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Constance Delval : sous l’armure, la grâce

Elle est belle comme un cœur, douce et sensible… Mais ne vous y fiez pas. Avec son épée et son bouclier, cette double championne de France de béhourd vous briserait en morceaux en deux coups d’estoc. Amazone ? Guerrière ou simplement perchée ? En tout cas, Constance Delval conjugue le mystère de la féminité et de la violence.

 

Ne vous y fiez pas, cette jeune femme de trente ans aux yeux bleus, cheveux blonds qui tombent en cascade sur ses épaules, 1,78 m, est une athlète de haut niveau de béhourd, résurgence d’un sport médiéval. Championne de France par équipes, dame de fer cette fois en combat individuel lors du tournoi des Combes aux Rousses, la Jurassienne est membre de l’équipe de France. Et pour tout dire, avec ses copines, elle entend bien partir à la conquête du titre mondial détenu depuis des lustres par les Russes.

Un sacré caractère

Constance Delval, c’est pourtant la douceur. C’est aussi une part d’ombre : « Quand je combats, je fonce, je donne tout. C’est un vrai plaisir de donner des coups sans retenue ! » Au départ, rien ne la prédispose à la violence ; son truc, c’est le cheval : « Je ne suis pas bagarreuse, je n’ai jamais frappé personne, mais quand je mets l’armure, je me transforme… »

D’où lui vient cette force ? Sa réponse est surprenante : « J’ai accouché deux fois sans péridurale, volontairement. Je suis allée au bout de moi-même pour supporter la douleur, ça m’a donné le mental pour combattre et beaucoup aidé, je suis devenue plus forte ! »

Oups ! Cette fille est un mystère, elle accepte sans problème le monde viril du béhourd : « J’aime ce côté festif après les combats. Tout le monde se retrouve, on prépare le repas, on mange. S’il n’y avait pas ça, je crois que je serais moins attirée. Et puis, j’ai toujours eu beaucoup de copains, je suis habituée aux blagues grasses, mais il n’y en a pas que dans ce milieu ! »

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Quant au regard familial, elle s’en affranchit : « J’ai deux grandes sœurs, un grand frère et une demi-sœur. Tous sont venus me voir. Ma famille est contente que je pratique ce sport. De toute façon, si ça ne leur plaisait pas, ça ne m’empêcherait pas de le faire ! Pour moi, c’est une activité comme une autre. »

Hobby peut-être, mais non dépourvu de violence. Là encore, la combattante affiche sa différence : « Il y a des bleus, mais jamais de plaie au visage. En fait, il n’y a pas plus de problèmes que lorsqu’une fille joue au rugby ou fait du VTT. » Ce qui fait sourire Mickael, un géant d’au moins 110 kg, lui aussi grand pourfendeur d’hérétiques : « Constance, c’est un mec avec un beau physique ! Elle avait besoin de prendre confiance en elle. Quand elle met son armure, elle sort de sa carapace pour se bastonner, mais après, elle est gentille dans son rôle de petite nana ! »

Il était une fois… la Doye

Maintenant que les présentations sont faites, petite explication de texte. Tout commence au petit hameau de La Doye, à quelques encablures de Morez, mais dépendant des Rousses. Les habitants sont connus pour être de fortes têtes, particulièrement la famille Delval. Sans remonter à des lustres, le père, Christian, a choisi le métier d’écrivain, mais a défendu, comme un acharné, son indépendance. Entendez par là qu’il a écrit, fabriqué et vendu lui-même une trentaine de romans qui l’ont fait vivre, lui et sa famille, pendant trente ans.

Donc, pas étonnant que le fils, Loïc de son prénom, soit devenu forgeron et passionné de culture médiévale. Avant d’en arriver là, il a toujours eu un penchant prononcé pour la castagne, mais attention… selon les règles ! Arts martiaux au niveau international et, pour finir, le combat médiéval.

C’est comme ça qu’on arrive à Constance, son épouse, venue de Morbier, de l’autre côté de la vallée. Avant de la rencontrer, il avait créé une école de combat médiéval : « Genève Combat Club ». C’était en 2006. Démonstrations sans armure, pour la beauté du geste. Constance s’y met aussi, mais n’accroche pas : « J’avais peur de donner des coups, de faire mal. Au bout d’un moment, j’ai lâché. En fait, je ne voyais pas l’intérêt ! »

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Sauf que la graine est plantée et le jour où des copains leur envoient une vidéo YouTube sur un combat de béhourd en Russie, ils en tombent sur les fesses : « On s’est dit qu’ils étaient fous, c’était très violent et on a découvert qu’il existait en France une fédération. »

Nous sommes en 2013. Loïc intègre vite l’équipe comtoise d’Aquila Sequania, puis l’équipe nationale. Constance, elle, est attirée par l’ambiance, les casques, les armures, le bruit de la bataille et, surtout, elle apprend que les filles s’y mettent aussi. Elle ronge son frein, car elle est enceinte de Charles, son second fils. Ce n’est que partie remise.

