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Aurélien David, au chevet de Notre-Dame de Paris

[Portrait publié dans le Numéro 39 n°9 en juin 2024]

Il avait quinze ans quand il a rejoint l’Institut des Compagnons de Mouchard. Neuf ans plus tard, celui qui a pour nom La Fidélité des Devoirs a derrière lui sept ans de Tour de France et deux ans de chantier à Notre-Dame de Paris. Pourtant c’est dans son Haut-Jura natal qu’Aurélien David, le bourlingueur, a décidé de poser définitivement son sac.

Pour sûr, c’est bien un Jurassien, avec tout ce qui va avec… Le caractère bien trempé, la détermination inscrite au fond des yeux, la passion du travail bien fait et le sens du partage. Surtout le sens du partage. À vingt-quatre ans, le gars des Molunes, près de Septmoncel, a déjà plus d’une vie derrière lui.

 

LA REVELATION DU COMPAGNONNAGE

Dès qu’on aborde le compagnonnage, « société à secrets », puisqu’il en est ainsi de certains rites qui constituent la partie privée et vécue des compagnons, il convient d’être prudent. Parce que ce monde est celui des symboles, tout est sujet à interprétation. Pourtant, Aurélien David n’a rien d’un mystique, c’est même un jeune les deux pieds dans son époque, un enfant du troisième millénaire.

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Le Haut-Jurassien Aurélien David – Numéro 39

Il est né à Saint-Claude en 2000. Ses parents habitent les Molunes jusqu’à ses deux ans. Une séparation familiale le fait ensuite descendre dans la vallée de la Bienne, plus exactement à Avignon-lès-Saint-Claude. L’école, ce n’est pas vraiment son truc, le garçon nourrit d’autres intérêts : « J’étais plutôt discret, un peu clown sur les bords. J’aimais bien l’histoire, mais je ne voyais pas l’utilité de ce que j’apprenais. » Et voilà déjà un indice. L’école et le collège privés n’y font rien. En troisième, il faut faire un stage et le voilà quelques jours chez un compagnon qui lui parle, bien sûr, du métier : « J’ai fait les portes ouvertes à l’Institut européen de formation des compagnons à Mouchard et ça m’a botté, surtout l’aspect voyage qui promettait une ouverture et une responsabilisation. Je sentais que j’en avais besoin. » Le discours du directeur l’enthousiasme, même s’il n’omet rien du chemin difficile sur lequel tout élève s’engage : le travail, les corvées, les heures d’études… Le tout en internat, loin des familles et en alternance. Sept semaines à l’institut, sept semaines en entreprise.

 

COMPAGNON : UN TITRE, PAS UN DIPLOME

Frédérique, sa maman, sent bien que quelque chose se passe : « Aurélien avait besoin de voir autre chose, je ne me faisais pas de souci. Les élèves sont bien encadrés et puis, avec sa sœur, je les ai trimballés avec moi chaque fois que je faisais des courses de ski ou des ultratrails. Je me suis dit que je passais un peu la main, que j’avais fait mon travail. » Voilà comment les choses ont commencé. En 2015, le petit Haut-Jurassien change de statut, le voilà devenu « lapin ».

Aurélien David prépare son CAP de charpentier en deux ans et entre tout de suite dans le bain. La première année, il est en alternance à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), la deuxième à Paris. Ces premières étapes comptent dans le fameux Tour de France qui dure entre cinq et sept ans. Dany, qui l’a accueilli à son arrivée à Mouchard, évoque un gamin jovial, de bon tempérament : « Je l’ai suivi deux ans, il passait la moitié de son temps à l’Institut et la moitié en entreprise, loin de chez lui, raconte-t-il. Il se retrouvait avec des jeunes de son âge venus d’ailleurs, c’est ça le compagnonnage. On y apprend la tolérance, la bienveillance, la loyauté. »

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Aurélien David et son écharpe verte de compagnon – Numéro 39

Son diplôme en poche, il poursuit sa formation à Nantes (Loire-Atlantique), c’est là, en 2018, qu’il est officiellement adopté par l’association des Compagnons Charpentiers, dont il devient aspirant. L’année suivante, il poursuit au Pays basque et, en 2020, il est reçu compagnon à Grenoble (Isère). Il a vingt ans à peine. « Pour changer d’état, on fait un travail de réception. Pour les charpentiers, c’est une maquette. J’ai choisi une impériale, comme les clochers comtois. Quatre cents heures de travail réalisées sur le temps libre », précise le jeune homme.

 

DE PARIS AU JURA A PIED

Aurélien David reçoit ses attributs : la couleur verte des charpentiers, la canne faite spécialement à sa taille par un compagnon de Tarbes, avec son nom, symbole du voyage. Mais devenir compagnon, c’est bien davantage : « Compagnon est un titre, pas un diplôme. C’est un engagement à vie. Le compagnon est lié à sa société, il s’engage à être présent pour la faire vivre, à accueillir et à aider ceux qui font le Tour, à participer aux réunions… », énumère le Jurassien. Et à travailler dur aussi. Chaque soir, de 20 à 22 heures, cours théoriques par les anciens auxquels s’ajoutent les cours pratiques. Pas vraiment un programme précis, mais une adaptation aux demandes des jeunes. Le but du Tour de France est d’apprendre toutes les facettes du métier, c’est avant tout une formation de qualité qui permet de passer des diplômes beaucoup plus vite : « C’est très motivant. Quand on est un petit lapin et qu’on voit le travail des compagnons, on a envie de se dépasser. Mais c’est aussi l’aventure, la découverte de la tradition du voyage. C’est très organisé. Partout des maisons nous reçoivent, une trentaine au total avec des villes capitales, les cayennes, et d’autres plus modestes. L’intérêt du Tour, c’est la rencontre avec l’autre dans un esprit de fraternité. On forme avant tout des hommes. »

