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Au début de l’année, l’écrivain jurassien a publié Les Enfants des autres chez P.O.L. Un roman familial qui se déroule une nouvelle fois dans le Jura.
Son cinquième livre Les enfants des autres accorde une grande place au Jura, comme les précédents. Pierric Bailly poursuit son itinéraire littéraire chez P.O.L. La maison d’édition le suit depuis ses débuts avec le célèbre Polichinelle. C’était il y a douze ans. Depuis, l’écrivain de La Frasnée n’en finit pas de creuser ses liens avec un Jura qu’il a cherché à fuir et qui le retient… comme un élastique. Itinéraire d’un enfant des bois.
Numéro 39 – Jurassien, 38 ans, cinq romans publiés chez P.O.L. – ce qui n’est pas rien – et une écriture qui captive ou rebute. À quoi sert aujourd’hui un écrivain ?
Pierric Bailly – Un écrivain raconte des histoires, et à travers elles, il permet une prise de distance vis-à-vis du monde. Le travail de l’écrivain, c’est de combattre le flux des chaînes d’infos en continu et de tous les discours simplistes qu’elles peuvent produire ; l’écrivain, lui, vient mettre de la complexité. Il y a mille façons d’écrire. De plus en plus, c’est le roman qui m’intéresse. Mon premier roman a été difficile à lire pour certaines personnes. Aujourd’hui, j’écris dans une langue plus simple, plus accessible ; je privilégie l’intrigue et les personnages. Mais finalement, depuis le début, je parle du même monde. La plupart de mes livres se passent dans le Jura, et j’essaie de raconter la vie de ceux qui l’habitent aujourd’hui.
Votre approche de l’écriture est assez spéciale. Votre premier livre Polichinelle s’inspire directement de vos deux jeunes sœurs ados que vous avez épiées pendant un été…
L’écriture de mon premier livre était très particulière, en effet, mais le langage des personnages était celui des jeunes que je côtoyais à l’époque, donc oui, de mes sœurs et de leurs amis. Je vivais avec eux et j’étais très attentif à leur façon de parler que je trouvais belle, tout simplement. Belle et inventive. J’aimais cette langue qui mêlait le parler des jeunes d’aujourd’hui à des formes plus anciennes, le langage des grands-parents, une sorte de patois. À l’adolescence, on aime jouer avec les mots, on est sensible aux tournures de phrases étranges, aux intonations, aux accents aussi. Dans une langue, il y a toujours quelque chose d’irréductible à un territoire. La langue de Polichinelle, c’est une langue qui sent la morille, la noix, et même la bouse de vache… Une langue jurassienne !
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Pierric Bailly – Numéro 39
Pourtant, vous ne l’avez pas écrit dans le Jura mais à Montpellier, tout seul dans une chambre…
Après mes études au collège Rouget-de-Lisle puis au lycée Jean-Michel à Lons, j’avais envie de partir, de changer d’environnement, comme souvent à cet âge-là. J’étais attiré par la ville, par Paris, mais c’était un Paris fantasmé, un Paris qui n’existe pas vraiment, ou alors un Paris d’avant le tourisme de masse. J’ai opté pour Montpellier car j’y avais de la famille, et j’ai suivi pendant trois ans des études d’art du spectacle à l’université. J’ai toujours été passionné par le cinéma et je dois cette passion au cinéma Renoir de Lons que je fréquentais assidûment à l’adolescence. Mais je n’étais pas à l’aise à la fac et j’ai très vite commencé à écrire. L’écriture correspond à mon caractère réservé, à mon goût pour la solitude. À l’époque, je ne connaissais rien au monde de l’édition. Je pensais qu’un livre s’écrivait en deux mois et qu’il était publié dans la foulée…
Pourtant, le livre est sorti chez P.O.L., l’une des maisons d’édition parmi les plus prestigieuses de France…
Après Montpellier, je suis revenu vivre dans le Jura pendant deux ans et je me suis mis à travailler en intérim. J’ai bossé un peu partout autour de Lons. En grande surface, à l’usine, chez Monneret, Skamex, Cinéconfort, Grosjean… J’ai aussi été balayeur chez Sita, j’ai passé des mois à ramasser les crottes de chiens dans les rues de Lons. La fatigue après une journée de travail ne m’empêchait pas d’écrire en rentrant. L’écriture de Polichinelle, mon premier roman, a été assez longue. Il y a eu plusieurs versions. La première faisait 1 300 pages, c’était absolument illisible ! J’ai repris le texte plusieurs fois, jusqu’à aboutir à une version de 200 pages, donc vous voyez que j’en ai jeté énormément. C’est à ce moment-là que j’en ai envoyé quinze exemplaires à des éditeurs. P.O.L. est le seul à m’avoir répondu positivement, mais c’est arrivé plus d’un an après mon envoi. Je n’y croyais plus du tout, j’étais déjà passé à un autre projet.
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Pierric Bailly – Numéro 39
Comment expliquez-vous que dans chacun de vos livres, le Jura apparaisse ?
