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Sylvain Caire, l’épopée Freegun

Ils sont des millions à travers le monde à les porter. Mieux, à les exhiber comme une appartenance à la tribu. Les boxers Freegun ont conquis la planète. Ce que l’on ne sait pas, c’est que leur créateur vient d’un petit village du Sud-Revermont, dans le Jura. C’est peut-être parce qu’il ne voulait pas travailler la vigne familiale en terre jurassienne que Sylvain Caire a préféré prendre la tangente. Bien lui en a pris car, aujourd’hui, l’entrepreneur préside aux destinées du groupe Textiss. Cent vingt employés, soixante-cinq millions de chiffre d’affaires. Derrière lui, une histoire comme on les aime.

LA STRATEGIE DU COUTEAU SUISSE

« Regardez comme on est bien ici : il fait bon, le ciel est toujours clair. Le brouillard, j’ai donné quand j’étais gosse… » Le Franc-comtois originaire de Sainte-Agnès, village du Sud-Revermont, est descendu en latitude puisqu’il s’est posé dans la région de Montélimar (Drôme) depuis une vingtaine d’années. Donc, pour ceux qui n’auraient pas compris, pas question de retour au bercail, même si le chef d’entreprise garde des attaches très fortes avec le Jura.

L’homme a, de toute façon, d’autres chats à fouetter. Ses affaires l’accaparent. Freegun, c’est lui. Sachant que la marque au boxer lancée en 2008 n’est que l’emblème de sa société. En une quinzaine d’années, Sylvain Caire a pris de l’étoffe, il crée, fabrique et vend ses propres produits avec sa marque Capslab [lire par ailleurs]. Autre versant de l’activité, une ribambelle de licences – dont Disney, Star Wars, Marvel, Batman – parmi les plus célèbres au monde pour vendre les produits qu’il fait fabriquer dans le monde entier… Donc, quand vous achetez une casquette Batman, vous portez sur la tête un produit packagé par une entreprise bien française. Sa recette : savoir faire un maximum de choses pour s’adapter à toutes les éventualités commerciales. Sylvain Caire le dit très bien : « L’entreprise n’a pas de vraie stratégie, c’est plus de l’opportunisme. En fait, notre métier consiste à prendre des marques, les adapter à nos produits et les vendre, que ce soit en print, tissage ou broderie. »

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Freegun, une marque appréciée des jeunes – Freegun

La réalité est un peu plus complexe. Les idées, il faut les avoir ; les opportunités de fabrication, il faut les provoquer ; les licences, il faut les marchander ; les risques, il faut les prendre. Donc, Sylvain Caire n’est pas que le gaillard jovial et blagueur qu’il paraît être. Jean-Christophe, son directeur financier, retouche un peu le portrait : « Je le connais depuis plus de vingt-cinq ans, c’est un caractère contradictoire. Quand la situation n’est pas bonne, il est du genre à foncer et, quand tout va bien, il veut arrêter. Ce qui est agréable chez lui, c’est que malgré ses doutes, il avance. Il donne sa chance au produit. C’est une boule d’énergie et il sait provoquer la chance. » Comme pendant la pandémie de Covid-19 : alors que la planète s’est arrêtée, il trouve pour dix millions d’euros de masques et continue d’importer chaussettes, boxers, tee-shirts et brassières. Quand la situation s’éclaircit, il ne change rien. Beaucoup de concurrents n’ont pas pu suivre…

SUR LA TABLE DE LA CUISINE

Mais Textiss n’a pas toujours été aussi florissante qu’aujourd’hui. D’ailleurs, l’aventure est née sur un coup de dés. Après un bac B obtenu au lycée Jean-Michel de Lons-le-Saunier, Sylvain Caire enchaîne avec un DEUG à Bourg-en-Bresse (Ain) dans une antenne de la faculté de Lyon (Rhône). Là, il rencontre son épouse, Sophie, avec qui il poursuit ses études dans la capitale des Gaules : maîtrise en marketing commercial pour lui, comptabilité et gestion pour elle. S’ensuit une cinquième année en DESS qui impose aux étudiants de se faire les dents sur la gestion d’une entreprise. Coup de bol, il en connaît une en mauvais état qu’il a failli racheter quelque temps plus tôt avec un copain : « Elle s’appelait Zouzou et on a tout fait pour la sauver. C’était en 1997, j’avais vingt-cinq ans. J’ai repris les marques, le design, le style et tout le commercial. La première semaine, il a fallu licencier une grosse partie du personnel. Je convoquais des gens qui avaient trente ans de maison et je leur disais qu’on allait devoir se séparer d’eux. L’insouciance de la jeunesse ! J’étais l’homme à abattre. »