A priori, on est bien loin du Jura, et pourtant… Après Grenoble, Aurélien David a poursuivi son périple : Tarbes (Hautes-Pyrénées) en 2021, Annecy (Haute-Savoie) et, enfin, Thouars (Deux Sèvres), où son destin prend un magnifique virage : il va l’emmener jusqu’au chantier de Notre-Dame à Paris. Mais restons un instant sur les valeurs qui lui sont chères et notamment l’apprentissage de l’humanité : « Nous sommes toujours avec des gens qui nous ressemblent. Le travail a une place très importante, mais l’honneur aussi. Il ne faut rien avoir à se reprocher. Mon nom de Compagnon est La Fidélité des Devoirs. Quand un Compagnon est initié, il l’est à ses devoirs, à ses engagements. Le Compagnon est reconnaissant à ceux qui lui ont tout donné et, à son tour, il doit donner. C’est la passion de la découverte et de la transmission. »

Quand le Franc-Comtois a eu fini son compagnonnage en janvier 2024, il a fait ce que veut la tradition : il est rentré chez lui à pied, de Paris au Jura. Trois semaines sur les routes : Meulan, Fontainebleau, Vézelay, Autun, Louhans, Orgelet, Cuttura, Saint-Claude, à raison de vingt-cinq kilomètres par jour, par tous les temps et à raison d’une journée de pause par semaine. Il a dormi chez l’habitant : « C’est bon de voir des gens gentils, sensibles aux autres. Parfois, ils s’arrêtaient sur la route pour me prendre ; d’autres fois, je frappais aux portes ou j’allais au bistrot parce que c’est là que les gens se retrouvent. Le retour, c’est là encore un symbole. On rentre chez soi, seul et on prend le temps de cogiter, comme les anciens qui tournaient à pied. » Qu’a-t-il ressassé dans sa tête, en ce temps gris et froid de janvier, lui qui avait imaginé un moment créer sa propre entreprise dans son Haut-Jura ? On ne le saura pas, sinon qu’il y a renoncé : « Je n’ai jamais travaillé dans ma région, je voulais me faire une expérience. Mais j’ai trouvé une belle entreprise à Septmoncel avec un bon état d’esprit… Et il y a plusieurs compagnons ! J’ai tout ici : ma copine fait des études en Suisse et je cherche une petite maison pour m’installer. J’ai toujours eu en tête de revenir. Ici, c’est une sacrée région, belle et protégée. Les gens ont une histoire, c’est ce qui me plaît. »

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Aurélien David est revenu dans le Jura après son Tour de France – Numéro 39

On ne peut pas terminer autrement que par l’expérience de Notre-Dame de Paris, de loin la plus belle de ce jeune Compagnon. Reprenons le cours des événements : 2021, Aurélien David poursuit son Tour à Thouars dans une entreprise spécialisée dans les monuments historiques. Après l’incendie de la cathédrale, un appel d’offres est lancé pour reconstruire la flèche qui s’est écroulée. La société candidate mais il lui faut présenter une maquette avec un dessin traditionnel. Or, la seule personne capable de le faire est âgée, elle laisse sa place au jeune homme. En se regroupant avec trois autres entités, le chantier est finalement obtenu. Aurélien David débarque à Paris en mars. Il découvre les lieux : « C’était une ville dans la ville. Trois immeubles d’Algeco, trois cents personnes, des filtrages à l’entrée. Quand je suis arrivé, il y avait encore les stigmates de l’incendie. J’ai tout visité. Le beffroi avait été endommagé, c’était impressionnant et émouvant. Je me sentais petit, j’ai travaillé uniquement sur la flèche. On a fait un an d’atelier, je connaissais le chantier par cœur. Je savais même le cubage des pièces ! »

 

SOUS LE CHARME DE NOTRE-DAME

Tout est démesuré dans cet univers particulier. Il a fallu deux mois pour trouver les bois qui convenaient – des pièces exceptionnelles –, grâce au mécénat. La flèche a été refaite à l’ancienne. Cinquante-huit mètres de haut. Si, en apparence, l’esthétique est la même, l’assemblage est différent : « Je me souviendrai toute ma vie de la pièce quarante-neuf, d’une complexité incroyable… »

Et si le 8 décembre 2023, l’aiguille a été levée, tout n’est pas fini à Notre-Dame. Il a fallu démonter les quatre cents tonnes de l’échafaudage, trop lourd, pour en remonter un plus léger. Bientôt, les couvreurs prendront le relais.

À Paris, Aurélien David a surtout découvert une aventure humaine XXL. Les ouvriers des quatre entreprises travaillaient ensemble, mangeaient ensemble, logeaient dans le même hôtel et portaient tous le même tee-shirt. Un esprit de famille comme les aime le Jurassien. Quand ils sortaient le soir, les cafés du quartier les accueillaient comme des rois. Pascal a été son formateur dans l’entreprise parisienne qui l’a accueilli quand il était encore en CAP et il l’a de nouveau croisé sur le chantier de Notre-Dame : « J’ai retrouvé un compagnon passionné. Il a œuvré sur la flèche depuis le début, c’est un de ceux qui ont le plus travaillé sur le sujet. C’est le chantier d’une vie et avoir participé à cette aventure à son âge, c’est une chance, dont il a conscience. »

Alors, à Septmoncel où il a commencé à écrire un nouveau chapitre, Aurélien David n’a pas pu tourner complètement la page. Notre-Dame lui a ravi le cœur, il est reparti en juin pour deux mois finir la charpente : « Mes employeurs m’ont donné leur accord, je ne pouvais pas arrêter comme ça. Juste deux mois et, après, je reviens et je reste. C’est promis ! »

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