

Sans trucage. Fin février 2025, Charles Consigny s’affiche, avec un large sourire, sur les réseaux sociaux au Salon international de l’agriculture. Il pose derrière un panneau « Jura ». La « Grande gueule », référence à l’émission de RMC où il délivre régulièrement ses avis tranchés quand ce n’est pas à l’antenne de BFMTV, est née dans le XVe arrondissement de Paris, le 14 juillet 1989. C’est pourtant en plein cœur du département franc-comtois, à Mantry, moins de cinq cents habitants, que le jeune homme se ressource. C’est dans ce village qu’en décembre 1941, après s’être évadé du stalag IX A en Allemagne, l’ancien président de la République François Mitterrand a trouvé refuge chez ses cousins par alliance, la famille Sarrazin. « On a une maison de famille du côté de ma mère. J’ai des souvenirs très anciens qui y sont liés. J’y suis pratiquement né », explique de son côté l’avocat.
À un quart d’heure de route de Lons-le-Saunier, l’immense bâtisse assiste à un défilé permanent de neveux, nièces et cousins. Les mêmes qu’il esquivait à l’époque des culottes courtes. « J’étais un enfant très solitaire, narre-t-il. Ma mère voulait toujours me traîner chez mes cousins pour que je les connaisse et joue avec eux. Je préférais rester dans le jardin de la maison. Il est en deux parties, une haute et une basse, séparées par un petit mur de pierres. Je me postais sur ce mur ou juste derrière, et j’imaginais de grandes batailles, les scènes telles qu’on les voit enfant. »

Charles Consigny (FRA) – Raphael Lafargue/ABACAPRESS.COM
La maison de Mantry et son « champ de bataille imaginaire » sont le fil rouge de ses premières années. « J’y allais lors des vacances scolaires. L’été, j’y restais au moins un mois. » Le petit Charles a grandi. Les affrontements imagés ont laissé la place à des essais tel son dernier ouvrage, Le Grand Amour [lire par ailleurs]. Il trouve souvent l’inspiration dans la quiétude du Jura. « Malgré toutes mes activités, j’essaie de venir à Mantry tous les quinze jours. Je prends le train le vendredi et je rentre à Paris le dimanche soir. Le TGV entre Paris et Dole est direct et le trajet dure deux heures. Comme j’habite près de la gare de Lyon, c’est pratique. À la descente du train, ma voiture m’attend à la gare de Dole. »
Le polémiste s’inquiète de l’avenir de cette liaison entre la capitale et la sous-préfecture. La désertification des campagnes, « avec ces villages où les commerces ont du mal à survivre », lui hérisse le poil. « Cela m’embêterait qu’on supprime la ligne un jour. Il faut que les gens continuent de pouvoir descendre à Dole. » En mars 2024, il avait publiquement exprimé sa désapprobation quand la Région Bourgogne-Franche-Comté s’était désengagée de l’aéroport Dole-Jura : « Dès que je peux, je défends le territoire dans les médias mais les Jurassiens ont surtout des problèmes autonomes. Il n’y a pas spécialement de chômage dans la région. Les problèmes sont essentiellement climatiques et affectent le vin et le fromage. À l’altitude où se situent les vaches qui produisent le lait pour le fromage, il y a des problèmes d’eau. Deux années sur trois, il y a un épisode de gel qui abîme la vigne. »
Le pâtissier de Lons, sa Madeleine de Proust