Peu à peu, la société se remet à flot. En prospection en Chine, le Jurassien noue des partenariats avec des fabricants et commence à importer : « C’est à Madagascar, au Bangladesh, en Turquie… que j’ai appris le métier. On a changé 80 % des fournisseurs, pris des jeunes en stage qui ne coûtaient pas cher, investi dans la PAO et refait le packaging. La société a commencé à gagner un peu d’argent et c’est alors que c’est devenu compliqué ! »

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Sylvain Caire dans ses locaux drômois – Numéro 39

Pendant trois années, il travaille comme si c’était son entreprise, mais il n’en est que le salarié. Quand il demande au patron d’acheter des parts, c’est un refus catégorique. Alors il s’en va, nous sommes à Noël 2000. Il est fauché comme les blés, sa femme est enceinte. C’est en avril de l’année suivante qu’il crée Textiss dans son petit appartement à Lyon : « On a signé les papiers sur la table de la cuisine. Je n’avais qu’une idée en tête : continuer à faire ce qu’on faisait : vendre clés en main des caleçons et des chaussettes qu’on achetait à l’étranger et qu’on déposait en grandes surfaces. » Il fait mieux ! Six mois après son départ, son ancienne entreprise met la clé sous la porte, il rachète pour trois fois rien le stock qu’il avait lui-même acheté un an auparavant.

LA FOLIE FREEGUN

Sans local, il travaille chez lui pendant un an, toujours ric-rac au niveau financier. Un passage difficile : « Un jour, j’achète un camion entier de chaussettes en Turquie, mais à la douane, on me demande dix mille francs pour la TVA. Je ne les avais pas, alors j’ai vendu la voiture. C’était la dèche, des traites à payer, pas d’argent, ma première fille qui allait naître… On a géré comme on a pu et on a fini par faire du chiffre, mais il nous fallait un entrepôt. J’ai cherché sur Lyon, mais sans un sou, je ne trouvais rien. Un jour, en week-end dans la Drôme, je suis tombé sur cet entrepôt en sortie d’autoroute. C’était une ancienne menuiserie. On l’a achetée et cela fait vingt-deux ans qu’on y est installé ! »

L’histoire est belle, elle ne fait que commencer. Près de la cité du nougat, le couple commence à développer ses propres marques et suit son bonhomme de chemin. Toujours le même concept : fabrication des produits à l’étranger, packaging et revente en France, jusqu’au jour où la chance s’en mêle : « J’étais en Chine. Mon fournisseur avait tout un lot de tissu avec des fraises imprimées dessus et il me dit : si tu veux, je te fais des caleçons à partir du dessin. J’ai dit banco. On les a fabriqués, ramenés et commencé à les mettre en magasin. Je les ai proposés à une copine qui travaillait en grande surface, elle m’a dit : “que veux-tu que j’en fasse ?” Je les ai mis en rayon un samedi. Le lundi, elle me rappelle en me disant qu’elle en avait vendu deux cents. »

La magie du caleçon prend corps, mais il faut un nom, une marque. Sylvain Caire embauche un graphiste spécialiste en fruits et légumes qui va les décliner sous toutes les formes : kiwis, bananes, etc. C’est un succès immédiat, les adolescents s’approprient immédiatement ces boxers hors normes : « On a eu la chance d’arriver à un moment où commençait la mode des caleçons bariolés. Nous utilisons aussi un nouveau procédé technique dit “de sublimation” qui imprime des dessins sur du tissu polyester, ce qui a permis de tirer les prix. » Ainsi est né Freegun. Nous sommes en 2008. La suite ressemble à un conte de fées : une véritable folie chez les jeunes qui attendent les camions pour être sûrs d’en avoir. « L’aventure a tellement bien marché qu’on n’arrivait plus à suivre. Alors, on a monté un site internet et, là, c’est parti dans tous les sens… »

L’EXPERIENCE AMERICAINE

Freegun s’est alors mis à vendre de grandes marques très connues : caleçons, bien sûr, mais aussi montres, chaussures, casques, vêtements, housses de couettes et même tapisseries : « On a appris le métier de la licence, on a même fait du co-branding [mélange de deux marques différentes, N.D.L.R.]. Les choses ont démarré comme ça ! »

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Freegun, une marque très connue – Freegun