Être de quelque part, pour raconter des histoires, me semble très important. Avoir un terreau dans lequel puiser. J’ai toujours eu tendance à revendiquer mes origines jurassiennes, c’est presque de l’ordre de la fierté régionaliste, un truc un peu con. Je suis né à Champagnole. Mes parents habitaient à La Frasnée et se sont séparés alors que je n’avais pas un an. Je vivais la moitié du temps chez mon père à La Frasnée et l’autre moitié chez ma mère à Savagna, à côté de Lons. Mon enfance à La Frasnée a façonné mon imaginaire, c’est un village de vingt habitants, perdu au fond des bois, avec une cascade magnifique. Mon goût pour la solitude vient peut-être de ces journées à me suspendre aux arbres et à crapahuter dans la forêt. Je partais le matin sans même prévenir mon père, ce que je ne permettrais pas à mes enfants aujourd’hui. Quand j’y repense, je me dis qu’il y avait une sorte d’insouciance chez mon père qui était belle. Savagna, c’est un peu différent, du fait de sa proximité avec Lons. Ces villages entre ville et campagne offrent des possibilités de déplacement inédites, typiquement à l’adolescence. Je faisais tout à vélo.
Quelle est votre définition du Jura ?
Déjà, le Jura que j’aime n’est pas un Jura de carte postale. C’est au contraire l’aspect sauvage des lieux qui me plaît. Les grottes perdues, les forêts moussues. Je marche énormément en forêt, je suis d’ailleurs une proie facile pour les tiques. Le Jura, c’est aussi un endroit où il n’y a pas de place pour le snobisme, et ça, ça fait du bien ! C’est le lieu des passions populaires, les tournois de pétanque, les campings, la pêche dans les lacs et les rivières, les pratiques sportives amatrices qui rythment la vie des villages et des familles. Et puis c’est un endroit pour qui aime être tranquille, au calme, un peu planqué. Ce n’est pas étonnant que les parents de Ravaillac soient venus se cacher à Lavigny. Si on veut briller, on ne vient pas ici.
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Pierric Bailly – Numéro 39
Mais il a fallu un drame pour que vous décidiez de vous y installer définitivement…
Je continue à vivre à Lyon une partie de l’année. Mais suite à la mort accidentelle de mon père, qui a chuté en forêt, j’ai acheté une maison vers Clairvaux. Cet événement et ses conséquences ont fait remonter l’importance que ce territoire a pour moi.
De quelle manière ?
Pour écrire L’Homme des bois, je suis revenu sur les traces de mon enfance avec mon père, ça a été une expérience très forte. Je prenais la voiture de mon père, j’écoutais sa musique et je sillonnais ces paysages qu’il aimait tant.
J’ai reçu beaucoup de courriers de lecteurs, ce qui n’était pas le cas pour les précédents. Le livre a été bien accueilli par la presse, mais il a marché surtout grâce aux libraires et au bouche-à-oreille.
Ce retour aux sources a-t-il changé quelque chose pour l’homme que vous êtes ?
Ça a été un vrai bouleversement dans ma vie. Ça a surpris beaucoup de monde autour de moi, comme mes sœurs par exemple, mais je ne regrette absolument pas ce choix, je suis tellement bien ici.
Et pour l’écrivain ?
Aussi, oui. Aujourd’hui, c’est clairement mon territoire de fiction. J’essaie de faire exister ce monde rural à l’intérieur de mes romans. Je pars de ma vie, de mon quotidien et ensuite je transforme tout.
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Pierric Bailly – Numéro 39
Une vie modeste en somme ?
La vie d’un couple d’ouvriers qui fait un prêt sur trente ans pour bâtir sa maison mérite tout à fait d’être racontée. Le clinquant des vies spectaculaires ne m’intéresse pas, ne me fascine pas, je m’en fous. J’ai un train de vie très simple. J’alterne entre ce que me rapportent mes livres et des petits boulots. Je ne voyage jamais, j’ai une voiture toute pourrie !
Alors que la capitale dont vous rêviez vous tendait les bras ?
J’aurais pu me plaire à Paris, au contact du milieu littéraire, mais la greffe n’a pas pris. Je n’ai rien contre, mais ce monde ne me parle pas, je ne m’y retrouve pas.
Vous venez de publier votre cinquième roman Les enfants des autres. Que recherchez-vous aujourd’hui ?
Mes premiers livres ont parlé à un public assez intello, et j’aime bien l’idée de pouvoir être lu et apprécié par des gens très différents. Par des lettrés comme par ma grand-mère. J’essaie d’écrire des livres qui vont dans ce sens-là. Deux projets d’adaptation sont en train de se développer à partir des Enfants des autres, l’un pour une série, l’autre pour un film de cinéma. Je ne sais pas si l’un des deux aboutira, mais c’est le signe que ce livre a une certaine dimension romanesque.
Polichinelle aussi avait failli devenir un film, quelques scènes avaient été tournées, mais ça n’avait pas été au bout. J’aime participer à l’écriture de ces scénarios.
Et puis je suis sur le point de terminer un nouveau roman, dont l’intrigue se déroulera de nouveau dans le Jura… Entre Saint-Claude et Bellecombe, en passant par Prénovel… Il s’agit d’un mélodrame, une histoire de relation père-fils. L’enjeu, plus que jamais, est d’être au plus près des émotions des personnages.
Le Jura ne change pas, mais l’écriture ?
Chaque projet a son écriture propre. Pour L’Homme des bois, j’ai fait tout le contraire de Polichinelle. L’écriture ne devait pas être voyante, elle ne devait pas empiéter sur le récit. C’est un livre plus adulte, du fait de son sujet comme de sa forme. C’est aussi une autre facette du Jura qui est dévoilée. C’est le parcours d’un travailleur social en milieu rural.
Dans celui que je viens de terminer, j’essaie de retrouver cette approche intimiste et sensible, tout en étant cette fois vraiment du côté du roman, de la fiction.