L’écrivain a connu le Haut-Jura quand elle était jeune mariée. L’intrigue de ses deux derniers romans se déroule dans cette montagne dont le souvenir ne l’a jamais quittée. Entretien.
Avec près de 600 000 exemplaires en 2018, elle fait partie du top 10 des écrivains les plus lus en France. Elle a vendu plus de 10 millions de livres au cours de sa carrière. Certains – un peu snobs ? – la classent dans la catégorie « littérature populaire », une étiquette dont elle se glorifie. L’intrigue de ses deux derniers romans, Gran Paradiso et Si loin, si proches, se situe dans le Jura, où l’auteur a passé quelques mois de vacances lorsqu’elle était jeune mariée.
Fille de chanteurs d’opéra, ancien jockey et grande amoureuse de la vie… Savourons notre chance ! Le personnage Françoise Bourdin est à lui seul le héros d’un tumultueux roman. Rencontre.
NUMÉRO 39 – Vous avez commencé à écrire très jeune, signant votre premier roman, Les Soleils Mouillés, à l’âge de vingt ans. Depuis, vous avez publié près de cinquante romans, en moyenne un à deux par an, affichant tous des ventes records. Qu’est-ce qui vous inspire ?
FRANÇOISE BOURDIN – Tout ! On apprend en écrivant. Observer mes filles m’aide beaucoup, notamment dans la manière des femmes d’aujourd’hui d’élever leurs enfants. L’actualité m’inspire aussi énormément. Chaque matin, je lis la presse, je suis abonnée à un nombre invraisemblable de magazines ! J’ai écrit Les Sirènes de Saint-Malo, après avoir lu un article sur les nouveaux armateurs dans Le Figaro.
L’idée de Gran Paradiso m’est venue il y a trois ans lors d’une visite au zoo de Thoiry avec ma fille. J’ai vu un ours dans mon rétro et me suis immédiatement dit que c’était le point de départ d’un nouveau roman !
Comment construisez-vous vos livres ?
La construction d’un livre, c’est un jeu de Meccano. Pour commencer une histoire, il me faut le lieu, le prénom du personnage principal, son métier et la thématique. J’étudie beaucoup le milieu dans lequel mes personnages vont évoluer, pour leur concevoir un back-ground solide. Je serais mortifiée si quelqu’un me disait que certains aspects de ma fiction ne collent pas à une possible réalité. Puis, je me laisse porter, les personnages vivent leur vie et je m’y attache…
J’écris dans ma maison de Port-Mort en Normandie, au cœur de la vallée de la Seine. J’y ai ma « caverne », mon bureau où se trouve mon ordinateur, mes photos, des bouquins. J’ai dû mal à écrire ailleurs. Je suis plutôt du matin, j’ai gardé les habitudes de Maisons-Lafitte où j’ai été jockey. À 5 heures, je n’ai plus sommeil. Une nuit de 6 heures, c’est bien !
Vos récents romans, Gran Paradiso sorti en 2018 et Si loin, si proches en librairie depuis le 6 juin, se passent dans le Jura. Pourquoi ce choix ?
Je connais le Jura pour y avoir passé plusieurs étés lorsque j’étais jeune mariée, du côté de Saint-Claude. On était tout frais, on n’avait pas beaucoup d’argent et on logeait dans un hôtel assez miteux ! Mais je me souviens de cette incroyable nature préservée, magnifique, ces crêtes et ces très belles cascades. Nous y sommes retournés deux ou trois ans de suite, pour faire de grandes marches et manger du Mont d’Or, du Morbier, du Comté… Je garde en mémoire ce Jura de montagnes, cet univers sauvage, sans grandes villes, un peu loin de tout, néanmoins proche de la Suisse et pas très éloigné de l’Italie. Cet ensemble formait un fabuleux cadre pour le parc animalier de Lorenzo, le héros de mon histoire.
Le Jura est la toile de fond d’un autre de vos romans…
Ah oui ? Lequel ?
Comme un frère, sorti en 1997.
Effectivement. L’histoire de deux frères très fusionnels. Un livre très dur. Ce roman-là est une parenthèse dans ma carrière. J’ai voulu prouver que j’étais capable, moi aussi, de pratiquer une écriture dense, resserrée, dramatique où le narrateur ne fait aucun commentaire. Mais à dire vrai, j’aime mettre de moi, de ma sensibilité lorsque j’écris…
Le Jura en hiver, vous aimez ?
Je ne crois pas être allée à la neige dans le Jura, mais j’ai beaucoup séjourné, petite, dans le chalet de mes cousins suisses à Bogève, en Haute-Savoie. Ma mère et ma tante, Toulousaines, étaient souvent reçues là-bas. Le médecin avait décelé à ma sœur Catherine des problèmes tuberculeux et décrété que l’air de la montagne lui ferait le plus grand bien. On adorait… La neige, c’est tellement gai, festif, ça me donne la banane ! J’ai beaucoup skié à la station des Brasses. On partait avec nos skis de fond depuis le garage du chalet pour aller louer du matériel à fondue. La remontée était loin d’être aussi simple que la descente ! On aimait faire de la luge et ma tante était toujours là pour m’arrêter à temps, en bas de la piste. Sauf une fois où je me suis décalée, ma tante a couru, s’est jetée dans la neige pour tenter de me stopper. Je lui suis passée au ras du nez pour venir m’exploser contre la barrière. Bilan, quatre points de suture !
