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Marlène Masure, la Jurassienne à la tête de TikTok en Europe

[Portrait publié dans le Numéro 39 n°9 en juin 2024]

Depuis le début du mois d’avril, la directrice des opérations de TikTok pour toute l’Europe est une femme… et elle est Jurassienne. Marlène Masure, Champagnolaise d’origine et Haut-Jurassienne revendiquée, a gravi en moins de deux ans les échelons de la plus grande plateforme de vidéos au format court du monde. Un parcours étonnant jalonné d’expériences dans des mondes aussi étranges que les jeux vidéo, Disney ou les Jeux olympiques.

Au sommet d’une carrière à faire pâlir la concurrence, la Jurassienne conserve ce sourire presque fragile, une humilité dans le regard et les gestes. « Pourquoi parler de moi ? Ma vie n’intéresse personne à part ma maman et ma famille… » C’est un peu comme si Marlène Masure (née Baud, un nom bien jurassien) s’étonnait de son ascension fulgurante chez TikTok, comme si elle s’excusait presque de tenir la place qui est la sienne. Pourtant, il ne faut pas se fier aux apparences, dans son univers de communication où se croisent la technologie, la finance, le juridique et la politique, c’est une Dame. On ne devient pas la Numéro 1 Europe en moins de deux ans par hasard…

 

UN ANCRAGE, DES VALEURS

Pour tenter de comprendre le phénomène Marlène Masure, il faut partir de sa terre, de ses origines. Non seulement elle se reconnaît jurassienne, mais elle le revendique. Ou plutôt Haut-Jurassienne, fille des sapins, des espaces. Aujourd’hui, à cinquante ans, mariée, mère de deux grandes filles, la région parisienne où elle s’est établie depuis près de trente ans n’a toujours pas comblé cette absence. Le Haut-Jura reste pour elle un besoin, pas seulement pour le ressourcement, pour déposer le stress accumulé dans le travail, mais tout simplement parce que c’est là qu’elle a grandi, qu’elle a découvert la vie : « Je ne me sens de nulle part ailleurs que du Jura. Dans mon monde idéal, je me vois bien vieillir là après ma vie professionnelle. C’est chez moi, c’est mon enfance, mes souvenirs. Il est très difficile de ne pas s’y attacher ! On est plus isolé à Paris que dans le Jura… »

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Marlène Masure aime à revenir dans le Jura – Numéro 39

Quand Marlène Masure évoque son monde idéal, on tend l’oreille, tant l’importance de la fonction gomme la vie personnelle. Toute gosse, elle voulait être styliste de mode : « Mon père avait envisagé de me présenter à M. Courrèges qu’il connaissait, mais je me suis vite rendu compte que je n’avais pas le talent artistique suffisant. » Pourtant, c’est une enfant plutôt manuelle qui colorie ses Playmobil, fabrique des objets ou coud des habits pour sa poupée. L’enfant en elle n’a pas grandi ; aujourd’hui, elle se passionne encore pour la poterie, au point d’installer chez elle un petit atelier avec un tour et un four pour fabriquer ses céramiques. Sa maman évoque une petite fille sage, travailleuse : « Elle était obéissante, facile, mais son caractère s’est affirmé au cours de sa carrière pour devenir plus rigoureux, plus direct. »

Pour cerner un peu mieux le personnage, il faudrait aussi parler de sa passion pour la musique. Si elle naît à Champagnole, elle grandit à Morez, où ses parents travaillent dans la lunetterie. Au pied des viaducs, elle découvre le hautbois : « J’ai appris le solfège avec Alain Parizot, un grand trompettiste et, chaque semaine, mon, père m’emmenait à Saint-Lupicin prendre des cours. Je jouais dans l’harmonie municipale de Morez. Pour les auditions, c’était des mois de répétition pour jouer devant les parents. Une bonne expérience pour apprendre à gérer son stress. »

C’est aussi dans ses années de jeunesse que se modèlent ses choix… et son caractère. Partie au lycée Pasteur Mont-Roland, à Dole, elle s’aperçoit que l’enseignement ne lui correspond pas, car elle souhaite privilégier une filière littéraire qui, à l’époque, est moins valorisée que la filière scientifique dans cet établissement. Après discussion avec ses parents, elle intègre l’Institution des Chartreux, à Lyon (Rhône) : « Mes parents nous ont toujours poussés à l’excellence, ma sœur et moi. Ce qui mérite d’être fait doit être bien fait. Je leur dois un très bon bac littéraire, qui m’a permis de faire prépa et d’intégrer une école supérieure de commerce. »

