Aux prochains Jeux olympiques d’hiver, en février prochain, le Jurassien Quentin Fillon-Maillet représentera en Chine une chance de médailles pour la France.
Quentin Fillon-Maillet est l’un des meilleurs biathlètes de la planète. Originaire de Saint-Laurent-en-Grandvaux, le numéro trois mondial va participer, en février prochain, aux Jeux olympiques de Pékin (Chine).
NUMÉRO 39 – Troisième de la coupe du monde cette année, gros espoir de médailles aux prochains Jeux olympiques de Pékin, en février 2022, et vous restez farouchement jurassien. Pourquoi ?
QUENTIN FILLON-MAILLET – Parce que je suis de Saint-Laurent. C’est là que j’ai débuté dans la vie, que j’ai tout appris. J’y vis, ma famille aussi. Je m’y plais. Enfant, j’habitais à 150 mètres de l’école maternelle et primaire et, même si je n’ai jamais été un élève assidu, même si ce n’était pas mon rêve de partir chaque matin pour l’école, j’en ai gardé d’excellents souvenirs. Je retrouvais les copains, on allait construire des cabanes dans les bois, on faisait du vélo sur les parkings après l’école, on jouait sur les tremplins de ski. Beaucoup étaient inscrits au ski-club de Saint-Laurent, ce sont des amis avec lesquels j’ai gardé un contact particulier.
Parlez-nous de cette époque où vous étiez un gosse des champs ?
C’est vrai que je n’ai jamais eu de console. J’ai toujours eu une passion pour l’extérieur. J’en avais aussi une pour les legos. Mais dès que j’avais du temps, j’étais dehors avec les copains, j’allais jouer à côté de la maison, dans l’ancien atelier de mon père où j’ai fait pas mal de bêtises. Je fabriquais des arbalètes, j’ai toujours aimé faire des choses avec mes mains. Même plus tard, dans l’entreprise familiale à Saint-Pierre, on avait installé, avec mon cousin Boris, un stand de tir sur la pelouse et, quand il pleuvait, je tirais à plat ventre sur un tapis depuis le camion. C’est là que j’ai fabriqué ma première crosse.
Une passion du travail manuel qui est allée jusqu’à motiver le choix de vos études ?
J’ai choisi l’école microtechnique de Morez jusqu’au bac. Après, j’aurais pu rejoindre une section sport-études à Pontarlier, mais j’ai choisi de rester à Morez avec plusieurs copains de collège et, quand j’ai véritablement choisi le métier de biathlète, j’ai intégré le pôle national de Prémanon pour une formation Conception industrielle microtechniques (CIM), ce qui m’a permis d’aménager mes cours pour lier le sport et les études. C’était difficile, les entraînements font perdre beaucoup d’heures de cours, mais j’ai retrouvé du plaisir à étudier. Et puis je voulais à tout prix mon diplôme. J’ai loupé de peu la première année. Du coup, j’ai fait le parcours en trois ans.
Un diplôme pour assurer vos arrières ?
Une carrière sportive peut être très courte. Si les performances ne viennent pas, il faut faire autre chose. Je voulais me garantir une certaine sécurité. Cette filière me donnera peut-être un métier après ma vie de biathlète. Peut-être que je travaillerai dans l’entreprise de mon père [Laurent Fillon-Maillet dirige une société spécialisée dans la fabrication et la pose de menuiserie en aluminium, N.D.L.R.], je n’ai rien décidé pour le moment.
En tout cas, cette formation a fait de vous un sportif particulier puisque vous fabriquez vous-même les crosses de vos carabines…
D’autres l’ont fait par le passé, mais je voulais pousser les choses encore plus loin et avoir la plus belle carabine du circuit. Une crosse demande beaucoup de réglages, j’ai mis six mois pour mettre au point la première, avec l’aide de Franck Badiou [médaillé d’argent à la carabine à air comprimé à 10 mètres aux JO d’été de 1992, il est l’armurier des Bleus, N.D.L.R.]. J’en ai conçu quatre au total. C’est quelque chose de très pointu qui m’a demandé des heures de travail. Je me revois dans ma chambre d’hôtel, avec mon pied à coulisse. Il y a eu des échecs, mais j’évolue depuis dix ans avec ces crosses. Elles sont très personnelles.
À 28 ans, que signifie la famille pour vous ?
Ce sont toutes les personnes qui m’ont inculqué les valeurs de travail, de volonté, de respect et de plaisir aussi… Grâce à elles, j’ai pu m’exprimer dans les sports de plein air, me dépasser, progresser. À la maison, nous sommes quatre enfants et mes parents ont donné beaucoup de leur temps pour m’emmener en compétition, je leur dois un merci infini. Mes deux frères, plus jeunes que moi, ont fait eux aussi du biathlon, jusqu’à la sélection en équipe de France pour Jason et un peu moins loin pour Rémi. Je suis bien conscient que, certaines fois, c’est difficile pour eux d’avoir un grand frère qui marche bien et je regrette qu’ils soient trop souvent « les frères de ». Mais on s’entend bien et on a passé beaucoup de temps ensemble, mes parents avaient un camping-car et on a fait plein de randonnées à vélo.
Et dans votre vie privée actuelle, vous parvenez à un équilibre ?
