Sur la Croisette, deux films « jurassiens » ont fait sensation en mai dernier : Le Roman de Jim des frères Larrieu, inspiré du livre de Pierric Bailly, et Vingt Dieux de la réalisatrice Louise Courvoisier.
Elle a quitté les bottes boueuses, le pull en laine et la maison familiale aux murs en pierres sèches de Cressia pour fouler le tapis rouge cannois le même jour qu’Emma Stone. La classe internationale pour Louise Courvoisier, Jurassienne d’à peine trente ans, élevée aux grains de la Petite Montagne. La cinéaste a réalisé un premier long métrage sélectionné dans la catégorie « Un certain regard » et auréolé du Prix de la Jeunesse 2024 du festival de Cannes. Vingt dieux ! C’est ce qu’on dirait pour montrer notre étonnement joyeux, mais c’est aussi le titre de son film, entièrement tourné dans le massif du Jura, avec des gens du cru, qui ont joué aux acteurs pour la première fois. La critique est en liesse, le gotha du grand écran et le Tout-Paris se l’arrachent. Des amateurs jurassiens font sensation à Cannes, c’est bien ça.
Louise Courvoisier, déjà remarquée sur la Croisette en 2019 pour son court-métrage Mano a mano (premier Prix de la Cinéfondation), a transporté son large sourire jusque dans les médias nationaux pour porter l’image de notre campagne.
Vingt Dieux raconte l’histoire de Totone, dix-huit ans, passant le plus clair de son temps à boire des bières avec ses potes dans les bals du Jura. Au décès brutal de son père fromager, il doit s’occuper de sa petite sœur et trouver le moyen de gagner sa vie. Il se met en tête de fabriquer le meilleur Comté de la région pour remporter la médaille du concours agricole et trente mille euros.
Le Monde qualifie la Jurassienne de « Ken Loach du Jura » et le film de « comédie loufoque, crue et malpolie, mais jamais vulgaire. » Louise dit s’être inspirée de la jeunesse avec qui elle a grandi et confie son inaptitude à faire un film dans un appartement parisien. « Ça, c’est mon décor, mes montagnes », dit-elle en montrant les prés et les forêts enveloppés dans la brume jurassienne. Le film sortira le 11 décembre, cadeau d’avant Noël.
Sur les crêts jurassiens, Laëtitia Dosch, Eol Personne, Bertrand Belin et Karim Leklou jouent les personnages du Roman de Jim – Guy Ferrandis – SBS Productions
Pierric Bailly n’a pas rencontré Louise Courvoisier sur la Côte d’Azur et, pourtant, il y était aussi. Son Roman de Jim, publié chez POL, vient d’être adapté au cinéma par les frères Larrieu, sous le même titre. Le film, présenté hors compétition, a reçu un très bel accueil du public cinéphile et l’écrivain jurassien, fou de cinéma depuis son adolescence, s’est réjoui de ce moment « de grand bonheur, agréable et sans pression, totalement différent de la sortie d’un livre ». Le Roman de Jim version film sera visible sur grand écran le 14 août, jour de l’anniversaire du romancier. Drôle de hasard !
Lorsque son éditeur a demandé à Pierric Bailly de soumettre des noms de réalisateurs qu’il aimait pour leur proposer une adaptation de son sixième roman au cinéma, Arnaud et Jean-Marie Larrieu ont fait partie des premiers de la liste. « Les frères Larrieu étaient une forme d’évidence. J’aime leur cinéma. Ils ont beaucoup filmé la montagne, ils la connaissent bien et ils la filment bien. Ils ont le goût du romanesque, font vivre des personnages à travers une intrigue. Je me retrouve dans leurs héros masculins, des hommes sensibles, pas hégémoniques, qui ne prennent pas toute la place. »
L’auteur de Polichinelle et de L’homme des bois a été conquis par l’envie artistique des frères Larrieu. « Ils ont tout de suite envisagé le défi de tourner une scène pendant Les Nuits Sonores, un festival de musique électro réunissant plus de cent mille personnes à Lyon. Même s’ils avaient fini par procéder autrement, cela n’aurait pas été un problème. Les mecs n’avaient pas peur. Ils témoignaient d’un élan pas cadenassé, d’un désir de cinéma. »
Pierric Bailly a emmené les réalisateurs sur ses terres pendant une semaine pour des repérages fructueux et il a beaucoup échangé avec eux, c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui. « Le film fait honneur au Jura, à ses montagnes. Eux parlaient plutôt de grosses collines. Ici, nous avons des crêts. Un crêt n’est pas un pic, c’est plus arrondi, plus doux. Ils ont aimé ces paysages. »
Les spectateurs reconnaîtront Saint-Claude, le Haut-Jura, le lac de Vouglans, près du Pont de la Pyle et La Dalue, un gîte d’étapes à Bellecombe bien connu des randonneurs qui a fait flasher les frères Larrieu. « Ma seule crainte aurait été de voir débarquer la grosse équipe de cinéma citadine sans égard pour les gens du coin. Ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Les habitants voyaient Karim Leklou à la salle de sport le dimanche matin et Laëtitia Dosch choisir des livres à la librairie Zadig ou acheter des fleurs souvent. »
Pierric Bailly a l’impression de vivre les derniers moments du livre avant qu’il devienne un film. Un grand film d’auteur populaire « très émouvant », un mélodrame à l’image de ceux d’Almodovar ou de Douglas Sirk dont le Clairvalien s’est inspiré pour écrire Le Roman de Jim.