d’un Tour du Jura mémorable, une idée commence à germer : « Une étape passait devant chez lui, à Chevry. Et Alexis n’a pas pu s’empêcher de partir dans un raid solitaire de plus de 100 kilomètres ! Il a fait un numéro exceptionnel et j’ai dit à Yvan Clolus (son entraîneur) qu’il aurait sa place chez les professionnels. »
Clolus : « Une énergie incroyable »
Ces « coups de sang » qui mélangent panache, rage de vaincre et grain de folie n’étonnent même plus Yvan Clolus qui accompagne sa destinée sportive depuis plus de dix ans. L’entraîneur, installé à Ornans (Doubs), sélectionneur national des moins de 23 ans en VTT, explique : « Alexis a une énergie incroyable et il faut que cela sorte ! Lorsque la coupe du monde faisait étape à Houffalize (Belgique), les coureurs s’élançaient sur une route à plus de 20 %. Cela roule toujours extrêmement fort. Malgré tout, il arrivait à prendre quinze secondes à tout le monde en bas de la première descente. En juniors, en 2005, il domine la course des championnats du monde pendant les trois quarts de la course, avant qu’une vilaine hypoglycémie ne le rappelle à l’ordre. »
2012, la réorientation
Fin 2009, lieu différent, mais autre coup d’éclat. Une semaine après avoir décroché l’argent mondial en VTT, il loupe de peu un énorme coup d’éclat lors de la coupe du monde de Champéry (Suisse). « Il a passé une heure en tête, sans que personne ne puisse prendre sa roue. On se demandait jusqu’où il pourrait aller », se souvient le coach. Son casque jaune et cette attitude en course lui vaudront un surnom : « Pikachu », le spécialiste des attaques éclairs.
Trop jeune pour prétendre à une place olympique en 2008 à Pékin (il avait alors 20 ans), il rêve d’une participation à l’épreuve de Londres en 2012. En panne de grands résultats, enquiquiné par les pépins physiques et personnels, le Jurassien ne traverse pas la manche. Dans le même temps, son équipe annonce l’arrêt de son activité en cross-country, sa discipline. Dans un sport qui peine à exister entre chaque olympiade, Vuillermoz galère pour retrouver une place de salarié dans une structure qui lui permettra de continuer à haut niveau.
Je me suis retrouvé au départ du Tour de France, six mois après mes débuts sur la route.
De son côté, Jean-Baptiste Quiclet n’a pas oublié ses énormes qualités : « Hormis une cinquième place au Tour du Pays de Savoie (une épreuve internationale réservée aux coureurs de moins de 26 ans), il n’avait pas beaucoup de références sur la route. Nous avons convaincu Stéphane Heulot, le manager de l’équipe Saur Sojasun, de le prendre à l’essai en stage. » Vuillermoz n’a rien à perdre. Si le test n’est pas concluant, il se tournera vers la finance, un domaine qui le passionne.
« Il a été bon à chaque épreuve, sourit Quiclet. De ce fait, il a signé un contrat pro de deux ans. » En quelques semaines, tout bascule : « Je me suis retrouvé au départ du Tour de France, six mois après mes débuts sur la route. »
Fin juillet 2013, il parade sur les Champs-Élysées avec les autres concurrents de la Grande Boucle, épilogue d’une drôle d’aventure. La suite sera moins réjouissante. Son équipe en mal de repreneur met la clé sous la porte. « Je n’ai été averti que fin septembre, se remémore-t-il. À cette époque, les budgets et les effectifs sont bouclés. »
Daniel Germond, ou la solidarité jurassienne
C’est là qu’entre en jeu Daniel Germond. Le Dolois qui fut l’un des partenaires de l’équipe Chazal au début des années quatre-vingt-dix avant qu’elle ne devienne Casino puis AG2R La Mondiale en 2008, contacte Vincent Lavenu. L’entrepreneur devient mécène, par amour du sport et attachement à ce drôle de bonhomme sur deux roues. L’élu jurassien et le manager d’équipe se rencontrent au Gentleman de Dole en fin de saison. Il propose de prendre en charge son salaire : « Je le suivais depuis ses années en VTT. J’ai dit à Vincent Lavenu qu’il ne fallait pas le laisser sur le carreau », glisse Daniel Germond.
Germond ne demandait à Alexis qu’une contrepartie : qu’il se licencie au Vélo Club de Dole. « Ça l’embêtait de laisser tomber le Vel’Haut Jura, ses copains et tous les gens qui l’ont aidé depuis des années. Je suis aussi sensible que lui, j’ai compris sa démarche », explique-t-il.
Début 2014, Alexis Vuillermoz débute donc sous les couleurs AG2R La Mondiale, la plus vieille structure française (1992), au cœur de l’UCI WorldTour, la première division mondiale.
Entre le coureur et le chef d’entreprise du Jura, les liens sont étroits. « On échange beaucoup, il me fait part de ses soucis, de ses souhaits », avoue-t-il.
Ses routes favorites
Alexis Vuillermoz aurait pu devenir gestionnaire de patrimoine dans une banque privée et profiter du sport comme d’un loisir. Son bureau, il l’a choisi à 360°. C’est sur les sentiers, mais aussi l’asphalte aux alentours de Saint-Claude que s’est forgée sa destinée. Il parle de ses routes favorites comme on récite une poésie enfouie dans sa mémoire d’enfant. « J’aime bien monter le Col de la Croix de la Serra (13,5 km à 4,74 % de moyenne). Quand je vivais chez mes parents, c’était généralement un bon test avant de partir en compétition. »
Je n’ai pas changé mon état d’esprit sur le vélo.
À 28 ans, le petit bonhomme de Chevry pourrait vivre une grande saison avec le Tour de France, mais aussi les Jeux Olympiques de Rio dont il a remporté l’épreuve test l’an passé. Son début d’année a été difficile, marqué par des chutes sérieuses à Paris-Nice et dans l’Amstel Gold Race. Il a serré les dents, s’est battu, est remonté en selle, hargneux, sérieux, ambitieux comme jamais. Fier de décliner les mêmes valeurs qu’aux premiers jours, avec le souvenir de ce père parti trop tôt comme guide. « Je n’ai pas changé mon état d’esprit sur le vélo. Il reste le même depuis mes débuts. Il s’exprime juste différemment », dit-il.
Lui, le vainqueur d’étape du Tour de France se fait parfois chambrer par ses potes : « Je n’ai jamais gagné la Forestière (épreuve VTT marathon de masse entre Lamoura et Arbent) et on me dit que ce n’est pas normal pour un Jurassien ! J’étais au départ l’an passé, mais je termine deuxième ! Je vais être obligé de revenir pour compléter mon palmarès ! » Comme une évidence délicieusement jurassienne.
Photos : Yves Perret Médias et Agence Zoom
> Cet article est paru dans le premier numéro de Numéro 39.