Vous étiez déjà casse-cou et amatrice de vitesse ?
Sans doute ! Mon père disait « brise-fer ». Tout ce qui va vite me passionne, j’aime l’adrénaline que cela procure. J’apprécie les voitures de course et j’ai récemment découvert l’hélicoptère. Un copain est venu se poser dans la cour de ma maison, le soir de mon anniversaire, pour m’emmener dîner ! Mais, j’aime surtout les chevaux que j’ai montés dès l’adolescence.
Vous avez été jockey à la fin des années soixante/début soixante-dix, à une époque où les femmes étaient très rares dans ce milieu…
J’ai été jockey sur les pur-sang de Noël Pelat de mes quinze à dix-huit ans. Nous étions trois femmes sur la totalité des jockeys français. Le galop à l’aube sur les pistes de Maisons-Laffitte… Aucune sensation n’a pu égaler celle-là. Un départ de dragster, une monte très courte, du galop botte à botte, tu passes la cinquième en grande foulée avec l’impression que le cheval se baisse tant il est rapide. Tu défies le monde, il est à toi, c’est la liberté totale. Je me suis tout cassé à cheval. Il ne faut pas espérer, du haut de tes quarante-cinq kilos, les maîtriser. Pour cela, il faut du feeling, de la technique…
Durant ces années mémorables, vous avez vécu un violent drame…
J’ai vu mon premier amour, jockey lui aussi, mourir sous mes yeux. J’en ai conservé une certaine capacité à me battre. Mes héroïnes aussi se battent, partent dans l’inconnu, quittent l’acquis. Elles ont la force de rebondir.
Votre enfance fut une période incroyablement fantaisiste, dont vous taisiez certains détails à vos amis d’école, de peur qu’ils ne vous prennent pour une affabulatrice !
Mes parents étaient chanteurs d’opéra. Je frissonne encore en écoutant du Puccini. Nous étions une famille d’artistes, peu classique. Ma tante vivait à la maison, elle était aux fourneaux et ma mère naviguait sur les routes, dans les avions.
Mon père était un prince, un homme formidable que j’ai adoré. J’avais des parents voyageurs, en crinoline et haut de forme. C’était fou la vie qu’ils menaient ! Nous vivions dans un hôtel particulier à Neuilly. Le conte de fées s’est arrêté le jour où ma mère [la célèbre cantatrice Géori Boué, N.D.L.R.] est partie, un 24 décembre, sans prévenir personne. J’avais huit ans. Elle a emporté tous ses vêtements et a laissé un petit caniche près du sapin.
J’aurais pu détester les chiens… Je les ai aimés pour la vie. Ensuite, on la voyait de temps à autre entre deux voyages, elle appelait ma tante pour nous demander de descendre au bar du coin. Un jour – nous avions déménagé dans un grand appartement place Vauban – mes parents se sont croisés dans l’escalier, au hasard de l’une de ces visites. Mon père a soulevé son chapeau pour la saluer, ils n’ont pas échangé un mot.
Quand plus tard, mon mariage avec le père de mes filles a sombré, je les ai prises sous le bras. Hors de question de partir sans elles.
Vous avez deux filles et trois petits-enfants de trois, cinq et sept ans. Quelles relations entretenez-vous avec eux ?
Je les aime profondément, j’en suis très proche. Mes parents et ma sœur sont décédés, mes filles sont ma seule et chère famille. Fabienne, ma fille aînée, a fait des concours hippiques de dix-sept à vingt-cinq ans. Elle est notaire aujourd’hui et a trois enfants.
Frédérique est une littéraire, exceptionnelle dans l’empathie, journaliste à France Bleu, tous les jours à 13 heures ! Très tôt, j’ai voulu les initier aux bonnes et belles choses : je les emmenais dans les grands restaurants, à l’Auberge du Père Bise sur le lac d’Annecy, dans les grands hôtels… Quatre ou cinq jours, courts mais intenses, pour profiter de ce que la vie nous offre ! Aujourd’hui encore, nous aimons faire des repas de fromages. Les plateaux de fromages de chez Androuet me font rêver !
Mes petits-enfants, eux, me font découvrir leurs passions. Ils m’expliquent toutes les phases du rugby et mon petit-fils, comme moi, adore les animaux.
Sacré parcours tout de même… Votre dernier roman est sorti le 6 juin, avez-vous déjà des idées pour le prochain ?
Rires] Laissez-moi faire une petite pause ! J’ai déjà des idées, oui… Mais je vais profiter un peu de l’été, réfléchir et revenir très vite !
Photo : Editions Belfond, Numéro 39