Le Lédonien a gravi les plus hauts sommets du monde et soumis son corps à rude épreuve. Aujourd’hui, « Ben » a soif de partage et l’étanche sur Atka, le voilier en route vers les espaces polaires.
L’homme assis en face de moi au Café du théâtre de Lons-Le-Saunier a gravi les sept plus hauts sommets de chaque continent, gagné le Pôle Nord, puis le Pôle Sud, en autonomie totale, fait plus de 1 000 sauts en parachute et se réveille à 6 heures pour un footing ou une sortie vélo avant son petit-déjeuner. « Ben », comme tout le monde l’appelle, n’est pas du genre aventurier solitaire. Revenu dans sa ville natale il y a peu, ce Lédonien a toujours aimé les autres, la rencontre et le partage.
Son aventure a commencé à l’âge de 17 ans, en lisant L’Équipe. Il cherchait par tous les moyens à accomplir son rêve : grimper. « Chamonix était mon obsession. »
Un tout petit encadré de l’École militaire de haute montagne scelle son avenir. Au 44e RI, dans un bureau de recrutement « type Union soviétique », un adjudant à moustache tente de l’orienter vers l’artillerie, plus accessible. « J’ai insisté : je veux grimper. Et j’ai coché ce seul choix. » François Bernard réussit les tests physiques et s’adjuge l’une des trente places disponibles. En 1983, au terme d’une formation de seize mois, il intègre le bataillon d’Annecy, puis la section montagne. « Le top ! L’hiver à Samoëns, l’été à Chamonix ». Le jeune sportif touche à son rêve… mais a déjà mille autres idées en tête.
En 1993, l’Everest
Trois ans plus tard, il entre au Groupe militaire de haute montagne, dépendant du ministère de la Défense. Cette équipe de huit personnes triées sur le volet incarne l’image et le prestige de la France en matière d’expéditions polaires. C’est aussi « un labo de l’extrême », où les limites sont sans cesse repoussées. C’est là qu’il fait ses premières expéditions et rencontre Éric Gramond, avec qui il fonda plus tard Kaïlash Adventure, un bureau de guides à Chamonix. « Ben est arrivé dans le groupe au moment où je le quittais, raconte Éric. Il était hypermotivé et surdoué. Nous avons gravi l’Everest ensemble en 1993. Il est fiable, serein, très indépendant et a le cœur sur la main ; tout ce qu’on aime en montagne. Quand on est encordé avec Ben, on se sent bien : il a la bonne gestuelle, une excellente capacité physique, mais aussi de la réflexion. Il ne va pas n’importe où et calcule le risque. »
Éric Gramond se souvient de leur arrivée sur le toit du monde, comme si c’était hier. « J’avais planté le drapeau d’un sponsor, Antoine celui du Cantal et François celui du Jura. On avait oublié le drapeau français ! On s’est pris une bonne engueulade… »

Sur Atka, François Bernard emmène des gens de tous horizons parcourir la mer et hiberner dans les mondes polaires.
Dans ce groupe, Ben a connu « onze ans de paradis », durant lesquels son corps a souffert. « Au Pôle Nord, nous étions la première expédition française en autonomie totale. On ingurgitait 6 016 calories par jour pour résister aux 10 heures de marche sous -32 °C de moyenne le premier mois et -25 °C le second mois. Je n’ai perdu qu’1,5 kg. L’armée se basait sur nos rations pour calculer celles des missions humanitaires », raconte Ben. Le groupe s’est prêté à des biopsies musculaires pour la recherche contre les myopathies, des tests psychomoteurs en altitude avant et après les expéditions, des tests au froid, nus, munis de capteurs en plein Pôle Nord. « Après l’Everest, certains d’entre nous avaient perdu 80 % de leurs capacités physiques », assure-t-il.
Un majestueux voilier pour transporter des rêves
Ces expériences, il les a partagées avec Antoine Cayrol, un autre aventurier vadrouilleur. « On a fait quinze expéditions ensemble, raconte celui-ci. Pôle Nord, Pôle Sud, Patagonie, etc. C’était mon compagnon de cordée, c’est toujours un grand ami. Tous les 6 octobre, date de notre arrivée au sommet de l’Everest, on s’envoie un SMS. Cette année, j’étais sur un bateau au large du Pacifique ; lui sur le sien quelque part en mer ! Nous avons un goût commun pour l’aventure et les espaces sauvages, mais Ben, d’une grande générosité, met aussi dans chaque projet une notion de partage. L’an prochain, j’irai sur son bateau dans le Grand Nord canadien pour passer un moment durable ensemble. »
Le bateau de François Bernard s’appelle Atka et constitue le projet de toute une (seconde) vie. Amarré à La Rochelle, il s’apprête à repartir au Groenland où il emmènera essentiellement des jeunes. Des tas de projets ont gravité autour du premier périple : un film de Sarah Delbenne, des échanges avec 650 enfants, dont ceux de Trévillers (Haut-Doubs), un blog avec les élèves de Bellefontaine, Prémanon, Morez, etc.
Cet immense voilier, le Jurassien en est fou, comme un gosse. Il a claqué toutes ses économies et multiplié les rendez-vous, jusqu’à un certain ras-le-bol, pour trouver des financements. Il a pu clore le budget l’an dernier grâce à un miraculeux mécène de dernière minute, vraiment tombé à pic.
L’aventurier a des milliers d’envies restant à accomplir. Photographe, il a ses brevets d’État pour le ski, le parapente, le deltaplane et passe actuellement un diplôme anglais pour être capitaine de bateau. Ce gentil pote tord le cou au temps, précédant toujours le futur d’un demi-pas. « Je me reposerai quand je serai mort. » Ben a perdu « plusieurs amis très chers » et déjà « grillé pas mal de jokers ». « Ce serait génial de savoir combien il nous en reste, non ? »
Baptiste, 23 ans, et Léo, 18 ans, suivent le rythme. Papa n’a guère envie que ses fils s’ennuient. « J’ai emmené Baptiste à douze ans au Groenland, Léo à cheval en Mongolie, nous sommes partis aux États-Unis en famille. Je les ai fait skier, voler… »
L’aîné, capitaine de bateau, est actuellement en Antarctique. Léo, menuisier-ébéniste, « a envie de bouger aussi… » Et peut compter sur son père pour l’aider !
Photo : SDB-Narssaq