Connect
Haut

Il y a 50 ans sur l’Etna avec Tazieff

Jurassiens, le géologue Michel Campy et le peintre Bernard Moninot ont accompagné, à la fin des années soixante, le célèbre vulcanologue en Sicile. Pour Numéro 39, ils se souviennent. 

 

Sur la table de son bureau, dans sa maison de Marnoz, Michel Campy dessine l’emplacement des différents cratères de l’Etna tels qu’il les a découverts au cours de l’automne 1968. Le cratère central, le cratère nord-est, la Bocca Nuova, l’Observatoire… Cinquante ans après, la carte est précise. Le Jurassien n’a rien oublié du mois passé au sein de l’équipe de Haroun Tazieff, le plus célèbre des volcanologues du XXe siècle. « J’avais 28 ans, un mois de libre devant moi avant de faire mon stage d’agrégation de sciences naturelles, dit-il. J’ai vécu une expérience fantastique ».

En fait, ce sont plusieurs dizaines de jeunes issus du massif du Jura qui ont eu le privilège d’accompagner le scientifique russe naturalisé belge, puis français en 1971, sur les pentes du volcan sicilien. Michel Campy fait partie de ceux-là.

Jurassiens, le géologue Michel Campy et le peintre Bernard Moninot ont accompagné, à la fin des années soixante, le célèbre vulcanologue en Sicile. Pour Numéro 39, ils se souviennent. 

Michel Campy, professeur émérite de l’Université de Bourgogne : « à l’époque, les volcans étaient un spectacle merveilleux qu’il fallait voir. Pour nous, étudiants, c’était un mythe ».

Les jurassiens disposaient-ils de qualités physiques particulières pour porter du matériel à plus de 3 000 mètres ? Étaient-ils spécialement préparés à encaisser les soubresauts de l’Etna un mois durant ? Pas spécialement. Le critère géographique dans la composition des équipes de Tazieff est lié avant tout à une histoire d’amitiés. Depuis longtemps, le peintre et cinéaste du Haut-Doubs Pierre Bichet était en relation avec le volcanologue – dans les années cinquante, les deux hommes ont réalisé un tour du monde des volcans dont ils rapportèrent le film Les rendez-vous du diable. Et c’est à lui que Tazieff a demandé de constituer ses équipes de portage. « On me confia la charge de recruter, initier, diriger l’équipe de porteurs, échelon le plus bas de la hiérarchie, esclaves indispensables aux expériences prévues durant les quelques semaines consacrées à chaque expédition. Je recrutais les porteurs le plus souvent parmi mes jeunes amis jurassiens, avec qui je pratiquais l’escalade, le ski, la spéléologie ou l’aile delta. Ils furent toujours de précieux compagnons. Attirés par l’exotisme des volcans, leur seul salaire était de participer. Travailler avec des savants les flattait, les imprévus de l’aventure les comblaient. Durs au travail, fidèles en amitié, ils se connaissaient tous », souligne Pierre Bichet en 2004, dans l’ouvrage-hommage collectif Haroun Tazieff, une vie de feu [édité par Glénat].

En 1967, Haroun Tazieff devient responsable de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Une nomination qui marque un tournant important dans sa carrière. « Les crédits alloués allaient me donner la possibilité de mettre aussitôt sur pied un programme de recherches cohérent, d’acquérir certains instruments, de recruter des collaborateurs, de planifier une série de missions sur le terrain », explique Haroun Tazieff en 1975 dans l’ouvrage 25 ans sur les volcans du globe publié par Fernand Nathan.

Jurassiens, le géologue Michel Campy et le peintre Bernard Moninot ont accompagné, à la fin des années soixante, le célèbre vulcanologue en Sicile. Pour Numéro 39, ils se souviennent. 

Le célèbre volcanologue Haroun Tazieff, né à Varsovie le 11 mai 1914, qui nous a quittés il y a juste 20 ans.

Avec un objectif : connaître la nature des gaz éjectés qui conditionnent les variations de l’activité des volcans. S’il fréquente les pentes de l’Etna depuis les années quarante, Haroun Tazieff va mettre en place, à partir de cette période, des expéditions importantes, incluant des chimistes et des physiciens, pour observer et comprendre son activité. « L’Etna devint un lieu de travail privilégié », souligne France Tazieff, son épouse, en 2004, dans Haroun Tazieff, une vie de feu.