Logique du business, le développement à l’international devient inévitable, c’est ainsi que, suite à une rencontre sur un salon professionnel, il se laisse griser par les États-Unis et son potentiel infini : « On a cumulé toutes les erreurs : créé un entrepôt à Las Vegas où il ne se passe rien à part un gros salon, embauché un commercial qui allait toutes les semaines à New-York – soit 7 000 km – pour rencontrer ses clients… » Réactif, Sylvain Caire décide d’ouvrir un bureau à Manhattan sur la 42e rue et de conserver l’entrepôt de Las Vegas pour la logistique. Il vend ses boxers Freegun pendant plusieurs années, jusqu’au jour où un fournisseur refuse le mot « gun » (arme à feu en anglais). Freegun devient alors Crazy Boxer aux USA.

LES BONBONS DE « CHEZ MEY »

L’Amérique, Sylvain en est revenu : « On vend toujours, mais c’est compliqué : le business est différent. On est loin du miracle. À un moment, avec ma femme et mes filles, on a même voulu aller vivre là-bas. Au bout de deux mois, le rêve a disparu. On est revenu. » Tout ceci n’empêche pas les affaires, Sylvain négocie régulièrement des licences américaines aux noms prestigieux : Disney, Star Wars, Batman… Il produit aussi à la demande : c’est le cas pour un lot de boxers Vache Qui Rit avec le fameux dessin emblématique de la marque…

Sa réussite, Sylvain Caire l’attribue à son envie d’entreprendre, mais aussi à son départ de sa terre natale : « Dans la vie, il faut suivre ses rêves, mais mesurer les risques. Si j’avais un message pour les jeunes Jurassiens, je leur dirais : “n’hésitez pas à partir ailleurs pour voir comment ça se passe”. Les Jurassiens ont du mal à s’éloigner de chez eux. J’ai des copains qui n’osent pas venir chez moi quand je les invite parce que c’est loin ! » Pourtant, il ne renie pas ses origines et il revient régulièrement en famille à Sainte-Agnès. L’apprentissage de la vie, c’est dans le Sud-Revermont qu’il l’a fait. C’est avec sa maman, qui tenait le célèbre magasin lédonien de bonbons « Chez Mey », qu’il fait ses vrais débuts dans le business : « Quand j’étais à la fac à Lyon, j’allais acheter les bonbons chez Haribo et je les ramenais au magasin. »

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Sylvain Caire, qui cultive la discrétion, et son groupe textile travaillent dans le monde entier – Numéro 39

Avant de se lancer, il a fait un peu tous les métiers : la Pergola à Chalain en été, les pizzas à Clairvaux-les-Lacs, la viande chez Morey à Cuiseaux. Un peu tout, mais pas la vigne : « Mon frère fait du vin à Rotalier, il a racheté le château Gréa, mais ce n’est pas pour moi ! » Lui, sa passion, c’est son entreprise. Franck, son directeur commercial, le suit depuis le début chez Zouzou : « C’est un fonceur, un peu diesel à l’allumage, mais une fois convaincu, il est déjà à l’étape suivante. Il s’interroge tout le temps, c’est le doute qui le mène. Mais comme c’est un optimiste de nature, il ne rate pas beaucoup d’opportunités. Je crois surtout qu’il sait exactement d’où il vient… »

Aujourd’hui, le groupe Textiss s’est fait une réputation dans la grande distribution, mais également dans tout le réseau des magasins de sport, de bricolage, de discount… et sur internet. Le fonds de commerce, ce sont les sous-vêtements : tee-shirts, chaussettes, sweats, maillots de bain, brassières et bien sûr boxers. Chaque année, de nouveaux produits arrivent sur le marché : casquettes, bobs, bonnets, chaussures, parapluies, tongs, trousses scolaires, trottinettes, sacs, agendas…

L’autre atout de Textiss, ce sont les licences : outre celles déjà citées, il y a Von Dutch, Chupa Chups, Reebok, Fila Umbro, LuluCastagnette… Si l’opportunisme reste le credo de la maison, le plaisir d’entreprendre n’est pas en reste avec, parfois, beaucoup d’humour dans ce qui est devenu la patte du groupe : le packaging : « Il nous est arrivé d’utiliser les emballages des flocons de maïs de la marque Kelloggs ou de Pepsi pour y mettre un boxer, ou de vendre des chaussettes de travail Black & Decker garanties deux ans, comme les outils… Nous n’avons pas de stratégie bien définie, on s’adapte à l’environnement, à l’air du temps. »

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