La musique du Nouveau Rendez-Vous et de Côté Club sur France Inter, c’est elle ! Marion Guilbaud cartonne avec sa programmation musicale et ses live qui font rappliquer tous les musiciens dans les studios de Radio France. À la rentrée, toujours avec son compère Laurent Goumarre, elle va animer une nouvelle émission quotidienne musicale. Entretien.
France Inter est la première radio de France. Une Jurassienne, avec tous les autres talents de la Maison de la Radio, a contribué musicalement à ce succès. Marion Guilbaud, née dans le Val d’Oise, a passé son enfance et son adolescence à Lons-le-Saunier, dans le Jura.
Fille d’un directeur de MJC, elle a fini par monter à Paris où elle est aujourd’hui l’une des programmatrices musicales les plus influentes de France. Elle a travaillé avec Stéphane Bern, Isabelle Giordano, Pascale Clark, Didier Varrod…
Après les vacances, elle va animer une nouvelle émission avec Laurent Goumarre. Les deux professionnels se connaissent bien. Ils œuvrent déjà ensemble au Nouveau Rendez-Vous (NRV) et à Côté Club.
NUMÉRO 39 – Que répondez-vous quand on dit de vous que vous êtes l’une des références musicales de France Inter ?
Marion Guilbaud – Que ça me fait rougir ! Après, c’est vrai, j’ai une expérience, un parcours, une vision de la musique à 360 degrés, je connais mon sujet et je pense avoir aussi un ton. Je ne programme que les choses que je trouve intéressantes, pas forcément parce que je les aime, mais parce qu’il y a quelque chose à découvrir.
Je valide souvent des musiques que je n’écoute pas chez moi, mais qui apportent un plus.
Votre parcours est tout simplement ahurissant. Il a été marqué par la chance ?
J’ai été assez chanceuse, oui ! Dans ma vie, il y a eu des rencontres importantes, mais j’ai su en faire quelque chose, c’est ma force. Je ne suis pas carriériste, je n’aime pas anticiper, je profite des moments. Certains me disent : « Mais pourquoi tu n’as pas ton émission à toi ? » Tout simplement parce que ça ne m’intéresse pas ! Je ne dois pas avoir assez d’ego pour être seule en scène.
J’aime faire partie d’une équipe, je revendique simplement un style, un ton. J’aime être sur la crête. Je veux une reconnaissance. Mais, en même temps, pas tant que ça !
La petite nana de Lons est bien loin…
Oui et non ! J’aime beaucoup revenir dans le Jura parce que j’ai des copines et que ça m’aère de mon milieu professionnel parisien. Le week-end, je rêve de quitter Paris pour randonner, j’ai une relation particulière avec la nature jurassienne. J’ai passé toute mon enfance à bivouaquer, à faire du kayak ou du ski de fond partout dans le Jura. Ce sont mes racines, c’est important. À Paris, je suis courtisée toute la semaine par des gens dont je ne sais rien. Le Jura est l’endroit qui m’a appris à résister à Paris.
Revenons à Lons. Tout part de là ?
Je suis née à Sarcelles, mais, un an après, mes parents sont venus dans le Jura. Mon père venait d’obtenir son concours de directeur de Maison de la jeunesse et de la culture en 1968 et le ministère avait décidé d’en ouvrir une à Lons. J’ai grandi dans la MJC. Avec mon frère, nous avions accès à la culture, mes parents nous encourageaient à lire, à écouter des disques, à aller au cinéma et au théâtre, à voir des concerts, des expos… mais aussi à faire toutes sortes d’activités sportives et de plein air. Ça m’a construite. À douze ans, je voulais être journaliste et, adolescente, tous mes copains faisaient de la musique. Il y avait beaucoup de groupes à Lons : Les Infidèles, 127, Jungle à Ferraille…
J’ai vu ce que signifiait répéter, composer, écrire, jouer.
Quel genre de fille étiez-vous alors ?
Nous avions une façon de vivre atypique. Je sortais peu le soir avant mes dix-huit ans. Mes parents ne gagnaient pas beaucoup d’argent, mais j’ai vu comment ils se battaient pour faire ce qu’ils aimaient. Cela m’a donné le sens de la passion. Au début des années 1980, Lons était très vivant, on était libres. Le lycée Jean-Michel était un lieu de confrontations, de débats, d’engueulades. Moi, je n’étais pas une leader, plutôt l’originale de service, habillée tout en noir. J’aimais provoquer, choquer. Je me fichais d’être appréciée. Mes amis étaient tous plus vieux que moi ; c’est avec ces gens que j’aimais parler. Évidemment, mon petit copain était musicien…
Comment s’est faite votre première rencontre avec Paris ?
Je disais toujours : « Quand j’ai dix-huit ans, je me barre de Lons ! » La ville me paraissait petite, je voulais voir le monde, bouger. Mes parents disaient : il faut prendre des risques, se surprendre. Après le bac, j’ai tenté Khâgne dans les grands lycées parisiens et, finalement, j’ai été prise dans un petit lycée de banlieue. Mais c’était décevant : je vivais chez mes grands-parents et je déprimais, je suis revenue à Besançon m’inscrire en IUT publicité. J’avais dix-neuf ans et j’ai retrouvé tous mes amis, le milieu musical. Tout ce que j’aimais.
Quelle a été votre première belle rencontre dans le milieu musical ?