Un décor lunaire

Si, pour ces missions, Pierre Bichet recrute la majorité des porteurs au Club Alpin Français (CAF) de Pontarlier, il convie Michel Campy à rejoindre l’équipe pour passer le mois de septembre 1968 en Sicile. « J’ai rencontré Pierre Bichet par l’intermédiaire de François Le Guern, étudiant en géologie à Besançon. Il m’a invité à passer un week-end chez lui, à Pontarlier, et puis, le dimanche, Bichet m’a dit : “tu viens”. C’est comme ça que, au début du mois de septembre, j’ai roulé avec mon Ami 8 depuis Lavigny jusqu’à Reggio-de-Calabre pour prendre le bac jusqu’à Messine, puis Catane. Nous retrouvons Tazieff et François Le Guern descendus en avion. Des jeeps nous ont transportés dans un village au pied du volcan. C’est de là que partaient les expéditions ».

Avec des guides locaux, attachés à Tazieff et fiers de travailler pour lui, la troupe rejoint l’observatoire de l’Etna, « L’Osservatorio Etnea », construit sous Mussolini, au pied du cratère central, à 2 500 mètres d’altitude. Elle va loger là pendant un mois. « Le décor était lunaire, raconte Michel Campy. Nous marchions dans la cendre noire interrompue par des coulées de laves durcies. Des sentiers cheminaient vers le sommet qui était en fait un gros cratère aux bords abrupts, dont nous apercevions le fond rempli de fumerolles. Le flanc du cratère central était parsemé de cônes, parmi lesquels un seul, le cratère nord-est, crachait des poussières et des bombes incandescentes impressionnantes de nuit ».

 

Une autorité naturelle

Mais ce qui intéresse tout particulièrement Haroun Tazieff, c’est la Bocca Nuova, « une bouche nouvelle qui s’était ouverte tout à coup dans son vaste cratère central. Large d’une demi-douzaine de mètres seulement, cette gueule incandescente délivrait, une cinquantaine de fois l’heure, des trains de puissantes bouffées de gaz torrides qui fusaient en rugissant de façon terrifiante. Entre ces séries de souffles formidables, nous pouvions nous pencher par-dessus la lèvre du gouffre et plonger la vue dans l’incandescence cylindrique qui allait se perdre dans des profondeurs d’or éblouissant. Jamais encore, nulle part, je n’avais pu regarder aussi loin dans l’intérieur de feu de la planète », explique le volcanologue (25 ans sur les volcans du globe publié par Fernand Nathan en 1975).

C’est là que les scientifiques vont travailler quotidiennement, afin de recueillir des échantillons. « Le premier jour, poursuit Michel Campy, nous y installons un véritable camp de base avec tout le matériel nécessaire aux prélèvements. Pendant une dizaine de jours, sans interruption et tour à tour, nous nous sommes approchés de la Bocca, caparaçonnés dans une grosse armure en amiante qui nous donnait des airs d’astronaute. Le matériel de prélèvement était un système compliqué de tubes et d’ampoules de verre dans lesquels les gaz étaient recueillis. Les ampoules étaient ensuite stockées dans des caisses adaptées et redescendues à l’observatoire ».

Jurassiens, le géologue Michel Campy et le peintre Bernard Moninot ont accompagné, à la fin des années soixante, le célèbre vulcanologue en Sicile. Pour Numéro 39, ils se souviennent. 

Les hommes revêtus d’un équipement anti-chaleur pour approcher la lave en fusion.

Jurassiens, le géologue Michel Campy et le peintre Bernard Moninot ont accompagné, à la fin des années soixante, le célèbre vulcanologue en Sicile. Pour Numéro 39, ils se souviennent. 

À proximité de la Bocca Nuova, l’équipe construit un camp de base pour les instruments scientifiques avec des plaques de plexiglas.

« Les va-et-vient sur les pentes du volcan, la fébrilité des mesures réalisées dans des conditions difficiles ou dangereuses, la rudesse du climat en haute altitude, le moral fluctuant de l’équipe, l’intendance quotidienne, la tension nerveuse, constituent l’atmosphère dans laquelle mijote la troupe », écrit Pierre Bichet (Haroun Tazieff, une vie de feu, Glénat, 2004). Ainsi va la vie sur le volcan et dans le refuge.

