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Emmanuel Delran, à la barre du géant des mers

Pendant un an, le commandant de marine marchande Emmanuel Delran a travaillé à Shanghai sur le développement du plus gros porte-conteneurs du monde fonctionnant au gaz naturel liquéfié, véritable navire amiral du groupe marseillais CMA CGM. Il prendra la mer avec le Jacques Saadé courant août. « Le rêve d’une vie » pour ce navigateur très attaché à son Jura natal.

 

Vingt-cinq ans pile après son entrée dans le groupe de transport maritime CMA CGM, Emmanuel Delran devient le commandant du plus gros porte-conteneurs du monde propulsé au gaz naturel liquéfié, le CMA CGM Jacques Saadé, navire amiral du groupe marseillais [lire par ailleurs]. « Le rêve d’une vie », souffle ce Jurassien d’origine !

L’histoire est d’autant plus belle qu’en 1995, alors qu’il se rend à un entretien d’embauche, c’est justement le président fondateur Jacques Saadé en personne qui lui sert, par hasard, de guide : « N’ayant pas le code d’entrée, j’attendais devant la porte, raconte Emmanuel Delran, un sourire au coin des lèvres. Un monsieur me demande alors : “Que faites-vous ici jeune homme ?”, avant de me faire entrer. Quand j’ai vu tout le monde au garde-à-vous sur son passage, j’ai compris qui c’était… J’ai été recruté, mais je ne saurai jamais si c’est parce que j’ai été présenté au DRH par le grand patron », s’amuse aujourd’hui le commandant.

C’est un autre hasard qui l’a amené vers cet univers maritime, bien loin de ses attaches jurassiennes du côté de Mont-Sous-Vaudrey et la ferme du papy « où on passait tous nos étés en famille ».

Après une enfance heureuse passée dans le Jura jusqu’à ses douze ans, ce brillant jeune homme suit ses parents à Salon-de-Provence où il rêve alors d’une carrière de pilote de chasse. Pas étonnant avec l’École de l’air toute proche. Mais une rencontre va chambouler son projet professionnel : celle d’un très convaincant professeur de l’École supérieure nationale maritime lors d’un salon d’orientation. Séduit par le projet d’intégrer l’établissement qui forme, au Havre, les officiers de la marine marchande, Emmanuel Delran réussit le concours d’entrée et met le cap sur le nord-ouest. En tant qu’élève, il navigue pour la première fois sur le Mabro (qui signifie « mon pays », en breton), un petit pétrolier reliant la raffinerie de Donges et les bases navales de la Bretagne.

L’appel du grand large

CMA CGM Jacques Saadé, Emmanuel Delran, Jurassiens, Jura, Numéro 39

CMA CGM Jacques Saadé – CSSC

Emmanuel Delran termine son temps d’élève au sein du groupe marseillais qu’il vient d’intégrer… et qu’il ne quittera plus. Trois propositions de navires s’ouvrent à lui : son choix se porte sur le Siam Bay qui effectue des allers-retours Singapour-Bangkok. De quoi largement satisfaire son appel du grand large. « Mais attention Delran, ce ne seront pas des vacances là-bas », le met alors en garde son responsable, conscient du côté exotique de cette première mission dans l’océan Indien !

Un an plus tard, le voilà lieutenant avant de rejoindre, pour cinq ans, les Antilles où il devient responsable d’opération.

Au fil des missions et des années, le Jurassien gagne ses galons jusqu’à devenir commandant en 2011. Entre-temps, il découvre tous les métiers du groupe : « Cela m’aide aujourd’hui de mieux connaître les contraintes des travailleurs avec qui j’évolue sur un navire », souffle celui qui veille à la fois sur la sécurité du bâtiment, de ses conteneurs et de ses hommes !

Il garde d’ailleurs un souvenir ému de son premier commandement : « C’était aux Antilles, il y avait beaucoup d’appréhension, de la joie aussi. En fait, c’est un moment indescriptible et, aussi étonnant que cela puisse paraître, le fait de me voir confier cet outil industriel, ces marchandises et cet équipage m’a rappelé mon grand-père paysan et son côté gardien de troupeaux qui doit veiller sur ses animaux, ses outils et la bonne santé de sa ferme ! En cela, je reste très attaché à mes racines. »

En pleine mer, à des milles nautiques de toute terre habitée, le commandant se remémore parfois ses vieux souvenirs : « Comme au milieu de la mer de Chine, le Jura représentait pour nous la liberté. On avait l’impression d’avoir la forêt de Chaux et la Loue pour nous tout seuls. »

Mais ses vagabondages sont rares tant le commandement d’un porte-conteneurs géant demande de l’attention. « Quand je monte à bord, mon cerveau est concentré sur le bateau, le travail, les soucis possibles, sur ce que je mets en place pour éviter le pire, contourner les tempêtes, trouver une nouvelle route, anticiper au mieux le comportement d’un bateau qu’on ne peut pas stopper à la demande… tout cela pour amener, en toute sécurité, le bâtiment d’un point A à un point B.

