Jean-Baptiste Quiclet, directeur de la performance de l’équipe cycliste professionnelle AG2R La Mondiale est l’un des hommes de confiance de Romain Bardet. À 32 ans, il possède un parcours singulier. Du massif du Jura jusqu’au podium du Tour de France, retour sur une trajectoire atypique.
2016. Huit gaillards qui ne font qu’un. Soudés comme lors de Ces trois dernières semaines. Pour rien au monde ils n’auraient voulu louper ce moment. Face à eux, leur chef de file, leur « pote » qui savoure un instant d’éternité, une deuxième place au Tour de France. En bas de l’estrade, on s’enlace. Les façades se craquellent, les larmes s’échappent. En haut, la solennité de l’instant sur la plus belle avenue du monde, les Champs Élysées. Romain Bardet est installé à la droite de Chris Froome, épilogue d’une Grande Boucle qui a basculé 48 heures plus tôt sur la route de Saint-Gervais, où le longiligne Auvergnat a remporté l’étape, inscrivant son nom dans la liste des grands de la planète vélo.
Les caméras du monde sont braquées sur le podium de cette 104e édition de la plus grande course cycliste du monde. Bardet, perdu dans ses songes, aperçoit un peu à contretemps ses compagnons de route. La cérémonie se termine. Peu importe le protocole, Romain Bardet rejoint ses coéquipiers. Et tombe dans les bras d’un homme : Jean-Baptiste Quiclet. Le Jurassien de 32 ans est l’entraîneur du leader français. Alors que certains de ses confrères revendiquent plus de deux décennies d’expérience, lui a réussi le pari un peu fou de gravir les échelons du cyclisme mondial en trois saisons. Il est aujourd’hui le directeur de la performance de l’équipe cycliste professionnelle AG2R La Mondiale.
Le déclic à Métabief
L’homme possède le parcours classique d’un passionné de vélo. Originaire de Voiteur, il débute sous les couleurs de Bletterans, « avec un personnage illustre du coin, Roger Chevallier ». Le Franc-Comtois pur souche est fils d’un couple originaire de Haute-Saône : « Je ne suis pas issu d’une famille de sportifs. Il y a bien mon oncle, Gilles Nachin, originaire de Vesoul, qui a été un bon amateur sur la route et l’un des initiateurs du VTT en France. C’est lui m’a donné la passion du vélo. »
Le déclic se produit en 1993, lorsque la station de Métabief accueille le quatrième championnat du monde de l’histoire du VTT. Le garçon alors âgé de huit ans est sur le bord du parcours pour encourager un tonton qui, à ses yeux, a tout du héros. L’histoire est en marche. Il rejoint Jura Cyclisme comme compétiteur, mais se dirige assez vite vers le coaching.
Paradoxalement, l’homme qui travaille aujourd’hui avec le meilleur professionnel tricolore, Romain Bardet, connu pour être un des coureurs les plus méticuleux du peloton, est à ce moment-là bien loin d’avoir intégré tous les paramètres liés à la performance : « à 20 ans, je n’avais pas forcément conscience de tout ce que l’on pouvait mettre en place pour être compétitif. J’ai découvert cela en première année de faculté. »
Rapidement, une première rencontre va se révéler déterminante pour la suite de sa carrière : Yvan Clolus. Cet autre Jurassien expatrié à Ornans, dans le Doubs, le convie dès 2005 à un stage avec l’équipe de France juniors de cross-country. « Cette expérience m’a donné le goût de l’encadrement et je me suis investi avec lui. J’ai ensuite été sollicité sur les groupes route. » Pour son aîné, « J.-B. est un formateur. Il a su s’imposer par ses connaissances et son expertise. Dans le monde dans lequel il évolue, si tu n’as pas été professionnel, on a tendance à ne pas te prendre au sérieux. Lui n’a pas fait douze fois le Tour de France, mais on s’en moque un peu, il a réussi à se faire une place… »
Aux côtés d’Yvan Clolus, le Jurassien travaille pour le Comité régional de Franche-Comté, puis intègre l’encadrement du nouveau pôle France, situé à Besançon. Mais c’est en 2009 que sa carrière prend un nouveau tournant. Sur les conseils de Bernard Bourreau, ancien sélectionneur national, Jean-Baptiste Quiclet rencontre Stéphane Heulot. Ce dernier, champion de France en 1996, cherche un entraîneur pour son groupe professionnel, l’équipe Besson Chaussures.
