Cuisinier dans la Marine, ce Lédonien de 27 ans se prénomme… Marin, mais il n’a toujours pas servi sur un bateau. Par contre, chaque jour, il prépare les repas du Premier ministre et de ses hôtes ! Marin Konik est l’un des vingt cuisiniers de Matignon.
Si on lui avait dit qu’un jour, il serait militaire, le petit Marin Konik aurait bien rigolé. Parents séparés, une grande sœur aujourd’hui à Besançon et un petit frère dont il s’est beaucoup occupé, son univers de gosse tournait autour du handball : « Je n’étais pas mauvais et, comme les gamins de mon âge, je rêvais du maillot bleu. Mais ce que j’aimais surtout, c’était jouer avec les copains, sans penser à rien d’autre… » Ce sport aurait pu être toute sa vie, mais le destin en a décidé autrement.
Crâne rasé, barbe réglementaire, regard clair et droit, aujourd’hui le bonhomme est posé, loin du militaire baraqué des images d’Épinal. Lui serait plutôt du genre chat maigre, vif et espiègle. Quand il évoque son parcours, ses souvenirs sont ronds comme un ballon. Enfant de la génération des Costauds, ses qualités le font quitter le sage collège Rouget-de-Lisle de Lons-le-Saunier, en cinquième, pour celui des Louataux à Champagnole, où il reste un an, avant de rejoindre le collège Stendhal de Besançon, en section sports-études : « C’était le niveau au-dessus, assez difficile physiquement et mentalement. » Il enchaîne alors avec une seconde au lycée Paul-Emile-Victor à Champagnole, section handball bien sûr. Mais là, tout bascule : « Je passais plus de temps à faire du théâtre de rue qu’à m’entraîner. » Alexis Pernet, ancien camarade, aujourd’hui capitaine de l’équipe fanion de l’Union Sportive Lédonienne (USL), se souvient de cette époque bénie : « Marin, je le connais depuis l’âge de treize ans. Dans la même chambrée à Besançon, on avait collé nos matelas pour pouvoir discuter la nuit, on formait un vrai duo. A Champagnole, on a répété les soirs pendant un an la chorégraphie de Claude François pour un spectacle. Nous avons aussi chanté Renaud, déguisés en fermiers. Moi, je jouais de la guitare, et Marin chantait. C’est quelqu’un de fiable, je suis fier de lui. »
Son âme de saltimbanque lui joue des tours, les résultats scolaires s’effondrent. Il est prié d’aller redoubler ailleurs et ses parents le rapatrient au lycée agricole de Montmorot, à côté de la ville-préfecture : « Ils voulaient que je fasse une bonne seconde ailleurs que dans un lycée où j’aurais retrouvé tous mes potes… et ils ont eu raison parce que j’ai décroché un bac technique Sciences techniques de l’agronomie et du vivant (STAV) qui m’a beaucoup plu. Après, j’ai réfléchi à ce que je voulais faire et, comme j’aimais bien cuisiner et faire les repas pour la famille et les copains, j’ai engagé une remise à niveau à Arbois, une section du lycée Friant de Poligny. » C’est la révélation ! Il enchaîne les stages, d’abord à l’hôtel-restaurant Le Chamois aux Rousses, puis à Eze dans un restaurant une étoile, et à Yvoire aux Jardins du Léman, avant de décrocher son BTS. Comme il en veut toujours plus, il s’envole pour l’île de la Réunion, où il passe une licence très spéciale en arts culinaires des tables de l’océan indien : « Ce fut une année riche humainement ; j’avais déjà des influences antillaises à la maison par mon beau-père guadeloupéen. Aujourd’hui ma cuisine est marquée par les épices. »
C’est pas l’homme qui prend la mer…
Retour dans le Jura, puis direction Toulouse, où il se lance dans un master de management et ingénierie en restauration collective. Au bout d’un semestre, Marin Konik renonce : trop scolaire : « Pendant un an, je suis retourné travailler aux Jardins du Léman, j’ai beaucoup appris avec des gens très professionnels. » C’est là qu’il décide de faire une demande pour l’école de sous-officier de maistrance à Brest. Lubie ? Pas du tout, la chose a pris le temps de mûrir : « Déjà en BTS, j’ai beaucoup réfléchi pour rejoindre un corps d’armée. J’aime cet esprit carré, j’ai besoin d’un cadre et d’un esprit d’équipe. »
