Pour son nouveau film, le réalisateur sanclaudien a délaissé les sciences et les maths pour une plongée dans l’histoire jurassienne. Il s’est intéressé au grand-juge Henry Boguet, un légiste très reconnu en son temps.
À trente-six ans, Quentin Lazzarotto a déjà tourné pas mal de films. Cette année, le jeune réalisateur sanclaudien, passionné de sciences et de paysages, revient avec Michée, un court métrage dans un registre complètement différent, puisqu’il traite des procès en sorcellerie au début du XVIIe siècle dirigés par le tristement célèbre juge Boguet.
- Jusqu’à maintenant, vous avez plutôt tourné des films sur le thème de la science. Avec Michée, vous vous intéressez à un épisode historique qui s’est déroulé dans le Jura. Qu’est-ce qui vous a motivé ?
C’est vrai, pendant une dizaine d’années, j’ai fait des films sur la science. Mais là, j’avais envie de parler de ma région d’une manière différente. Je suis né à Saint-Claude, mes parents sont
Sanclaudiens et mes grands-parents Italiens du côté paternel et Septmoncelands du côté maternel. J’ai toujours été très attaché à ma région natale. J’y suis resté jusqu’à l’âge de dix-huit ans. C’est là, à seize ans, que j’ai fait un documentaire sur Septmoncel avec une toute petite caméra. C’était mon premier film que j’ai pu présenter à la Fête du Haut-Jura en 2004. Ensuite, je suis parti étudier à Paris et en Angleterre.
- Peut-on parler d’un retour aux sources ?
Oui, je cherchais à revenir sur mes origines. J’ai toujours été fasciné par le fait que des gens sont venus s’installer à Saint-Claude, au XVIIe siècle. L’abbaye était puissante, la religion a imposé sa loi pendant des siècles et l’histoire m’a ramené à Henry Boguet, qui fut grand-juge en sorcellerie sur la terre de Saint-Claude à la charnière des XVIe et XVIIe siècle. C’est lui qui a mené les grands procès en sorcellerie. Il était célèbre dans la France entière.
- Pourquoi Boguet précisément ? Vous auriez pu trouver d’autres personnages célèbres…
En fait, tout a démarré en 2018. J’ai été sélectionné par le réalisateur Werner Herzog pour participer avec lui et des jeunes réalisateurs venus du monde entier à un atelier cinématographique en Amérique du Sud. Il nous a dit qu’il fallait absolument faire des films sur des gens fous ou extrêmes. J’ai commencé à réfléchir et j’ai tout de suite pensé à Boguet. Tout me ramenait à lui. À mon retour, j’ai parlé de ce projet à des gens de France 3 et j’ai rencontré Frédéric Poncet, élu à Saint-Claude, qui l’a défendu.
- C’est France 3 qui l’a commandé ?
C’était un appel à projet et j’ai été retenu. Ce n’est pas une commande. Il a fallu trois ans pour le réaliser : une année pour écrire, une autre pour trouver le financement et une dernière pour le réaliser. Au départ, le scénario reposait sur une variante de l’histoire de Michée Chauderon, en référence à une sorcière de Genève condamnée au bûcher, mais j’ai modifié l’histoire qui est devenue simplement Michée pour la ramener au plus près de Saint-Claude.
- Que raconte le script ?
C’est l’histoire du jeune greffier de Boguet (un personnage auquel nous avons donné le nom de Jacques Michalet, le vrai nom du greffier de Boguet) qui se retrouve coincé en étau entre le juge, pour qui il a du respect, et une fille prise dans les griffes du juge. L’histoire se compose de pièces de procédure en sorcellerie à Saint-Claude au XVIIe siècle, tirées des archives. C’est une plongée précise dans le déroulé d’une procédure telle qu’elle existait à cette époque. Quand on parle de procès en sorcellerie, en général on ne sait pas comment ils se déroulaient. Là, on découvre comment le juge s’y prenait pour condamner. C’est aussi une plongée dans le Haut-Jura de cette époque, qui a façonné beaucoup de choses. Il existe encore des noms de lieux autour de Saint-Claude qui portent le nom de sorciers : la grange Cattin par exemple. Le film montre aussi la lutte contre les idées nouvelles, notamment les protestants que Boguet a pourchassés.
Vraiment c’est un nom qui a marqué l’histoire du Haut-Jura, mais que les Jurassiens d’aujourd’hui connaissent peu. Ce n’est sans doute pas le passé le plus glorieux de cette région, mais il est important. Il y a eu une véritable légende autour de cet homme à qui on a attribué jusqu’à mille morts, même si la réalité est nettement en dessous.
- Malgré tout, on peut parler d’un film en hommage à votre région natale ?
Un hommage aux gens de cette région en tout cas. Je voulais absolument travailler avec des femmes et des hommes d’ici. La première personne a été Pierre Jouille, repéreur depuis quarante ans. Il a eu la responsabilité de trouver des décors et on a cherché pendant un moment ! Ensuite Jean-Daniel Vuillermoz, costumier originaire de Saint-Claude, qui travaille à Paris pour le cinéma. Gérard Benoît-à-la-Guillaume, photographe de Septmoncel, s’est chargé des photographies de plateau pendant le tournage. Et puis des gens qui transpirent le terroir : Raphaël Perrin, ancien président de la communauté de communes de Saint-Claude-Haut-Jura et une vingtaine de figurants pour la scène du bûcher. François Doucey, professeur d’histoire à Poligny a été mon conseiller historique. J’ai tenu à tourner à Saint-Claude malgré des vents contraires. Il y a peu de lieux pour tourner. J’ai vraiment insisté et un jour, Sébastien Bully archéologue, m’a parlé du musée de l’Abbaye. J’ai rencontré Valérie Pugin, la conservatrice qui a tout arrangé.
- En tournant dans l’ancienne abbaye, vous avez bouclé la boucle, non ?
Oui, en quelque sorte. J’ai tourné dans la cathédrale, à Lajoux et à Septmoncel pour les paysages, et dans la crypte du musée, sur les vestiges archéologiques de l’abbaye. Tous ces lieux historiques portent encore en eux l’écho de cette époque où une machine judiciaire aux mains d’un homme tout-puissant a marqué au plus profond les esprits pendant des générations. Le film est l’expression de mon ressenti en tant qu’enfant du pays. J’espère qu’il parlera à tous les Hauts-Jurassiens.
Michée de Quentin Lazzarotto sera diffusé sur France 3, « sans doute à l’automne ».