Parmi les grands
Pour le Franc-comtois, c’est le début d’une nouvelle vie. Adieu le massif du Jura, direction l’Ouest de la France, où il restera quatre ans. Avec lui, il embarque les siens en Bretagne pour se retrouver au plus près du service course de son nouvel employeur : « J’avais l’ambition de travailler chez les professionnels, c’est là qu’il y a le plus de moyens. Ce projet partait de zéro, il y avait tout à faire », raconte-t-il.
L’équipe participe à trois Tour de France entre 2011 et 2013, avant de disparaître. Entre-temps, elle était devenue Saur-Sojasun, puis Sojasun.
De cette expérience, Jean-Baptiste Quiclet garde une vraie reconnaissance, celle de la première chance : « J’ai fait mes classes. Il y avait un échange mutuel enrichissant… »
Si l’homme a désormais la tête dans l’univers professionnel, il garde les pieds solidement ancrés sur son Jura natal. « Il reste un mec simple qui n’a pas vraiment pour habitude d’oublier qui il est et d’où il vient », souffle Yvan Clolus, qui porte un regard bienveillant sur son ancien élève.
Fin 2012, Alexis Vuillermoz [lire Numéro 39 n° 1] envisage de changer définitivement de vie. Le garçon de Chevry, près de Saint-Claude, médaillé mondial en VTT chez les moins de 23 ans, vient de louper sa qualification pour les Jeux olympiques de Londres. Et pour couronner le tout, il doit chercher un nouvel employeur. Ce passionné de finance envisage sérieusement sa reconversion professionnelle dans l’univers bancaire. Mais Jean-Baptiste Quiclet qui l’a vu débuter au club du Plateau du Lizon, n’a pas perdu le garçon de vue. Sans être réellement proche du Sanclaudien, il tente un pari : « Alexis n’avait pas vraiment de référence sur la route et, dans sa situation, il avait même un peu arrêté de s’entraîner. J’ai convaincu Heulot de le prendre à l’essai en stage. » Quelques mois plus tard, sous les couleurs de Sojasun, Alexis Vuillermoz court le Tour de France en 2013, la 100e édition : « Il se faisait remarquer avec des échappées », rappelle Yvan Clolus qui entraîne le garçon depuis 2005. Quatre années après ce pari, le jeune homme est aujourd’hui l’un des cadres de l’équipe AG2R La Mondiale et a remporté une étape du Tour en 2015.
Après six victoires chez les professionnels, Alexis Vuillermoz est considéré comme l’un des meilleurs puncheurs. Il n’a pas oublié le précieux coup de main : « Si je suis là aujourd’hui, c’est clairement grâce à Jean-Baptiste. C’est lui qui, en 2012, s’est engagé personnellement pour que l’on me donne ma chance. Aujourd’hui, je lui fais une confiance absolue. Cela fait près de quinze ans que l’on se suit et je sais ce que je lui dois. »
La rencontre avec Bardet
Tous deux font donc face à l’arrêt de Sojasun fin 2013. Pour l’entraîneur, les choses sont compliquées. Les différents contacts avec les équipes cyclistes françaises n’aboutissent pas. Il va jusqu’à envisager une nouvelle orientation professionnelle : « Je pensais passer des concours pour devenir cadre fédéral. » Alors que les cyclistes ont déjà repris le chemin de l’entraînement, une porte finit toutefois par s’entrouvrir en plein hiver : « En décembre, les dirigeants d’AG2R La Mondiale m’ont invité sur un stage. Ils m’ont gardé, mais j’avais six mois pour faire mes preuves. »
C’est à cette période qu’il fait la connaissance de Romain Bardet. L’Auvergnat vient de boucler sa deuxième saison professionnelle et compte déjà une victoire au classement général au Tour de l’Ain et une quinzième place au Tour de France pour sa première participation. Bref, le coureur est plus que prometteur ! « Personnellement, je ne le connaissais pas en arrivant dans l’équipe. Le deuxième jour avec l’équipe, je le vois débarquer dans ma chambre. Il m’a posé tout un tas de questions. Il avait besoin d’échanger sur pas mal de points concernant l’entraînement. Depuis, on a tissé un lien et une confiance mutuelle. »
En dehors de la mêlée