Il s’amuse de son étiquette de Parisien vantant les mérites de la campagne. Comme nombre de Franciliens, il s’est mis au vert au plus fort de la crise sanitaire. « J’étais à Mantry pour le premier confinement et le deuxième, même si celui-ci était nettement moins confiné. La veille des annonces d’Édouard Philippe – Le Premier ministre avait annoncé, le samedi 14 mars 2020, la fermeture de tous les lieux publics « non indispensables » –, il y avait des rumeurs de confinement. Les images que j’avais vues de l’Italie étaient abominables. J’ai prévenu ma mère : elle faisait ce qu’elle voulait mais moi, je me tirais dans le Jura. » Finalement, c’est toute la famille qui s’est retrouvée dans la grande maison de Mantry. « Ma mère m’a dit de prendre « Bonbon », le surnom de ma grand-mère, avec moi. En l’apprenant, mon frère a voulu venir. On est parti en voiture tous les trois sur des routes surpeuplées. C’était l’exode. Tout le monde fuyait la ville. On pensait qu’après, on ne pourrait plus quitter Paris. » Il vit un confinement « serein » loin de la capitale. « Je le raconte dans mon livre. Comme tous ces « connards » de bourgeois parisiens, j’ai découvert à cette occasion les plaisirs de la vie à la campagne. C’était le rêve. Il y avait aussi ma mère et deux de mes sœurs, dont une arrivait d’Afrique avec son fils de deux ans à l’époque. Cette vie communautaire était délicieuse. On s’est retrouvé en famille comme on a peu l’occasion de le faire. »
Parfois, Charles Consigny convie ses amis à Mantry. « En revanche, je ne les incite pas à acheter une maison dans le coin ! Je ne veux pas que le lieu devienne trop prisé. On a des endroits somptueux comme Arbois qui est très touristique. Pourtant, tous les gens ne connaissent pas. Ils sont plus enclins à aller en Bourgogne alors que c’est plus loin, moins accessible et plus cher. » Le climat jurassien opère aussi une sélection qui ne lui déplaît pas. « Il y a une période divine printemps-été-automne mais l’hiver est raide. » N’espérez d’ailleurs pas croiser le neveu de l’actrice Anne Consigny, sœur de son père Thierry, sur les pistes enneigées de la forêt du Massacre. « Je ne pratique pas du tout le ski de fond. Dans le Jura, je cours ou je fais du vélo. Je monte aussi dans le Haut-Jura pour boire un café ou admirer les paysages. Je me promène avec ma bagnole. »

Charles Consigny (FRA) – DR
Pêle-mêle, il cite les villages de l’Étoile, Château-Chalon et donc la patrie de Pasteur parmi ses endroits préférés. « Il y a aussi tous ces lieux où vivent des membres de la famille comme le petit village de Commenailles et Toulouse-le-Château. Des cousins élaborent aussi un vin merveilleux à Arlay mais ce que je préfère, ce sont les lacs. » Chalain et Vouglans reviennent régulièrement dans la conversation. « L’été, quand il fait très chaud, j’adore y aller », glisse-t-il. On croise aussi le trentenaire dans les rues de la cité lédonienne. « Lons-le-Saunier est le bled le plus consistant le plus proche de Mantry. J’y fais mes courses. Il y a un pâtissier très connu. Les gâteaux de Pelen, c’est notre Madeleine de Proust absolue. »
L’art de choisir un bon comté
Ceux qui le voient sur les plateaux de télévision où il défend avec force ses points de vue – cet ancien conseiller de Christine Boutin, chroniqueur de l’émission On n’est pas couché présentée sur France 2 par Laurent Ruquier – se revendique « de droite » mais pas sur tous les sujets et « old school mais pas réactionnaire » –, ou qui l’aperçoivent dans les comptes rendus des audiences du procès sur les soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy où il défend Alexandre Djouhri, ne peuvent imaginer Charles Consigny être dans son élément dans le Jura. Et pourtant… Quand Le Monde choisit de lui consacrer un long article dans ses pages L’époque, à la journaliste Solenn de Royer avec qui il échange des messages pour fixer le lieu de rendez-vous – forcément un lieu avec un bar –, il lâche ces quelques mots, « Le mieux, ça aurait été dans le Jura… », accompagnés d’une photo de la cave de sa grand-mère, plutôt que le Café Marly, l’Hôtel Bulgari, Chez Laurent ou encore l’Hôtel Raphaël. Sur la terre natale de Rouget de Lisle, l’avocat se fond dans le décor avec un naturel déconcertant.