 

DOUZE ANS CHEZ DISNEY

Dans sa carrière, Marlène Masure a pas mal bourlingué. Après l’École Supérieure de Commerce de Bourgogne, à Dijon (Côte d’Or), elle se fait les griffes au sein du groupe PepsiCo. Là voilà commerciale sur la région Nord-Est. Ses clients sont des hypermarchés et des centrales commerciales. C’est dur : « Je sortais de l’école et je devais négocier avec des chefs de rayons parfois pas très aimables qui me demandaient aussi de monter des têtes de gondoles ou de refaire les rayons avant l’ouverture du magasin. À l’école de commerce, on n’a pas de formation à l’usage du tire-palette ! J’ai fait tomber quelques palettes de boîtes de Pepsi et j’ai pleuré plus d’une fois sur les parkings des hypermarchés… » La jeune femme serre les dents : « Parfois il faut manger son pain noir pour gagner en humilité et être plus solide dans sa tête. »

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Marlène Masure, de Disney à TikTok – Numéro 39

S’ensuivent un déménagement à Lyon pour suivre son mari et l’enchaînement de quelques expériences pas toujours réussies : « J’ai fait des mauvais choix de carrière, ils m’ont permis de définir ce dont j’avais envie ou pas. »

Quand elle entre chez Electronic Arts, entreprise spécialisée dans les jeux vidéo, elle est certaine d’avoir fait le bon choix. Lorsque, cinq ans plus tard, son patron part chez Disney, il l’emmène dans ses bagages. Elle y restera douze ans : « J’ai occupé beaucoup de fonctions différentes : marketing, études, partenariats, régie commerciale… et je me suis amusée comme jamais. Disney reste ma plus belle expérience professionnelle ! »

 

PARIS 2024, AVANT LE JACKPOT TIKTOK

Mais le besoin de challenge se fait sentir. Marlène Masure a toujours travaillé pour des sociétés américaines. Elle cherche un projet au service de son pays. En 2019, la direction des JO de Paris la recrute comme directrice développement et marketing : « Une formidable expérience de trois ans », résume-t-elle. Et de poursuivre : « J’étais en charge des partenariats, de la billetterie et des produits sous licence, donc de générer des revenus pour financer les Jeux. » Elle bâtit elle-même son équipe, met en place les stratégies et construit des collaborations. Mine de rien, les pièces du puzzle s’assemblent.

En 2022, une personne de l’équipe France de TikTok suggère son nom pour le poste de responsable des opérations pour la France et le Benelux : « Ils cherchaient une personne pour faire grandir sur la plateforme des entreprises de divertissement, des labels de musique, des acteurs du sport et du gaming. Avec mon parcours professionnel, j’apportais une expérience de secteurs stratégiques. » Le process de recrutement est long et complexe, il nécessite une dizaine d’entretiens sur plusieurs mois.

Elle occupe la fonction pendant dix mois, quand la direction lui rajoute alors la responsabilité de l’Espagne et de l’Italie. Dix mois plus tard, Rich Waterworth, en charge de la zone Europe, Afrique et Moyen-Orient s’en va et lui propose de le remplacer. Depuis début avril, Marlène Masure est donc la nouvelle patronne Europe de TikTok : « L’entreprise est très jeune puisqu’elle n’a que six ans, son organisation doit donc être souple et adaptable. Tout va très vite, car la nature de l’entreprise veut ça. Quand on signe chez TikTok, on sait à quoi s’attendre, ce n’est pas une surprise ! »

Stéphane, son mari, lui-même directeur commercial chez Lavazza, n’en est pas moins étonné : « On se connaît depuis l’école de commerce. Son évolution professionnelle est extraordinaire, mais bien méritée. Elle a su construire une belle carrière, tout en sachant gérer sa vie familiale. C’est capital pour elle, surtout avec ses nouvelles responsabilités. Elle a besoin de prendre du recul et y parvient très bien. Le poste serait dur pour une personne seule, mais ensemble, c’est possible. »