Le peintre pontissalien a organisé des tours de garde et de service, et tout marche bien. « L’intendance assure un service de repas quasiment permanent pour ceux qui arrivent ou repartent pour la garde de nuit », se souvient Michel Campy. Les soirées sont aussi des moments privilégiés : « Tazieff avait une autorité naturelle et restait très sympa avec nous. Le soir, il nous rassemblait et nous faisait de petites conférences ».

 

Une explosion par minute

Pour celui qui deviendra président du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel de 2005 à 2012, la mission s’est terminée par une tournée dans les îles éoliennes situées à cinquantaine de kilomètres au nord de l’Etna. « Nous étions avec Pierrot Bichet, son frère Bernard, ses fils Jean-Luc et Laurent, et un jeune gars de Pontarlier. Ce fut une superbe balade d’une dizaine de jours dans les îles volcaniques de l’archipel de Lipari. Nous ne savions pas où nous allions dormir le soir. Un jour, avant d’embarquer à Milazzo pour Lipari, nous avons couché sur une plage proche de l’embarcadère. Une averse nous a fait nous réfugier sous la coque d’un navire échoué. De notre abri, nous observions les pêcheurs qui sillonnaient le golfe voisin avec des lamparos, des petites barques avec une lampe à l’avant pour attirer les poissons ».

Pour les scientifiques, l’essentiel du travail consistait à recueillir des échantillons de gaz en bordure du cratère.

L’observatoire-refuge construit sous Mussolini qu’une coulée de basalte détruira deux ans après l’expédition de 1968.

À son retour en France, Michel Campy a raconté son expérience lors d’une conférence à l’Amicale Laïque de Lons-le-Saunier (ALL), puis repris ses études. Même s’il n’a jamais retravaillé dans le domaine de la volcanologie, il est devenu professeur de géologie à l’Université de Bourgogne.

Quels souvenirs garde-t-il aujourd’hui de cette aventure ? « À cette époque, les volcans étaient un spectacle merveilleux qu’il fallait voir, répond-il. Pour nous, étudiants, c’était un mythe. Et ce gars-là a joué un rôle important dans la société. Pour moi, fils de paysans de Lavigny, être dans l’équipe de Tazieff, c’était merveilleux. Je me souviens monter derrière lui, gravissant le cône. Il y avait une explosion toutes les minutes, nous regardions en l’air pour ne pas prendre une bombe sur la tête ». Mais plus encore, il garde de cette expédition le souvenir d’une expérience humaine : « Pierre Bichet était un ami formidable, qui agrégeait toute une bande de copains. Ce sont des personnes qui te donnent confiance en toi, qui te font aimer la vie », glisse-t-il, ému. Le voyage fut aussi intérieur. 

 

Photo : Centre Tazieff pour les Sciences de la Terre, Numéro 39

 

 

Bernard Moninot : « Une expérience  physique  et esthétique »

Jurassiens, le géologue Michel Campy et le peintre Bernard Moninot ont accompagné, à la fin des années soixante, le célèbre vulcanologue en Sicile. Pour Numéro 39, ils se souviennent. 

Bernard Moninot en mai 2018 à Château-Chalon.
Il y a quarante ans, Pierre Bichet lui propose de l’accompagner à l’Etna.

Peintre et dessinateur, professeur à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, Bernard Moninot vit et travaille une partie de l’année à Château-Chalon, dans le Jura.

Il se souvient, ici, de son expérience de porteur sur les pentes de l’Etna, en 1969.

Numéro 39 Comment avez-vous été recruté pour devenir porteur dans une expédition d’Haroun Tazieff sur l’Etna ?

Bernard moninot – Cela s’est fait très simplement. Chaque été, Pierre Bichet, un ami de mon père [le sculpteur Robert Moninot, N.D.L.R.], venait à la maison à Château-Chalon, avec son projecteur pour nous montrer les films réalisés avec Haroun Tazieff, lors de leurs pérégrinations sur les volcans du monde. J’étais adolescent et, pour moi, Pierre Bichet, c’était l’explorateur, comme les personnages des films imaginés aujourd’hui par Spielberg. Il m’avait promis qu’à l’âge de dix-huit ans, je participerais à une expédition. Peu de temps après cet anniversaire, j’ai donc reçu une lettre, une sorte d’ordre de mission, avec une liste de matériel à acheter. La date du départ était fixée au mois de septembre 1969. À l’époque, j’étais étudiant aux Beaux-Arts, à Paris. Et, pour me préparer physiquement, je me suis entraîné tout l’été. En une journée, j’ai fait l’aller-retour en passant par rivières et forêts de Château-Chalon à Chalain. Si bien que, à mon arrivée en Sicile, j’étais en forme pour être un sherpa efficace.