Le Jura comme point de ralliement des delran

CMA CGM Jacques Saadé, Emmanuel Delran, Jurassiens, Jura, Numéro 39

Emmanuel Delran – DR

Les manœuvres n’ont rien d’anecdotiques aux commandes d’une embarcation de 300 000 tonnes, véritable immeuble perché à 70 m au-dessus de la mer. L’anticipation est de mise et le petit équipage de 25 à 28 personnes, ultra-formé et compétent, reste constamment aux aguets. « Dans les moments de grosse mer avec des creux de sept à huit mètres, la coque du bateau se déforme pour encaisser les chocs. C’est très impressionnant de voir le mat de la proue se déporter d’un mètre sur le côté ! »

Pour que tout fonctionne à merveille en haute mer « où personne ne viendra rapidement nous chercher en cas d’avarie », le commandant s’appuie sur une brigade rapprochée de sept officiers : la cheffe mécanicien et son second, le second capitaine et ses adjoints, avec qui il partage ses repas, à 12 h et 19 h, quand l’équipage se regroupe par ailleurs : « L’un des avantages de naviguer sous pavillon français réside dans la qualité de la cuisine, s’amuse le Jurassien. Pour les grandes occasions, les fêtes de fin d’année ou les anniversaires, on partage un repas tous ensemble. Ces moments permettent de souder des équipes loin des leurs pendant parfois deux à trois mois et soumises à un stress permanent pour mener à bien la mission. Par contre, une fois à quai, je fais un reset marine marchande et passe en mode congés. »

À raison d’un mois de repos pour un mois en mer, Emmanuel Delran, père de deux enfants et marié à une Normande (« qui commande à la maison », sourit-il), rend régulièrement visite à son cousin de Franche-Comté pour y passer les fêtes. « Le Jura est finalement le point de ralliement entre les Delran du sud et ceux de Normandie. Et même sans se voir pendant six mois, on se retrouve comme si on ne s’était pas quitté », sourit-il.

Au fil de ses missions, le commandant a fait des applications Skype, FaceTime et autre WhatsApp de précieux compagnons de vie pour rester en contact avec ses proches : « Certes, c’est par écran interposé, mais cela permet de garder le lien », dit-il.

La naissance d’un géant écologique

Cette dernière année a toutefois été plus particulière que les autres. Pendant douze mois, le commandant Delran et sa garde rapprochée ont été détachés de la liste du personnel navigant pour se rendre sur le chantier naval de Jiangnan situé près de Shanghai. Là-bas, à l’extrême ouest de la Chine, ils ont suivi la naissance du plus gros porte-conteneurs du monde propulsé au gaz naturel liquéfié, premier navire d’une série de neuf géants [lire ci-contre] commandés par le groupe marseillais.

Du plan sur papier au retour en Europe ce début d’été via le canal de Suez, la Méditerranée puis l’océan Atlantique, Emmanuel Delran a vécu une aventure incroyable et passionnante : « Si on ramène ce bateau au domaine de l’aviation, c’est un peu comme être le premier commandant de l’Airbus A380 ! Par les dimensions du CMA CGM Jacques Saadé d’une part mais aussi par son mode de propulsion pour lequel tout l’équipage s’est longuement formé. »

Le pacha est conscient de vivre une transition importante dans l’histoire de la marine marchande, vieille de mille ans et marquée par plusieurs innovations : l’arrivée de la voile, la vapeur puis l’hélice.

« Le Groupe CMA CGM a toujours considéré que sa performance économique était indissociable de sa performance sociale et environnementale. Cet engagement s’inscrit dans notre histoire et dans nos valeurs humaines et familiales », soutient d’ailleurs Rodolphe Saadé, le P.-D.G. du groupe.

« Ce chantier exceptionnel a permis de mettre en lien les constructeurs et les futurs utilisateurs. Nous avons apporté au fil des mois notre expérience pour améliorer différents points techniques. J’ai vécu ce chantier comme un challenge à relever avec mon équipe. Lors de la mise en l’eau en septembre, mes officiers et moi avons pu nous rendre dans la coque pour toucher l’hélice (de 10 mètres, N.D.L.R.) : un moment très fort pour un marin ! »

Le voyage inaugural, entre Shanghai et l’Europe du nord (alors qu’un accueil présidentiel avait été initialement prévu avant l’épidémie de Covid-19), se déroulera courant août avec l’équipage au complet : seulement 25 personnes hautement qualifiées dans leur domaine. « Personne ne viendra nous chercher en mer ! Nous devons savoir tout gérer nous-mêmes », résume le commandant, heureux et fier de ramener ce géant des mers à bon port ! 

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