Un Dolois au patronyme bien connu dirige Telfrance, la société de production de Plus belle la vie, Demain nous appartient ou encore Candice Renoir, séries à succès de TF1 et France Télévisions.
Quand il était gosse, Guillaume de Menthon avait un rêve secret, il voulait devenir producteur de cinéma. Pas acteur, mais « fabricant » de films. Il voulait créer, à sa façon, apporter du rêve, raconter des histoires. Sauf que la réalité a eu raison de la fiction et il a fait des études de commerce, d’abord en économie et gestion à la Sorbonne, avant de passer son diplôme à l’École de Management Lyon Business School, originellement École supérieure de commerce de Lyon, qui a également eu pour élève Stéphane Bern. Finalement, il s’est engouffré dans la finance : « La formation commerciale donne des bases. On n’apprend rien et on apprend tout, je n’ai pas fermé les portes ! »
La fabrique de feuilletons
Comment échapper à son destin ? Ses parents ont toujours été des managers : sa mère Sophie de Menthon —connue pour sa participation à l’émission de radio Grandes Gueules sur RMC, éditorialiste pour Challenges et Valeurs actuelles — a longtemps eu des responsabilités nationales au sein du Medef dont elle a même brigué la présidence en 2010 ; son père a créé des entreprises et occupé plusieurs mandats électifs à Choisey et dans la région doloise. Forcément, l’entourage a pesé : « J’évoluais dans un milieu d’entrepreneurs. »
Très vite, le jeune homme fait ses preuves. On citera quelques étapes : directeur général de Multilignes Conseil, du groupe Datem et de GoFluent… Mais c’est sa rencontre avec Fabrice Larue — magna français des médias, patron du groupe Newen, producteur de fictions — qui marque le vrai tournant de sa carrière. Il devient, en 2011, P.-D.G. de CAPA Développement, premier groupe de documentaires. Depuis 2015, il dirige Telfrance, célèbre pour la production de feuilletons à succès, notamment Plus belle la vie et Demain nous appartient, mais aussi pour ses fictions, Le Sang de la vigne avec Pierre Arditi, dont un épisode a été réalisé dans le Jura, Candice Renoir, Nina…
La boucle est bouclée, Guillaume de Menthon — qui ne ferme jamais les portes, ne l’oublions pas — fait aujourd’hui le métier dont il rêvait il y a quarante ans : « Je ne sais pas par quel karma j’y suis parvenu, c’est la chance. » Comme quoi, il faut toujours croire en sa bonne étoile !
À moins qu’il ne s’agisse d’une récompense pour un infatigable travailleur, comme en témoigne Sébastien Charbit, producteur du célèbre feuilleton de France 3. Il travaille à ses côtés depuis deux ans et demi : « C’est un patron exigeant, mais aussi stimulant. Nous avons un travail stressant et il sait calmer, tout en dynamisant. Il est moderne en ce sens qu’il se questionne sans cesse, il ne s’arrête pas à ce qui existe et à ce qu’on a l’habitude de faire. Quand on lui dit que quelque chose est impossible, il demande toujours pourquoi… et il trouve des solutions. C’est également quelqu’un d’honnête dans un milieu où la parole donnée n’est pas toujours respectée ! »
L’art de s’adapter
À 49 ans, voilà donc ce fils d’une très ancienne famille aristocratique jurassienne parmi les hommes d’affaires les plus influents du PAF français. La cour des grands : « Telfrance est une société-écrin où on accueille des talents. On met tout en œuvre pour qu’ils s’épanouissent. C’est un groupe constitué d’un certain nombre de producteurs. J’assure les financements, traite les relations humaines, l’informatique, le juridique… et je représente le groupe vis-à-vis de nos clients, c’est-à-dire les chaînes. L’autre volet de mon travail, c’est d’assurer le dialogue pour accompagner les producteurs, pour les aider à réussir. »
Ainsi, il est arrivé à Guillaume de Menthon de peser de tout son poids pour mener à bien certains projets comme Demain nous appartient ou Versailles, la série à grand spectacle de Canal+ : « Je me suis investi personnellement dans le montage, mon rôle est d’être aux côtés des producteurs comme soutien, en même temps sponsor et coach. »
Facilitateur, en somme, mais bien conscient de devoir rester dans son domaine de compétence : « J’accompagne des producteurs, mais je ne le suis pas moi-même. Je m’occupe du financement, c’est vrai et c’est très important. Il faut de l’argent pour pouvoir continuer, il permet de réaliser de belles choses. Mais mon moteur n’est pas juste le gain ! »
La fiction française séduit les téléspectateurs
Non, le moteur de Guillaume de Menthon, c’est plutôt le plaisir : « Je m’amuse dans ce métier. Je ne dis pas que je ne me réveille pas à 3 heures du matin pour lister toutes les choses que j’aurai à faire dans la journée, mais je savoure le fait de pouvoir aider à créer, à donner du bonheur. Ce que je préfère, c’est la rencontre avec des gens qui me font rêver. » Le descendant d’aristocrates jurassiens n’en conserve pas moins une certaine rectitude : « On est dans un métier qui donne du sens. On sait pourquoi on travaille ! »
Et les résultats sont là. En 2013, la fiction française représentait 13 % de parts de marché ; en 2017, elle atteint 85 %. Elle se porte si bien qu’elle occupe aujourd’hui le devant de la scène internationale : « Elle a atteint un standard de qualité meilleur que la plupart des autres pays et ce niveau de compétence s’exporte bien. »