Comment s’est passé le voyage ?

B. M. – Nous sommes partis de l’aéroport de Genève. C’était la première fois que je quittais la France. Nous avons atterri à l’aéroport de Catane et, dans l’avion que je prenais également pour la première fois, il y avait d’autres personnes recrutées par Bichet. Michel Loye, de Mouthe, Bernard Bichet, le frère de Pierre, et François Le Guern. C’était des gars très sympathiques. Il y avait aussi Katia et Maurice Krafft, deux volcanologues disparus en 1991 pendant l’éruption du volcan Unzen, au Japon.

Étiez-vous attendus ?

B. M. – Nous avons été accueillis à Nicolosi dans un village au pied de l’Etna par la famille de Carbonaro, le guide attitré des expéditions de Tazieff. Le personnage était un montagnard taiseux, c’est lui qui nous a guidés sur les flancs de l’Etna, avec tout le matériel à monter sur le bord du cratère.

Quelles ont été vos premières impressions ?

B. M. – Pendant le mois qu’a duré mon séjour, le temps a été radieux et, dès le premier jour, nous avons gravi les pentes du stratovolcan qui culmine à 3 350 mètres. Je ne m’attendais pas à un tel gigantisme, le diamètre du cratère fait plusieurs kilomètres, c’était énorme ! Il émergeait de ses entrailles une fumée blanche de soufre. Sur le moment, je n’ai pas compris que c’était extrêmement toxique. Depuis le rebord du volcan, on avait une vue sur le cratère « Nord-Est », un volcan adjacent en activité perpétuelle ; toutes les dix secondes une explosion propulsait des bombes de lave à plusieurs centaines de mètres dans le ciel.

Et, sur le flanc du cratère central, cent mètres en dessous, il y avait une bouche de gaz éruptif : la Bocca Nuova. C’est à sa proximité que nous avons construit un igloo en plaques de plexiglas comme camp de base pour les instruments scientifiques. Le premier jour, nous avons attendu la nuit tombée pour observer le spectacle extraordinaire de la lave en fusion qui ruisselle sur les pentes.

Il y avait le bruit aussi.

B. M. – Le fracas du volcan, c’est quelque chose de terrible. Aucun feu d’artifice n’arrive à égaler la sublime beauté de ce phénomène naturel.

Ensuite, chaque jour, vous remontiez sur le bord du volcan ?

B. M. – On dormait dans le solide observatoire construit à 3 000 mètres d’altitude à l’époque de Mussolini. Mais, la journée, nous restions là-haut pour aider les scientifiques qui capturaient des gaz dans des flacons, classés soigneusement pour être ensuite analysés en laboratoire. Il y avait aussi un instrument placé sur une longue perche pour mesurer la vitesse des gaz à la sortie de la Bocca.

Comment était Haroun Tazieff ?

B. M. – Le soir, nous nous retrouvions à la table du refuge et écoutions ses récits. Tazieff racontait ses expéditions sur les volcans dans le monde. C’était passionnant, on entrait dans une autre dimension. C’est là que j’ai pris conscience que, sur notre planète, la nature s’est développée sur une masse d’énergie démentielle. Je n’avais pas imaginé à quel point le caractère sublime du spectacle pouvait cacher l’aspect terrifiant du phénomène.

C’est-à-dire ?

B. M. – Un jour où il faisait très beau, toute l’équipe était réunie autour de la Bocca Nuova. Brutalement, l’activité est devenue violente, un souffle a libéré un jet de gaz explosif d’une cinquantaine de mètres qui a produit une puissante secousse, et nous a tous fait reculer d’une dizaine de mètres. Tazieff, courageux, a décidé de s’approcher pour observer l’intérieur du puits incandescent. Au moment où il s’est penché, un second souffle violent est arrivé et a projeté en l’air le casque métallique qui le protégeait jusqu’aux épaules. Pour ne pas être brûlé sur place, Tazieff s’est mis à virevolter sur lui-même comme une toupie.

Tazieff filmait-il aussi ces phénomènes ?

