

[Portrait publié dans le Numéro 39 n°8 en juin 2023]
Le Granite est situé dans le premier arrondissement de Paris. Un restaurant pas comme les autres qui affiche depuis l’an dernier une-étoile au Michelin avec un jeune chef jurassien, pas comme les autres lui non plus. Tom Meyer incarne cette nouvelle génération qui veut tout, très vite. Bête à concours, MOF… À pas trente ans, il a déjà un impressionnant palmarès.
C’est un restaurant parisien tout en hauteur… Un Jurassien, Tom Meyer, l’a ouvert en septembre 2021, après des mois de recherches. Au printemps suivant, le chef se voit décerner sa première étoile. Ce n’est pas exceptionnel, mais c’est plutôt rare pour Le Guide Michelin. De toute façon, l’homme a déjà la tête ailleurs, il lorgne déjà une deuxième étoile qu’il espère bien décrocher dans trois ans. C’est que l’homme est pressé.
UN RESTAURANT SUR TROIS NIVEAUX
Le lieu ne paye pas de mine, mais ce matin, alors que toute l’équipe s’affaire avant l’arrivée des clients, il y règne une ambiance particulière. Comme une espèce de danse collective sur des chansons de… Dalida. Tout le monde s’agite, fredonne au rythme de Paroles Paroles et de Bambino. Hasard ou gestion collective du rythme ? Détente ou concentration des énergies savamment dosée ? On ne le saura pas, le management a ses petits secrets.

Tom Meyer en cuisine – Numéro 39
L’évidence, par contre, vient de l’originalité de l’endroit. Depuis la rue, l’établissement Le Granite n’est qu’une vitrine contemporaine, plutôt classique. C’est à l’intérieur que tout se joue. Un rez-de-chaussée avec une quinzaine de places et une seconde salle de même capacité en sous-sol. En dessous court une immense cave. C’est la configuration du lieu qui a fait craquer le chef : « J’ai visité plusieurs lieux avec Stéphane Maligol, du groupe Éclore, avec lequel je suis associé. On avait trouvé un local vide dans le huitième arrondissement. Sauf qu’à la dernière minute, il a dégoté ce restaurant, Le Spring, tenu par un Américain. »
Les trois premiers mois sont laborieux, l’équipe est réduite à douze unités pour trente couverts. La clientèle répond présente, mais attend de voir. C’est la capitale, la ville des modes et des coups de cœur, on grimpe vite et haut, mais on redescend tout aussi rapidement : « On a eu la chance d’avoir de très belles critiques. Quand on a ouvert, on avait déjà le niveau d’une-étoile. Aujourd’hui, on est vingt-trois personnes. Et c’est à moi d’écrire l’histoire de ce restaurant… »
MADE IN JURA
Au Granite, le jeune homme qui approche la trentaine propose un condensé de tout ce qu’il a acquis de meilleur au gré de sa carrière, sans jamais oublier qu’il vient du Jura, où ses parents ont tenu longtemps Le Mirabilis à Mirebel, avant de descendre à Courlans ouvrir Le Bistrot de Hugo : « J’ai une belle carte des vins du Jura, bien sûr, et j’ajoute toujours une petite touche jurassienne dans mes plats. Je me sens 100 % Jurassien ! » S’il est né à Lons-le-Saunier, il a vécu toute son enfance à Mirebel, sur la route reliant la préfecture à Champagnole, et c’est au lycée Friant de Poligny que tout a vraiment commencé : le bac techno et surtout, le BTS en alternance chez Anne-Sophie Pic à Valence, trois-étoiles au Michelin : « J’étais parti pour faire une saison chez mon père. Après avoir fait une journée d’essai chez Pic, ils ont téléphoné. Il fallait que j’y sois deux jours après. Je voulais faire de la pâtisserie, ils m’ont pris en cuisine… » Thibault, le copain d’enfance, a suivi tout son trajet depuis la petite enfance : « Tom a grandi en cuisine dans les jambes de son père, il est carriériste et déterminé, c’est pour ça qu’il a voulu travailler avec les meilleurs. C’est une bête de travail, il est discipliné et déterminé. À vingt-neuf ans, il a mené sa carrière d’une main de fer pour réussir ses rêves. Il est moderne et diversifié, c’est un OVNI ! »