L’autre raison, c’est l’appétit du public : « Ce qui se passe dans les bureaux de police américains n’intéresse plus guère le public français, il préfère que l’action se déroule à Sète ou à Marseille. Il faut que l’histoire lui parle, que le téléspectateur se sente concerné. »
Avec l’offre qui s’est multipliée — en partie d’ailleurs avec le streaming et les enregistrements illégaux — le public a pris l’habitude d’aller chercher la qualité là où elle est. La course aux nouveautés est donc semée d’embûches, elle constitue un vrai pari : « Dans neuf cas sur dix, notre métier est de trouver un diffuseur qui achète un projet et, s’il ne peut pas le financer seul, il faut aller chercher d’autres partenaires à l’international. » Telfrance doit donc produire sur un maximum de marchés dans un métier où la visibilité est réduite. Mais Guillaume de Menthon porte en lui une confiance qui n’est pas qu’apparente : « Je crois au temps qui passe, les choses se font toujours comme elles doivent arriver. »
Finalement, c’est peut-être Fabrice Larue, le big boss, qui le définit le mieux le jour où il lui dit : « Si vous étiez dans l’eau, vous auriez des nageoires qui pousseraient… »
Pour comprendre l’homme, il faut revenir au Jura. Tout s’est passé et tout se passe encore à Choisey, dans le château familial. Guillaume est certes né en région parisienne en 1969, mais son jardin se situe à quelques encablures de Dole. Il y passe toutes les vacances scolaires, ce sont les jeux dans le parc, les descentes de la Loue en canoë, les escapades risquées dans les barrages ou les balades dans la forêt de la Serre.Toussaint, Pâques, été : « La famille n’y va pas l’hiver parce que la demeure n’est pas chauffée. Quand on se retrouve, il y a là quatre générations autour de ma grand-mère qui vit toujours. Choisey, c’est le lien entre ma vie parisienne et mes racines jurassiennes. Quand j’y suis, je me sens moins bête. C’est étrange à dire, mais ma présence régulière dans le Jura me permet de garder du bon sens, de rester à l’écoute des gens qui vivent là. Bref, de ne pas être hors sol. »
La grande demeure, monument historique, est le lieu de ressourcement et dieu sait que la famille, ça compte chez les de Menthon : « J’ai toujours été dans cette maison de Choisey [dans le Jura on l’appelle le château, N.D.L.R.] qu’on ouvre au public tous les deux ans pour les journées du patrimoine. J’y ai côtoyé mon grand-père, maire de Choisey pendant vingt ans, consul, ambassadeur au Chili au moment du coup d’État de Pinochet. Mon père a été maire lui aussi, président de la communauté de communes de Dole, il a été battu aux législatives en 1978 par Gilbert Barbier ! »
Il faudrait aussi parler de la ferme dans la vallée de Joux où le petit Guillaume passait tous ses hivers : « Je le dis sereinement, le plus bel endroit du monde, c’est le Mont Tendre ! »
Quand il pose les pieds dans le Jura, le businessman parisien se ressource, change de décor, renoue avec ses racines.
C’est à Dole, en novembre 2017, après le lancement de Demain nous appartient qu’il organise à la Commanderie la première rencontre entre les comédiens de Plus belle la vie, la production et les téléspectateurs jurassiens. Plus de mille personnes répondent présent.
Et puis, il y a le ski de fond, une vraie passion. Guillaume de Menthon affiche au compteur quatorze Transjurassienne, dont la dernière il y a quelques mois avec son fils de vingt ans et une poignée d’amis ramenés de Paris et embringués dans l’aventure : « J’essaie de transmettre cet amour pour le Jura, c’est un endroit dont il faut savoir être digne. »
Un homme en questionnement
Honneur, sens des responsabilités, dignité, tradition. Nous sommes là dans les valeurs qui ont porté depuis des siècles la famille de Menthon, une véritable lignée en fait que Guillaume accepte et même revendique d’une certaine façon. Ne dit-on pas que chacun est le fruit de son éducation : « Ma famille est aristocratique, mais elle a toujours été sociale. Ce sont des gens croyants, très pratiquants qui ont toujours adopté des positions très fortes. »
De là sans doute une manière très personnelle d’aborder la vie et ses questionnements incessants. Alexia Delrieu, la sœur de Guillaume, connaît bien le bois dont son frère est fait, ce « cherchant » qu’elle définit plutôt comme « un pragmatique curieux, pas du tout mystique, ce qui n’empêche pas le doute. Il est fort et assez sensible à la fois, d’où ses interrogations constantes. Il sait qu’il ne peut pas partir comme ça, au bout du monde, même si l’envie lui prenait parce qu’il a des choses à assumer et il le fait avec fierté et plaisir. »
Et peut-être l’interrogation ultime est-elle autre ? « Je me demande si je suis un homme libre. J’ai une forme de liberté, bien sûr, mais je crois que l’essentiel réside dans les questions que l’on se pose, dans la faculté que l’on a à s’écouter et à s’adapter. Celui qui ne s’interroge pas tous les jours a pour moi une espérance de vie proche de zéro. »
Photos : Fabien Malot et Numéro 39