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Cyril Atef, battements de cœur

[Portrait publié dans le Numéro 39 n°9 en juin 2024]

L’ex-batteur de -M- enchaîne les collaborations et expériences musicales et artistiques depuis plusieurs décennies. Retour sur un parcours riche et multiple construit entre Los Angeles et Paris, en passant par Dole.

C’est depuis l’île de la Réunion que Cyril Atef prend le temps d’évoquer pour Numéro 39 son parcours. Il vient également de passer deux semaines, à Talinn, en Estonie, avec Kutu, un groupe franco-éthiopien. La voix est chaleureuse, l’accent franco-américain avec en fond des bruits de cuisine et d’enfants.

Le batteur évoque d’abord son enfance à Berlin (Allemagne), où il est né, en 1968, d’un père iranien et d’une mère française. « Mais je suis moitié jurassique, car ma mère, Marie-France Leculier, est originaire du Jura. Mes grands-parents tenaient une grande épicerie à Dole, rue de Besançon. Nous rentrions dans le Jura pour Noël pour voir la famille », s’empresse de préciser le quinquagénaire. Ses jeunes années sont aussi synonymes de vacances non loin de Moissey. « Un jour, en 1971, et je ne sais pas pourquoi, mes parents ont acheté une bâtisse en ruines à Offlanges, dans une vente aux enchères. À l’époque, ils l’ont payée 10 000 francs ! Nous avons passé beaucoup de temps dans cette maison que nous possédons toujours avec mon père et ma sœur [la mère de Cyril est décédée en 2015, N.D.L.R.] ».

Si la Franche-Comté habite ses souvenirs, figurent aussi en bonne place ses débuts à la batterie, son fidèle compagnon de route. « Dès l’âge de trois ans, je tapais surtout sur des cartons et des caisses ! C’est à partir de six ans que j’ai pris des cours avec un professeur anglais à Berlin », raconte-t-il.

 

DE LA CALIFORNIE A DOLE

En 1978, la famille déménage aux États-Unis, à Los Angeles plus précisément. « Mon père travaillait dans le bâtiment et ma maman faisait des petits jobs, de l’import-export et aussi des soirées crêpes chez des Américains ! J’étais scolarisé dans une école catholique qui était stricte, je me battais tout le temps ». Après s’être fait virer de cette école de Los Angeles, en 1981, ses parents l’inscrivent au collège Mont Roland, à Dole. « Cet établissement plutôt catho de gauche m’a mieux convenu, même si j’étais complètement à la rue en venant du système américain ».

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CYRIL ATEF

Pendant trois ans, de 1981 à 1984, le jeune garçon séjourne chez ses grands-parents, chez son oncle et à l’internat du collège Mont Roland qu’il déteste. « J’ai habité au début rue d’Azans, chez mes grands-parents. Le jardin de la maison donnait sur le Doubs. C’est marrant, avec Bumcello, nous avons joué à la Commanderie, juste à côté », glisse, ému, l’artiste.

Éloigné de ses parents, Cyril Atef dresse aujourd’hui un bilan mitigé de ses années doloises : « J’ai vécu une adolescence troublée, le Jura est lié à ça pour moi. À Dole, je n’avais pas de défouloir, je traînais avec des types plus âgés. Je passais mon temps dans un bar, le 1964. C’était mon QG. Et je suis devenu punk ». Pourtant, cette période participe à la construction du futur batteur. « Je répétais dans l’entrepôt de mes grands-parents, rue de Crissey. Une fois par semaine, le week-end, j’allais à Besançon prendre des cours. J’avais un bon professeur là-bas, Bernard Gomez. Besançon est une ville qui bougeait plus que Dijon à ce moment-là, avec une scène punk. J’achetais des vinyles. Mon gros souvenir est le concert de Police, à Dijon [le 20 septembre 1983], c’était leur dernière tournée ».

Au cours de cette période, il croise aussi son oncle par alliance, le sculpteur allemand Jens Boettcher, installé aux Chaprais, auteur notamment du Minotaure. « Plusieurs personnes de ma famille étaient artistes, j’ai grandi dans cet environnement », confie-t-il.