B. M. – Oui. Le cratère Nord-Est était en activité perpétuelle. De temps en temps, ses rebords s’effondraient à l’intérieur de la cheminée et les bombes partaient alors à l’oblique, pour retomber deux-trois cents mètres plus bas. Voyant cela, Tazieff disait : « donnez-moi la caméra ! ». Et, à toute vitesse, il grimpait sur le flanc du cratère pour filmer au plus près les explosions pendant presque une heure. Soudainement, les jets de lave éjectés du cratère revenaient à la verticale et Tazieff devait vite redescendre, tout en regardant en l’air pour éviter les bombes qui pleuvaient autour de lui. Dans ces situations, même les plus dangereuses, il ne perdait pas son sang-froid.

Vous, avez-vous eu peur à certains moments ?

B. M. – Oui, comme l’avant dernier jour. La météo avait changé et, pendant la nuit, il était tombé un mètre de neige. Au matin, le brouillard était à couper au couteau. La mission se terminait, mais nous devions impérativement remonter récupérer les instruments scientifiques. On s’est tous encordés, derrière le guide Carbonaro. On ne voyait pas la personne qui nous précédait. À l’approche de la Bocca Nuova, le vent a rabattu le panache de gaz soufré mélangé au brouillard acidifié. Cela brûlait les yeux et la gorge, on suffoquait et il y a eu un mouvement de panique. Nous crachions et cherchions le moyen de se protéger en mouillant des mouchoirs. C’est dans ce brouillard que le groupe s’est désorganisé et, voulant sortir de la nappe de ce gaz mortel, je me suis trop éloigné et ai perdu le contact avec mes camarades. Heureusement, j’ai réussi à retrouver instinctivement le chemin du refuge, mais seul ! Les autres ont mis plus de temps à redescendre, pensant que je m’étais perdu… Quand, plus tard, ils sont arrivés je me suis fait passer un savon par Tazieff. Il s’était inquiété et m’avait cherché, car il y avait un risque de se perdre dans les champs de lave. On savait que, en cas de catastrophe, il était plus sûr de rester autour de la zone sommitale du cratère et ne jamais redescendre en dehors de la piste. C’est suite à cet événement que j’ai pris conscience que l’expérience « esthétique » pouvait devenir aussi tragique.

Peut-être parce que les émotions étaient constamment à portée de main, non ?

B. M. – Je suis reparti avec, en tête, des images que je n’oublierai jamais. Le jour du retour le temps était beau et on roulait vers l’aéroport. Des flancs blancs immaculés de l’Etna a surgit un énorme panache de cendres qui en retombant a colorié la neige en rose. Aussi, les alentours des volcans sont très contrastés, d’un côté ce sont des lieux de non-vie absolue et, de l’autre, des sols fertiles où les orangers produisent de gros fruits. J’ai associé les fruits vus sur les flancs de l’Etna à ceux peints par Paolo Uccello au XVe siècle. Le bleu du ciel, la couleur intense des oranges, le blanc devenu rose de la cendre sur la neige… cette dimension esthétique est restée absolument intacte en moi.

Ce voyage vous a-t-il transformé ?

B. M. – Adolescent, je ne rêvais pas d’être artiste, mais explorateur comme Bichet. Et, pendant cette équipée comme sherpa, j’ai compris que ce n’était pas ma voie. Mais c’est là aussi que j’ai réalisé ce qu’il m’avait dit avant de partir : « tu verras, c’est impossible de peindre un volcan ».

Aujourd’hui encore, je constate que le moment où les bases de ma vie se sont construites coïncide avec cette expédition sur l’Etna. J’ai vécu la rencontre avec Jacqueline, la mère de ma fille Marie, et aussi celle du critique d’art Daniel Abadie, qui organisera ma première exposition personnelle.

Par la suite, cette expérience a influencé votre travail ?

B. M. – Indirectement. Cela m’a conduit à m’intéresser à des choses plus grandes que moi, comme l’astrophysique mais aussi à l’art. La nature, c’est aussi les tempêtes, les tornades, les tremblements de terre, et les volcans. On ne prend pas suffisamment la mesure de l’ampleur du monde, tant que l’on n’a pas été confronté à ces phénomènes qui dépassent l’entendement. Plusieurs semaines après notre départ, « la chambre » souterraine de la Bocca Nuova s’est effondrée, pour devenir un immense cratère. Et, deux ans après notre expédition sur l’Etna, une énorme coulée de basalte a enseveli l’observatoire-refuge. 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Politique de Confidentialité

Plus de Les grands récits