C’est certain, l’ascension est fulgurante. Aujourd’hui, elle se rapproche des sources de décision. Son chef direct aux États-Unis n’est autre que le numéro deux de l’entreprise en perpétuelle évolution : « Avec plus d’un milliard d’utilisateurs dans le monde, la plateforme a grandi très vite, mais nous sommes encore en phase de développement. L’audience est diversifiée, à nous d’encourager la meilleure forme de contenus… »

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Marlène Masure, fidèle au Jura

Justement, aujourd’hui, TikTok cherche à s’associer aux événements qui font écho dans tous les pays. Le marketing qu’elle aime tant, joue à fond. Pour le Festival de Cannes, la plateforme a lancé un concours de création de vidéos avec remise d’un prix sur la Croisette pour les trois meilleures : « Nous avons reçu 74 000 films courts venus de cinquante-cinq pays. L’an dernier, ils ont généré huit milliards de vues, ce qui montre la vivacité et la créativité de la communauté. » Idem avec le sport. TikTok soutient tous les événements sportifs, comme Roland Garros, l’Euro de football ou les Jeux olympiques et paralympiques. La plateforme est encore partenaire officielle du Tour de France : « Grâce à ce partenariat, on partage des moments de vie avec les athlètes. Nous travaillons main dans la main avec les chaînes TV, tout simplement parce que l’objectif est de faire monter l’envie de voir l’événement, de mieux connaître les équipes. »

Il faudrait aussi citer le Festival de la chanson de San Remo, en Italie, ou plus récemment « Apprendre sur TikTok », un programme qui met en lumière les contenus éducatifs créés par des professeurs, scientifiques ou experts, pour répondre à ce que Marlène Masure appelle « l’appétence éducative française ». L’initiative a généré déjà plus de trois milliards de vues.

VOUS AVEZ DIT STRESS ?

Mais l’entreprise est particulière ; elle fait l’objet de critiques touchant à l’espionnage, la liberté d’expression des utilisateurs ainsi qu’aux contenus véhiculés. Bref, le géant fait peur. La Jurassienne qui vit cette réalité au quotidien parle d’un mauvais procès : « TikTok est une plateforme d’expression créative qui montre des vidéos, pas un réseau social. Son essence est de permettre à chacun de s’exprimer en partageant des expériences et ses centres d’intérêt. C’est ce qui m’a séduit dans ce projet. Beaucoup de communautés sont présentes sur la plateforme et se passionnent pour des sujets extrêmement divers. Rien qu’en France, une personne sur trois vient sur TikTok chaque mois, c’est colossal. J’aime cette idée que chacun d’entre nous peut être entendu, que des personnes peuvent lancer leur business grâce à TikTok, que les jeunes peuvent exprimer leurs opinions… »

Marlène Masure aime rappeler que 40 000 modérateurs vérifient au quotidien la sécurité des contenus et qu’il existe une charte rigoureuse. Si un contenu enfreint les règles, il est retiré : « TikTok est une entreprise privée dont la mission est de divertir. C’est une fenêtre sur le monde. Les utilisateurs en font ce qu’ils veulent. Nous avons tous à nous éduquer… »

« Je n’en reviens pas du poste qu’elle occupe et de la rapidité de son ascension et cela me fait un peu peur, confie sa maman. C’est génial pour elle, Marlène le mérite. Elle s’épanouit vraiment, mais elle vit sur un siège éjectable. Dans ce milieu, on ne travaille pas à long terme. »

L’intéressée, elle, préfère relativiser et vivre l’instant présent : « Il faut garder de la distance. Tout cela reste une activité professionnelle. Je pense qu’un chef d’entreprise qui fait chaque mois les feuilles de paye de ses employés, lui, peut avoir du stress… Ce qui compte pour moi aujourd’hui, c’est de passer du temps avec les équipes que je gère, de voir comment on peut apporter quelque chose de plus à nos partenaires. Cela me suffit pour être heureuse. Je ne me projette pas, mais ce qui est certain, c’est que quand j’évoque l’idée d’acheter une maison dans le Haut-Jura, mon mari est aussi motivé que moi. Il y aura donc un retour dans les prochaines années. J’aspire aussi à quelque chose de serein. »

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