Après une batterie d’entretiens, de tests physiques, psychologiques et scolaires, il est reçu… Et le voilà parti à Brest pour quatre mois : « C’est une formation très dense, on se forme à la culture marine. Après, je suis parti à Querqueville, près de Cherbourg, où j’ai passé mon brevet d’aptitude technique et enchaîné avec une spécialisation en cuisine marine. » Quand vient l’heure des affectations, étrangement Marin ne demande pas un bateau, mais la cuisine de haute autorité : « C’était pour moi l’opportunité de rejoindre les ambassadeurs de la Marine à Paris, je voulais faire autre chose que de la cuisine de collectivité et mon projet a fonctionné. » En sachant bien qu’il servirait plus tard sur un bateau, il débarque à Paris, en janvier 2015, et cuisine six mois pour le chef d’État-Major de la Marine. Quand l’ensemble de l’Etat Major déménage pour Balard, le Jurassien demande Matignon, tout bonnement : « C’est très dur d’avoir la place. On est presque tout au sommet de l’échelle, on fait la cuisine pour le Premier ministre et l’ensemble du personnel. C’est très impressionnant parce que c’est la deuxième maison de France, un lieu chargé d’histoire. Pour moi, c’est un rêve ! Chaque matin, je me dis : tu vas à Matignon et je ressens une immense fierté. »
Les cuisines de Matignon, c’est un univers à part entière, un monde fait d’exigence et de précision placé sous la houlette de Denis Rippa, chef de l’illustre demeure depuis décembre 2014 : « La pression est là tous les jours. Pour faire à manger, nous sommes vingt-six en cuisine, dont six apprentis, auxquels s’ajoutent plus de soixante-dix personnes chargées de l’intendance en salle et en cuisine. » Une ruche où se côtoient fonctionnaires, contractuels et militaires, basée sur la rotation : entrées, plats chauds, mise en place, cuisine du Premier ministre… Chacun passe par tous les postes : « C’est plaisant et très riche d’enseignements. Et puis, la cuisine marine est très prisée, la majorité des gens ont entre trente et quarante ans, je suis l’un des plus jeunes… »
Valls, Cazeneuve… et Édouard Philippe
Jeune, peut-être, mais ici rue de Varenne, l’âge ne compte pas. Le mot d’ordre est de répondre à la demande et de s’adapter. Et pas question de commenter les goûts des personnalités politiques ou civiles qui sont invitées à la table du chef du gouvernement. La discrétion est de rigueur : « Je choisis mes collaborateurs sur leurs compétences, j’exige une belle moralité, un vrai engagement dans le travail. Pour moi, le statut n’est pas primordial, j’attache beaucoup d’importance à la cohésion. Marin est consciencieux, c’est un garçon qui a de l’esprit et beaucoup d’humour, il a conscience de ce qu’il ne sait pas encore faire, mais il a déjà fait des bonds en avant, c’est une pierre solide dans l’équipe, il sait prendre du recul », décrit Denis Rippa.
Dans cet univers feutré, il est quand même permis de répéter que Manuel Valls aime bien la viande rouge, ou encore que Bernard Cazeneuve préfère les plats plus traditionnels : « Nous, on ne voit personne, notre place est aux cuisines et, de ce point de vue, Matignon, c’est comme ailleurs : le travail doit être irréprochable. Les jours où il y a un conseil des ministres ou des réceptions, on a davantage de travail, c’est tout. Quand il y a des cas particuliers, les intendants nous informent et on adapte les plats. Mais nous faisons une cuisine française ! »
Curieusement, Marin Konik n’est pas en terre étrangère à Matignon, le chef sommelier est bisontin et l’un des maîtres d’hôtel est également lédonien : « Nous parlons beaucoup du Jura, c’est important d’être l’ambassadeur de sa région, de faire connaître les produits locaux. Je ramène tout le temps du comté et j’invite les gens à venir à la Percée. »
Si professionnellement Matignon est une aubaine, reste la sphère privée. Sa petite chambre dans une base militaire interdite aux civils n’est pas franchement adaptée à une vie de couple. Heureusement, Sonia, son amie, vit à Marseille. La jeune femme s’est fait une raison : « On s’est rencontré il y a presque trois ans et on se débrouille avec cette situation. Week-end après week-end, ce sont les retrouvailles le vendredi et les adieux le dimanche soir. Je sais ce que c’est que l’amour de son métier, je ne lui demanderai jamais de rester à terre. C’est quelqu’un de confiance, il est solide et puis… il fait très bien le risotto, mon plat préféré », confie-t-elle.
Il y aura un après Matignon et notre Lédonien s’y est préparé : « Je suis marin et je n’ai pas envie de connaître mon premier bateau à trente ans ! »
Cette autre vie qui se profile déjà, il veut la passer dans le Sud, près de sa belle. Alors pourquoi pas Toulon, première base navale de France, avec sa flotte mais aussi ses sous-marins. C’est une expérience que Marin Konik ne s’interdit pas : « Je suis rentré dans la Marine faire des missions engagées, même si mon port d’attache sera toujours Lons-le -Saunier. »
Photo : Numéro 39, collection personnelle.