 

BATTEUR DE MATHIEU CHEDID

Gilles Deloye est un ami de cette période. Il travaille aujourd’hui dans la viticulture en Bourgogne et partage avec Cyril Atef une même passion pour la musique. « Il m’a fait découvrir la musique punk au collège et nous sommes vite devenus inséparables. Comme il venait des États-Unis, il avait deux ans d’avance sur nous », se rappelle-t-il. Les deux amis nourrissent un grand intérêt pour Act, formation doloise bien connue. « Quand il était à Pasteur, je venais le chercher en keupon, avec ma crête sur la tête. Nous allions dévaliser les fraises Tagada chez l’épicière pas loin de l’école, puis nous allions écouter le groupe répéter toute la soirée dans leur local, rue de Chalon. Fi [alias Philippe Arnaud], le chanteur, était une belle personne », confie-t-il. Gilles Deloye se souvient également qu’en cours, son ami jouait tout le temps sous la table : « La prof l’avait repéré et lui avait dit : “Atef vous ne ferez jamais rien de vos dix doigts”. J’aimerais bien la retrouver aujourd’hui ! ».

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2E2XNWD Mathieu Chedid performs live during the broadcasting of ‘Le Grand Journal’ TV show on Canal Plus channel on the Martinez beach during the 63rd Cannes Film Festival in Cannes, France on May 17, 2010. Photo by Giancarlo Gorassini/ABACAPRESS.COM

L’histoire est belle : les deux compères ne se revoient pas pendant vingt-cinq ans et, un jour, à la télévision, l’un reconnaît l’autre à la batterie derrière Mathieu Cheddid en concert aux Vieilles Charrues. Depuis, les deux amis ne se sont plus perdus de vue. « Nous nous sommes retrouvés à Dijon. Quand -M- est passé au Zénith, Cyril a fait monter ma fille sur scène. Nous ne nous voyons pas assez souvent, mais c’est une belle personne, un être exceptionnel. Quand je passe sur la place à Dole et que je vois les Commères sculptées par son oncle, là où nous traînions dans notre période kepon, je pense à lui ».

Il n’y a pas de hasard si le copain accompagne l’artiste le plus récompensé aux Victoires de la musique, à égalité avec Alain Bashung. De retour à Los Angeles, en 1984, Cyril Atef, seize ans, s’investit à fond dans la batterie : il prend des cours avec Joe Porcaro, le célèbre batteur et percussionniste (également père des membres du groupe Toto) et s’inscrit au Musician Institute. « J’ai nettement amélioré mon jeu. J’ai passé une audition pour intégrer un groupe de reprises, le temps d’un été. C’est ma première expérience de tournée, à la Nouvelle Orléans ». Il se produit les soirs et les week-ends avec des groupes de raggae, de jazz, de funk ou de pop. « Je jouais tous les styles, je faisais des mariages », précise-t-il. La journée, il vend des sandwichs et des salades avec un objectif : économiser pour partir à Boston étudier au prestigieux Berklee College of Music.

En 1990, il débarque en Europe avec trois musiciens, deux Brésiliens et un Argentin. « Notre groupe s’appelait Ozain ». Il se produit au festival d’Avignon, « devant le Palais des Papes », puis dans les bars à Paris. Ses trois amis repartis en Amérique, le Français joue pendant quatre ans avec Princesse Erika, connue pour ses titres Trop de bla bla et Faut qu’j’travaille. Jusqu’à sa rencontre, en 1995, avec le saxophoniste Julien Lourau. C’est le début de l’aventure Olympic Gramofon, à laquelle collaborent notamment le violoncelliste et bassiste Vincent Segal. Or, ce dernier travaille déjà avec Mathieu Cheddid – M – et a déjà enregistré avec lui l’album Le baptême.