Avec de longues absences, mon rythme de vie est très différent de celui de la plupart des Français. Je peux être dans le Jura deux semaines puis partir trois semaines. C’est très difficile pour les gens avec qui on vit. Ma compagne aimerait, bien sûr, que mes absences ne soient pas trop longues, mais elle est partie prenante de ce que je fais et je l’aide du mieux que je peux. Quand je rentre, on se retrouve. Il n’y a pas de lassitude.
C’est quoi pour vous un champion ?
C’est quelqu’un qui a du caractère pour se défendre en compétition, mais aussi tout au long de sa préparation. Champion, c’est un travail à plein temps. C’est aussi tenir le stress et avoir d’importantes qualités physiques. Une saison représente plus de quarante courses en quatre mois et il y a les déplacements qui vont avec. Cela fait donc trois courses par semaine… Avec les années, on développe des dispositions pour récupérer plus vite ; on travaille la nutrition, la relaxation avec des préparateurs mentaux. Moi, c’est l’expérience qui me fait avancer. J’ai la capacité de ne plus avoir peur. La façon de me rassurer, c’est de me dire que j’ai donné 110 % de moi dans mon entraînement. Je crois que c’est ce qui me permet d’atteindre les plus grandes performances en compétition.
Peut-on rester fidèle à ses valeurs quand on est un champion de très haut niveau ?
Pour moi, la principale valeur, c’est l’humilité. C’est ce que j’essaie de partager en équipe de France pour que chacun garde les pieds sur terre, notamment avec les jeunes qui commencent, mais aussi dans la vie de tous les jours. Je me sens bien avec les gens simples. Le succès m’a permis de prendre confiance, d’avoir davantage d’ambition, il m’a fait grandir. Je n’ai pas vraiment de patron, je suis mon seul maître, je décide de m’investir ou pas. Parfois, je ne suis pas motivé pour aller m’entraîner, mais j’y vais quand même. Il y a des sacrifices dans ce genre de vie, mais la récompense est là. Sans travail, on n’obtient rien. Je m’estime chanceux, j’ai des capacités physiques et mentales, un bon environnement. Je vis dans le Jura qui est une terre de biathlon et j’ai ma famille auprès de moi. J’essaie de rester moi-même.
Pourtant, vous vivez une extrême médiatisation. Comment gérez-vous cela ?
Je n’y étais pas préparé. Le milieu de la coupe du monde est impressionnant. Tout est filmé, pris en photo. Les premières années, j’étais très loin de tout cela. On n’applaudit pas un boulanger quand il fabrique ses pains. Moi, vingt mille personnes m’applaudissent quand je cours ! C’est bizarre de me dire que je fais le sport que j’aime et que des millions de personnes dans le monde me soutiennent devant leurs écrans ou sur le bord des pistes. Cela a changé ma vie.
Comment faites-vous pour rester concentré sur votre sport ?
Je n’ai jamais demandé à être autant reconnu ! À la télé, il faut peser ses mots et je ne le fais pas en permanence, je prends la médiatisation à cœur, mais elle n’est pas ma première source de motivation. Moi, je suis avant tout sportif, je fais mon métier de biathlète à 100 % et je préserve avant tout ma performance. Pour la médiatisation, je travaille avec un attaché de presse et je suis présent sur les réseaux sociaux.
Quel est aujourd’hui votre rêve ?
Être champion olympique, c’est tellement grand à aller chercher ! Je me donne tous les moyens pour y accéder, je m’en approche grâce aux victoires en coupe du monde qui sont en elles-mêmes des rêves que j’ai réalisés. Mais par la suite, je reviendrai à une vie normale : être papa, avoir une maison. Le biathlon m’a amené à réfléchir à tout ça. Je ne dis pas non au cinéma ou autre, mais pas pour le moment. Ce sport me permet d’avoir certaines opportunités hors du commun, comme faire de belles rencontres, avoir des sponsors généreux… Des choses que je n’aurais pas pu faire sans le biathlon, c’est une vraie chance.
Quentin le modeste…
Je ne dis pas cela, je ne rêve pas d’une vie tranquille, j’ai plein d’envies, de secrets, mais j’essaie de rester humble. J’ai trop vu de sportifs perdre la tête et faire des choses pas très plaisantes. Je veux montrer l’image d’un sportif modeste en ce sens que je n’ai aucune raison de vouloir une vie de paillettes. J’essaie de me contenter de choses simples. Je n’ai pas besoin d’une Lamborghini pour être heureux. Je recherche mon bonheur, je n’éprouve pas le besoin de montrer aux autres que je réussis, pas le besoin de dire que je suis champion de biathlon…
Aujourd’hui, quel est votre statut ?
Je suis un biathlète rémunéré par l’État par le biais des Douanes. Je représente la France au plus haut niveau, mais je ne suis pas douanier pour autant. Certains pensent que je ne m’entraîne pas durant l’été et que les courses se gagnent facilement, mais l’investissement est énorme. La préparation dure sept mois, elle commence début mai et dure jusqu’aux premières courses sur ski en novembre. Cette période estivale ne me garantit pas le succès durant l’hiver. Les médias nous mettent la pression, mais c’est justement ce qui me plaît, chaque échec fait que la victoire est belle…