Le binôme semble sur les rails. Là encore, tout va très vite. Pour le groupe français, la saison 2014 est à marquer d’une pierre blanche avec la victoire par équipes au Tour d’Italie, puis au Tour de France. En juillet, sur les Champs Élysées, Jean-Christophe Péraud finit deuxième du classement général, Romain Bardet sixième. L’équipe AG2R La Mondiale entre dans une nouvelle dimension : « Mais sincèrement, entre mon arrivée et cette saison 2014, il n’y a pas de cause à effet. » Peut-être, mais en l’espace de quatre années, Jean-Baptiste Quiclet révolutionne l’équipe. Trois entraîneurs supplémentaires arrivent sous sa direction, avec chacun des compétences différentes : « J.-B. a besoin de s’entourer de personnes qu’il connaît et en qui il pourra avoir confiance », souffle Yvan Clolus. L’été dernier, au moment où Bardet et les siens enflamment les routes, il n’est d’ailleurs pas physiquement présent sur la Grande Boucle. « Je n’ai pas forcément vocation à être présent en permanence sur le terrain, justifie-t-il. J’ai besoin d’avoir un recul sur les choses qui permet d’affiner mon observation. Pris dans l’évènement, on n’a pas les images et les infos de ce qui peut se passer. En prenant du recul, on voit parfois mieux les choses… »
Malgré un emploi du temps dévoré par 150 jours de déplacement annuel, Jean-Baptiste Quiclet trouve encore les ressources pour s’engager dans la vie de la commune de Marchaux, dans le Doubs, où il réside. Une épreuve de première catégorie (plus haute division amateur) et un trail mis en place par le Team organisation Marchaux qu’il préside viennent ponctuer la vie de ce village proche de Besançon : « Je reste un passionné avant tout, il faut garder les pieds sur terre par rapport à la base du sport et être conscient des difficultés. » La gestion de ces deux rendez-vous s’organise bien souvent à distance. Comme en cette fin mai où il termine deux semaines de préparation sur les hauteurs de la Sierra Nevada, aux États-Unis.
Le Tour de France est déjà dans toutes les têtes. En juillet, Romain Bardet sera forcément attendu. Chacun de ses gestes sera observé, analysé, commenté. Le 8 juillet, lorsque les cyclistes s’affronteront entre Dole et les Rousses, ce sera forcément un moment particulier pour son homme de confiance. « Je vais peut-être venir avec mes enfants, c’est important de vivre cette journée avec eux », glisse le père de famille dont la compagne est originaire du Haut-Jura.
Jean-Baptiste Quiclet sera ému, mais passion et humilité ne le quitteront pas. Ces valeurs font de lui un homme simple ; ce sont elles qui le mèneront au sommet.
Romain Bardet : « on apprend ensemble »
Je me souviens de ma rencontre avec Jean-Baptiste Quiclet. Il était tout nouveau dans l’équipe AG2R La Mondiale. Avant de débuter ma troisième année professionnelle, je cherchais à approfondir mes connaissances dans le domaine de l’entraînement. Je savais qu’il avait suivi un parcours scientifique et je voulais me développer dans ce domaine.
Avant de commencer à travailler ensemble, nous avons échangé. J’ai trouvé une véritable oreille pour m’écouter. Et c’est sur cette base qu’a débuté notre relation.
Aujourd’hui, je sais que je travaille avec quelqu’un de compétent, toujours disponible et à l’écoute des athlètes qu’il entraîne. Il est passionné par son métier, par le cyclisme.
Même si JB n’a pas la même expérience que certains entraîneurs, cela n’a jamais été un frein.
Ce qui me plaît, c’est que l’on apprend et l’on avance ensemble. Je préfère cela à quelqu’un qui pourrait dire la messe et que l’on écoute religieusement.
Avec lui, nous sommes dans l’apprentissage mutuel. Nous travaillons beaucoup lors des stages ou sur certaines séances spécifiques. Même s’il est absent en course, cela ne l’empêche pas d’être en contact avec moi chaque jour. Il a besoin de cette distance pour garder une certaine analyse… et cela me va bien.
Photos : Frédéric Machabert