À partir de 1998, les deux hommes proposent à Cyril Atef de les rejoindre. C’est le début d’une aventure qui durera douze années, jusqu’en 2010. Vincent Ségal se souvient : « Quand Mathieu m’a demandé si je connaissais un batteur, j’ai proposé Cyril. Il savait que cela fonctionnait bien entre nous. Le rôle de batteur est très important, avec celui du chanteur. Il est même essentiel. Dans la musique populaire, si le batteur est mauvais, on ne peut rien faire. Le groupe est nul. Nous avons enregistré Je dis -M- d’une traite à trois, sans répéter, puis Qui de nous deux. » Cyril Atef se souvient : « Mathieu nous laissait beaucoup de liberté ». Les deux albums live de -M-, Le tour de -M- (2001) et Live à Paris Bercy (2005) restituent cette ambiance magique. « Cyril a un mélange de spontanéité et d’efficacité, et de comedia dell’arte, il a aussi un côté baladin, qui aime interpeller les gens », décrit Vincent Ségal. Peut-être même les provoquer : « Je me souviens d’un concert devant l’Assemblée Nationale, avec Mathieu, pour une Fête de la musique. Cyril voulait visiter les lieux et, pour entrer, il a mis un pantalon bleu et jaune, période “Je dis aime”, de Mathieu. Quand il a enlevé son chapeau et laissé sortir sa mèche colorée, un peu comme une antenne de l’espace, je crois que tous les députés se sont retournés pour le regarder ».

Les deux musiciens ont des tempéraments différents – « Cyril reste sur un esprit de fête, avec la scène rock. Je suis plus dans les théâtres, avec de la musique instrumentale » – mais de cette complémentarité naît, en 1999, Bumcello, un groupe de trip hop. « L’idée était de transfigurer la figure du DJ, de pouvoir jouer des boucles avec de vrais instruments, comme du hip-hop, mais en direct ». Après une Victoire de la musique et des centaines de concerts à travers le monde, le groupe tourne toujours et vient de sortir son neuvième album.

 

ÉTHIOPIE, JAMAÏQUE… ET MOISSEY

Toujours à l’affût de nouvelles expériences, Cyril Atef poursuit ses collaborations avec Louis Bertignac ou Gotan Project. Il a aussi côtoyé Alain Bashung. « J’ai voyagé partout dans le monde, je continue à travailler dans des groupes très différents. Je ne me plains pas ». Au début des années 2000, il se passionne ainsi pour la rumba congolaise et s’associe à Dr Cong pour former le projet CongopunQ, mélange de transe congolaise et de musiques électroniques. En 2016, il collabore avec Fixi de Java et le chanteur Olivier Araste du groupe maloya Lindigo et crée Pachibaba, un projet lié à la musique afro-descendante de la Réunion. Début 2021, il part à l’Alliance française d’Addis-Abeba (Éthiopie), avec quatre musiciens parisiens, créer le groupe Kutu avec deux chanteuses éthiopiennes.

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Devant la gare de Metz, en 2008, avant un concert de Bumcello, le duo qu’il forme avec Vincent Segal depuis 1999 – Collection Vincent Segal

Depuis janvier 2018, Cyril Atef est en résidence à Paris, à la Petite Halle de la Villette. Chaque mois, Papatef passe des CD de funk, musiques africaines modernes, bounce de La Nouvelle Orléans ou dancehall jamaïcain, crée des boucles, improvise, sublime les morceaux avec sa batterie et sa voix, pour faire entrer son auditoire en transe. « Il y a une super ambiance et un public fidèle. Chaque fois, je joue pendant trois quatre heures. Je ne vois pas le temps passer, c’est le feu », se félicite-t-il.

Et ne croyez pas que dans cette palette multicolore, le Jura n’a pas sa place dans la vie du batteur percussionniste, notamment lors de courts séjours dans la maison familiale. « J’adore le silence assez mystique de cette région magnifique. Même si je ne peux pas y vivre, j’adore retourner dans le Jura. Je vais voir ma tante à Lanvangeot, j’ai une tante qui vit toujours à Prémanon ». Comme le souligne Vincent Ségal, qui connaît bien lui aussi le département et la famille de Cyril, « il est à la fois fou et organisé. Sur certaines choses, il garde un côté très Jura horloger, très organisé. Mais il n’est pas discret comme un horloger ».

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