François Pinard qui organisait des concerts à Besançon. Moi, je distribuais les tracts ! Ensuite, il y a eu Nadine Simoni à l’Élysée-Montmartre qui m’a appris le métier d’attachée de presse, puis le label Danceteria où j’ai fait du marketing, et Barclay, la grosse cylindrée.
Après, je suis passée du côté des médias avec Philippe Manœuvre, le rédacteur en chef de Rock and Folk, puis à Oui FM. J’ai débuté à France Inter avec cinq ans de missions renouvelables. C’est là j’ai rencontré Bernard Chérèze qui m’a confié les clés de la musique dans l’émission Le Fou du Roi avec Stéphane Bern. J’ai collaboré aussi avec Isabelle Giordano, Pascale Clark, Didier Varrod et Laurent Goumarre avec qui je travaille aujourd’hui dans Le Nouveau Rendez-Vous et Côté Club.
Pourquoi avez-vous percé alors que tant d’autres se cassent les dents ?
Sans doute le fait de connaître toutes les facettes du métier : l’organisation de concerts, la promotion, la conception d’un disque, l’accompagnement des artistes… J’ai aussi un gros carnet d’adresses dans le milieu musical et je ne me laisse pas bananer !
Pour moi, parler de musique dans une émission, ce n’est pas suffisant. Il faut la faire découvrir, l’amener là où on ne l’attend pas !
Faire des live, amener les musiciens à Radio France, se bagarrer pour que tout fonctionne, gagner la confiance des artistes… Tout cela forme un ensemble.
Vous êtes un cas à part ?
Dans ce milieu, je suis atypique, je suis arrivée à la Maison de la Radio à l’âge de trente-huit ans, j’avais derrière moi presque vingt ans d’expérience dans la musique.
À France Inter, j’ai finalement presque créé mon poste, celui de programmatrice live. Aujourd’hui, je suis légitime car je me suis légitimée toute seule à la radio publique : j’ai appris l’antenne, les enregistrements.
Ce n’est pas toujours facile de tenir cette position, je sais que j’ai des lacunes devant le micro ; parfois, il y a des approximations, mais je suis enthousiaste.
Je profite au maximum. J’essaie toujours de me faire plaisir car cela s’entend !
Les places sont chères ?
Parfois, je me dis que les artistes que je reçois pourraient être mes enfants. Un jour, il y aura un décalage ; cela arrivera. J’aimerais pouvoir former des gens pour me remplacer, mais ça ne se fait pas, on n’embauche pas et c’est dommage… À la rentrée, avec Laurent Goumarre, nous allons défendre une quotidienne musicale : comment faire vivre la musique à la radio en 2020 ? Un nouveau défi à relever, comme je les aime !
Et si un jour, je ne fais plus de micro, je peux écrire (je pige aussi pour Marianne), faire des podcasts, mais j’aimerais pouvoir transmettre !
Quel regard portez-vous sur le milieu de la musique ?
Il est traumatisé par une énorme crise du disque qui lui a fait perdre beaucoup d’argent. Un modèle économique s’est arrêté, tout le monde cherche de l’argent sans avoir trouvé une formule de remplacement. Il y a le streaming, mais ce n’est pas cela non plus… Le milieu est frileux, beaucoup se contentent de suivre le son du moment et ne prennent plus de risques. Ils ne sont plus en état de proposer. Ce monde ne laisse plus parler ses envies. Il a peur. Et la crise sanitaire que l’on vient de vivre ne va pas arranger les choses, hélas…
Et celui des radios qui en parlent ?
Le format de la radio change, on pense à le découper sur le net par petits bouts. Il essaie de se transformer, j’espère qu’il va se faire un peu confiance. À la radio, comme dans la musique, on est dans le jeunisme et cela me fait rire parce que moi, j’ai écouté France Inter à trente-cinq ans ! Pas à cause de la musique, mais parce que je commençais à m’intéresser à la politique, l’écologie, la philosophie et qu’il y avait des gens super qui en parlaient.
On nous bassine sans cesse avec les vieux, on dit tout le temps qu’il faut toucher les jeunes, mais c’est quoi les vieux aujourd’hui ? Des gens cultivés, actifs qui font tourner la société. Si mes émissions qui défrichent la musique leur plaisent, je suis contente !
Vous passez pour avoir un gros caractère…
Je dis toujours ce que je pense, c’est un héritage de mes parents. À la maison, les discussions étaient animées, on échangeait parfois vivement, mais je ne suis jamais dure avec les gens que je reçois parce que je sais que c’est un métier difficile qui, si on le fait trop longtemps, peut rendre fou. Dans les émissions, j’ai au contraire un côté très maternel, je veux que les artistes soient bien. Par contre, je ne suis pas cool avec ceux qui font cela n’importe comment.
Qu’est-ce que vous préférez dans votre carrière ?
Ce que je fais aujourd’hui parce que je m’exprime avec les artistes, derrière un micro, avec une équipe. Avant, j’aidais juste les autres à s’exprimer. Concilier les deux m’a pris du temps !
Et après ?
Je partirai direct de Paris pour trouver une maison entre Besançon et Lons (mon mari est de Pontarlier), vers Salins par exemple. Il me faut un peu de relief, mais pas près du vignoble où le paysage est trop travaillé, et pas dans le Haut-Jura où les hivers sont parfois trop longs.