Le Granite, une aventure collective – Numéro 39
Marié et père d’un petit garçon de trois ans, Tom Meyer vit donc à Paris. Il y est venu pour sa carrière, il ne s’en cache pas. Dans cette mégapole, il a tout de même réussi à trouver un rythme et le temps de sortir : « J’apprécie aujourd’hui le côté culturel qui me fait grandir en tant qu’homme. Je m’y plais beaucoup. » Il n’empêche, toutes les six semaines, il revient aux sources dans la maison familiale et avoue que c’est dangereux : « On revoit les copains et on fait la fête. Il faut faire attention. » Le cuisinier emmène aussi son équipe en virée sur ses terres : Château-Chalon, les lacs, les paysages. Pour qu’ils comprennent, qu’ils s’imprègnent.
À LA DURE À LA MAISON PIC
Qui est vraiment Tom Meyer ? Le chef brillantissime, dévoreur de concours ? L’épicurien ? Le businessman ? Son épouse Celia lui reconnaît ce sens de la compétitivité très ancré chez lui : « Il a toujours aimé se dépasser, respecter les valeurs de travail. Il ne déconnecte jamais vraiment, il a toujours le nez dans un livre ou se rend aux quatre coins de la France pour voir ce qui se fait. Il veut s’améliorer. »
Pourtant, c’est ailleurs qu’il faut chercher l’ADN de cette réussite et notamment dans les coups durs. Quand il débute à la Maison Pic, le 1er août 2011, en tant que responsable des amuse-bouche et des apéritifs, il lui faut se mettre dans le bain. L’établissement d’Anne-Sophie Pic, c’est la rigueur, la pression, la recherche de la perfection. Des débuts difficiles, donc, d’autant qu’à peine arrivé, Tom Meyer perd un ami d’enfance qui travaillait également dans la restauration, à La Meuloise, un trois-étoiles. Un pote avec lequel il s’était juré de devenir MOF (Meilleur Ouvrier de France) et d’œuvrer dans un établissement triple étoilé. C’est le choc pour le Franc-Comtois : « Je n’ai pas voulu en parler, j’avais peur qu’ils pensent que je n’avais pas le mental. Je me suis réfugié dans le travail et la difficulté m’a endurci. » Il fera donc ses deux années d’apprentissage dans la Drôme – il y reste même six mois de plus –, pour acquérir une formation complète, du bistrot au traiteur, en passant par les desserts.
LES COUPS DU SORT
Quand il décide de partir, la Maison Pic veut le garder, mais il s’est fixé un autre objectif : rendre hommage à son copain et travailler à La Meuloise. Là, il apprend la vitesse, les gros volumes, l’encadrement martial. Un fonctionnement à l’ancienne. Bien sûr, il ne s’y plaît pas et la Bourgogne est trop grise selon lui. Il enchaîne avec le sud, à la Chèvre d’Or à Eze : une cuisine du sud avec un chef breton. Il y apprend l’art de la garniture des plats. Son rêve est encore ailleurs. Il regarde du côté de la Suisse, plus exactement vers Crissier, à l’Hôtel de Ville, un trois-étoiles dont la cuisine a été confiée à un chef mythique, Benoît Violier, un MOF. Il y débute le 1er janvier 2016 et, là, un nouveau coup du sort survient. Le chef se suicide : « Sa mort a été un choc pour les chefs du monde entier, il ne gueulait jamais et tout se passait bien. Cet homme donnait beaucoup d’amour et ses équipes le lui rendaient bien. » Le Jurassien aurait pu partir. Au contraire, il reste à son poste jusqu’en juillet 2018, touche aux crustacés, aux volailles, au garde-manger dans un restaurant réputé pour sortir des bêtes à concours. Puis, il retourne chez Anne-Sophie Pic.
PALMARES A LA PREVERT
L’autre facette de Tom Meyer, c’est son goût pour le challenge. Hugo Bourny, chef de cuisine quand celui-ci est arrivé à Valence, se souvient d’un apprenti « vif, rapide, assimilant très vite toutes les informations. Il commençait le métier à l’époque et on l’a immédiatement passé en cuisine qui était un milieu très fermé, c’est dire la confiance qu’on a eue en lui, tout simplement parce qu’il avait de grandes prédispositions. Il a l’étoffe d’un chef trois-étoiles. »
Parlons concours, justement. Ses armes, il les fait… à la Percée du Vin Jaune, en 2007, à Poligny. C’est encore un gamin. Second concours, toujours à la Percée, alors qu’il est étudiant. Ce n’est pas une réussite ! Les choses deviennent sérieuses avec le Trophée Masse autour du foie gras, dans l’étape régionale du Grand Sud à Marseille, qu’il remporte en 2016 : « Je me suis entraîné pendant trois mois la nuit, de vingt-trois à quatre heures du matin, après ma journée de travail. J’avais vingt-deux ans. J’ai gagné le lendemain de mon anniversaire. » Il enchaîne avec l’étape nationale, mais termine quatrième à cause d’un foie gras trop cuit.

Le Granite, c’est la règle de l’effervescence permanente. Toujours à la recherche du « petit plus » qui fait la différence – Numéro 39
Ensuite, c’est le Challenge Culinaire du Président de la République où il obtient une troisième place : « J’aurais pu finir deuxième si je n’avais pas inversé le sel et le sucre dans ma pesée, mais pas premier. Le gagnant Jérôme Schilling était vraiment meilleur ! » Son nom commence à circuler. La même année, Tom Meyer enchaîne avec le prix culinaire Taittinger, il emporte d’abord l’étape nationale en Suisse, puis l’étape internationale à Paris. C’est alors qu’Anne-Sophie Pic le recontacte pour un poste de création : « C’était unique, elle me faisait confiance et, pendant trois ans, j’ai vraiment progressé, j’ai appris à aromatiser un plat. J’étais au centre de tous les chefs de brigades. Et j’ai beaucoup voyagé. »

Tom Meyer et son équipe – Numéro 39
Au Bocuse d’Or qu’il tente en 2019 et qu’il veut obstinément obtenir, il est coaché par Arnaud Faye, mais il échoue d’un point. C’est une grosse amertume pourtant effacée en 2022 par le titre de MOF en cuisine. Un clin d’œil à son père qui l’a passé en 2004, mais aussi une incitation à transmettre : « Je coache mes gars, on s’est inscrit à cinq. Mon chef a gagné et les autres ont tous été reçus deuxièmes. Je veux faire du Granite une boîte à concours… »