C’est que l’homme de convictions, parfois controversé, est également un être de dialogue, ouvert d’esprit. « Les Jurassiens ne s’étonnent de rien, observe-t-il. Ils ont un côté placide et très discret. Ils feront rarement une réflexion particulière. Dans le village, il y a des agriculteurs qui s’appellent, cela ne s’invente pas, les Paysant. L’un d’eux a mon âge. On se connaît depuis l’enfance et je le considère comme un copain. Il est sur son tracteur, fait ses moissons et moi, en bon Parisien, je le croise pendant mon jogging. Cela ne nous empêche pas d’avoir une relation fraternelle, à l’image des relations dans ces contrées. Elles sont plus franches que dans des lieux plus touristiques. Le Jura, il faut avoir une bonne raison d’y aller. Je pense que cela n’étonne pas les gens d’ici que j’y sois attaché. »
L’avocat spécialisé en droit pénal est aussi un excellent conseiller pour les spécialités du cru. C’est un expert du comté. « À Paris, je ne cherche pas d’épicerie avec des produits jurassiens. Ils ne sont jamais dans le même état que dans la région, prévient-il. Si vous voulez un bon comté ou un bon morbier à Paris, évitez les fromagers fashion ou luxueux. Leur comté est trop vieux. Ce n’est pas un fromage à manger vieux, contrairement à ce que supposent beaucoup de gens. Le bon comté a dix-huit mois environ et il y a une différence entre comtés doux et fruité. J’achète mon fromage à la coupe chez Monoprix. Ils ont des fromages normaux mais bons. Même si je mange du comté à Paris, cela fait partie du charme du lieu de consommer les produits locaux sur place. Je bois rarement le vin du Jura ailleurs que là-bas. »
À l’image de la Percée du vin jaune 2022 dont il garde des souvenirs mémorables, bien qu’écourtée pour des raisons politiques. « Je n’ai pas toujours l’occasion d’y aller, lâche-t-il, avec une pointe de regrets. C’est une beuverie gigantesque mais très sympathique. C’est l’une de mes rares occasions de croiser les jeunes du Jura. L’ambiance y est bon enfant. »
S’il est disert sur sa passion du département numéro 39, ne cherchez pas trace du Jura dans le bureau parisien de l’avocat Consigny. « Mon bureau est extrêmement épuré. Il n’y a rien qui me fait penser à rien ! [Rires.] J’ai une table, une lampe, un ordinateur et des dossiers. Rien d’autre. » Hors de question d’afficher à la vue de tous le bel émeraude du lac de Vouglans. On lui suggère que le lieu n’est pas reconnu à sa juste valeur. « Il n’est pas trop méconnu ! s’emporte-t-il. Moins les gens connaissent sa beauté et mieux c’est. Ce serait une catastrophe que les touristes envahissent le Jura. Son côté paradisiaque et préservé est très important. Quand je parle trop du Jura dans les médias, mes oncles m’engueulent ! Ils craignent que j’attire les touristes. »
Le Jura, acteur-clef du Grand Amour
Publié en septembre 2024, Le grand amour, récit introspectif, décrit une époque, celle de Charles Consigny. Il y apparaît tantôt désabusé, tantôt cynique. Il y dévoile ses tourments, ses errements, son burn-out, son travail d’avocat, la politique, ses amours, sa famille et le drame de sa vie. À quatre ans, sa petite sœur Lara s’est noyée dans une piscine. Il venait d’avoir huit ans (« Je suis un enfant de Cesaria Evora, Sodade est le chant de mon enfance, celui du visage de mon père au volant de la Chrysler sur les routes du Jura où on a tant pleuré quand Lara s’en est allée »).
Le « trublion médiatique » (dixit Valeurs Actuelles) se livre comme rarement, loin du polémiste assumé qui sévit dans les médias. Le Jura revient régulièrement au fil des pages. « La majeure partie du livre y a été écrite. L’endroit s’y prêtait. »
Il dévoile ses souvenirs d’enfance à Mantry (« Je me souvenais des heures passées à lire et à laisser mon esprit s’envoler à travers les arbres ») et ces paysages qui ne cessent de l’émerveiller (« À l’approche des montagnes du Jura, les couleurs changeaient tous les jours dans un mélange d’automne et d’hiver, le soir un ciel rose pâle montait doucement dans le bleu »).
Le trentenaire évoque aussi la féerie du lac de Vouglans : « Nous sommes allés nous baigner au grand lac de Vouglans, sorte de Riviera jurassienne avec plein de petits hors-bords et de voiliers dont le plaisir saute aux yeux. C’est un spectacle étonnant, une vie dont on n’entend pas parler dans la presse, à la télévision, dans les dîners parisiens : loin de la Côte d’Azur, de Biarritz, du cap Ferret etc., il y a des tas de lieux d’art de vivre, de bonheur. »
Ses multiples activités contrarient parfois ses séjours jurassiens. En avril 2022, il écourte sa présence à la Percée du vin jaune de Cramans pour assister, à Paris, au meeting de fin de campagne de Valérie Pécresse, candidate des Républicains à l’élection présidentielle. À l’époque, il est aussi candidat aux élections législatives dans les Yvelines. Arrivé en troisième position avec 12,77 % des suffrages exprimés, le candidat des Républicains est battu dès le premier tour dans la quatrième circonscription. « C’est fou le temps que prend la politique. Comment peut-on espérer des hommes et femmes politiques qu’ils connaissent leurs dossiers et lisent des livres s’ils doivent s’infuser des meetings qui durent des demi-journées et des foires à la saucisse ? », s’interroge l’auteur, un « écorché vif, un frimeur tendre, un provocateur romantique », décrit ainsi par Frédéric Beigbeder dans Le Figaro Magazine.
P Le Grand amour. 272 pages. Plon. 21,90 €