Dans la salle d’entraînement de Loïc, quelque temps plus tard, la gaillarde enfile une armure. C’est une révélation : « Loïc m’économisait, mais j’ai ressenti un vrai plaisir et je me suis dit que je devais aller plus loin. »

Loïc, lui, voit son potentiel : « J’ai senti ses prédispositions, elle était en recherche, je me suis dit qu’il fallait la pousser ! » Il organise son premier combat individuel dans les Pyrénées-Orientales en 2017 et la prépare spécialement pendant deux mois. Elle gagne par KO technique en moins d’une minute.

Des débuts en fanfare

Le vrai test vient après, à Tourcoing, en combat singulier contre la capitaine de l’équipe de France, Marjolaine Martin, 1,85 m. Une référence. Constance sort vainqueur avec deux points d’avance grâce à sa technique de projection. À l’issue du combat, son adversaire lui rend hommage : « Je ne te veux pas en face de moi, mais dans mon équipe ! »

Et la voilà partie… Elle découvre la stratégie, l’entraide et le courage. 2018 n’est pas une année ordinaire. Dans le béhourd, les filles combattent dans les différents tournois, mais elles sont toutes inscrites dans des clubs masculins. Elles décident alors de monter une équipe féminine qu’elles appellent Dies Irae [jour de colère]. Loïc les entraîne et il forge pour certaines une armure sur mesure prenant en compte l’anatomie féminine. Une première dans son métier.

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En mars 2018, à Saint-Dizier, sans remplaçante dans leur équipe, les filles de Dies Irae deviennent championnes de France. Puis c’est le championnat du monde, le Battle of the Nations, à côté de Rome où les Françaises tombent directement sur les Ukrainiennes et les Russes, les deux meilleures équipes du monde.

Sous l’armure, la femme

2019 est une année peu ordinaire. Aux Pays-Bas, les filles se prennent une déculottée et reviennent avec des blessées… trop de blessées. Elles comprennent que, pour progresser, il faut bosser. Loïc leur concocte un entraînement mensuel chez lui, à La Doye, avec des heures de combat et des footings en armure, 22 kg de ferraille sur le dos. Elles sont une dizaine venue des quatre coins de France… et elles aiment ça ! Le travail paie. Désormais, Dies Irae fait peur dans les tournois nationaux. Elles sont à nouveau championnes de France et, dans les rencontres internationales, elles représentent leur pays : « Nous avons une belle équipe et d’autres filles viennent maintenant pour voir de près à quoi ressemble un combat, c’est motivant. »

La sauce prend peu à peu. Le béhourd féminin intéresse de plus en plus de femmes, mais bizarrement, pas les plus jeunes. La moyenne d’âge de l’équipe, c’est trente ans. Toujours cette peur du combat sans doute, qu’il faut dépasser : « Il faut essayer, c’est une expérience unique. Quand on met son armure, il se passe quelque chose. » D’autant que Sara, Marjolaine, Camille, Marie-Laetitia, Loreleï, Charlotte ou Émeline sont également des têtes bien faites et bien pleines, aux antipodes des clichés. C’est d’ailleurs le paradoxe de ce sport, elles peuvent cogner fort, crier comme des sauvages « Montjoye Saint-Denis » en arborant le tabard d’azur avec les trois fleurs de lys, elles restent avant tout des femmes, comme le rappelle Constance : « Une femme peut porter différentes casquettes et rester elle-même. Je suis maman, mais aussi une épouse, une femme ainsi que l’institutrice de mes enfants. J’aide mon mari dans son travail. Pourquoi pas aussi une combattante ? »

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Jennifer, son amie, cisèle davantage les mots : « Constance, même habillée n’importe comment, elle est belle. Le béhourd, c’est un sport qui l’entretient. Elle est restée très féminine, mais surtout, elle a la volonté d’aller au plus haut sommet et elle s’en donne les moyens. »

Et si, en fait, les coups d’épées, les boucliers n’étaient qu’une manière de trouver sa voie ? Pour Constance, c’est une évidence : « J’ai découvert en moi des choses que je ne soupçonnais pas : me surpasser, encaisser les coups, ne pas reculer, dépasser l’appréhension, rentrer dedans… Tout ça donne un équilibre à ma vie. »

Et le mot de la fin pour Adélaïde, sa grande sœur : « C’est une fille qui n’a pas froid aux yeux avec un cœur énorme. Elle a beau combattre en armure, elle n’a pas changé. Toujours innocente, elle a su garder son âme d’enfant. »

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